Paris vu de ma fenêtre

Confiné chez lui, à Paris, comme l’ensemble des Français, notre correspondant décrit une capitale métamorphosée.

Photo : Michel Arseneault

Hier, une ambulance est venue chercher ma voisine d’en face. Cette vieille dame d’apparence frêle est sortie de chez elle à tout petits pas. Vêtue d’un manteau de printemps, elle s’est assise, non sans difficulté, à l’arrière du véhicule — sans l’aide des ambulanciers, qui ont gardé leurs distances, malgré leurs masques et combinaisons.

Pendant ce temps, une jeune femme faisait son jogging, queue de cheval au vent, dans le square en bas de chez moi, un des rares espaces verts du XIe arrondissement. Tant pis si ce parc, comme les autres jardins de Paris, est fermé pour cause de pandémie. Il a suffi à cette sportive de sauter par-dessus la clôture — facile, des adolescents font pareil presque tous les soirs pour fumer en cachette en temps normal.

La vie à Paris n’a plus grand-chose de normal à l’heure du confinement généralisé de ses 2 millions d’habitants (12 millions, si on compte la banlieue). Tout est fermé, des grands musées aux petits cafés, à l’exception des épiceries, boulangeries et pharmacies. Hier encore, de longues queues se sont formées à l’extérieur de quelques supermarchés, qui ont vu s’envoler certains produits, notamment les pâtes et le papier hygiénique. Le mystère plane sur cet engouement soudain pour le « papier toilette » (comme on dit à Paris).

De courts déplacements sont autorisés pour faire ses courses, promener un animal de compagnie ou faire un peu d’exercice — à condition d’être muni d’une « attestation de déplacement dérogatoire ». Il suffit d’imprimer ou de recopier à la main ce formulaire, facile à trouver en ligne, et de le signer soi-même. Comme en Italie. Une minidémarche qui incite les gens à réfléchir à ce qu’ils font.

À Paris, les contrevenants risquent une amende de 38 euros, soit 60 dollars. Les Parisiens, qui se décrivent souvent eux-mêmes comme très individualistes, marcheront-ils au pas pour autant ? Jusqu’à maintenant, des contraventions instaurées en 2015, encore plus importantes, n’ont pas réussi à faire reculer les incivilités. Sur les trottoirs de Paris, les mégots, crachats et crottes de chien sont, encore et toujours, légion.

Il est vrai que la mairie de Paris n’a pas de police municipale. Les agents de sa Direction de la prévention, de la sécurité et de la protection (DPSP), qui sont armés d’un tonfa (une matraque avec une poignée latérale) et d’une « gazeuse » (une bombe de gaz lacrymogène), peuvent toujours dresser une contravention. Mais est-ce bien utile ? Selon Jean-Claude Hamelin, un syndicaliste de la Confédération générale du travail, 80 % des contrevenants n’acquittent jamais leur « procès-verbal ». Résultat : le je-m’en-foutisme règne. Cette crise sanitaire mondiale pourrait-elle y changer quelque chose ? Il n’est pas interdit de le penser.

Il a fallu moins de 48 heures à mon quartier, le paradis du bourgeois bohème, pour se transformer. Ses néobistrots, bars à vin (naturel, bien entendu) et boutiques spécialisées (bonbons véganes, nouilles au sarrasin japonaises faites sous vos yeux, etc.) n’attirent pas que des hipsters. Le XIe, dont les rues sont désormais désertes ou presque, est méconnaissable. Impossible de ne pas remarquer que le niveau de bruit n’est plus ce qu’il était. Les voitures sont tellement rares à circuler dans ma rue qu’on entend maintenant les oiseaux.

Beaucoup de familles avec enfants ont déjà quitté la ville pour se réfugier à la campagne. Il reste si peu de monde dans mon vieil immeuble que la concierge, la gardienne qui loge au rez-de-chaussée, se fait légèrement du souci pour sa sécurité…

 « C’est comme si on attendait que le tsunami nous tombe dessus »

Une voisine du septième étage, une médecin, est souvent absente ces temps-ci. Mais ce n’est pas parce qu’elle a fui la capitale. Au contraire, en tant que pneumologue dans un grand hôpital, elle est à l’avant-poste de la lutte contre le coronavirus. Cette bonne voisine et bonne copine, une femme forte que je croise régulièrement dans l’immeuble, enchaîne des journées de 11 heures en ce moment. Elle évite de les étirer davantage. Elle sait qu’elle doit se ménager pour tenir six semaines. Au moins.

Contrairement à certains établissements de l’est de la France, les hôpitaux parisiens ne sont pas — ou pas encore — débordés. Mais beaucoup de médecins et d’infirmières, qui dénoncent le manque de personnel et de moyens depuis des années, craignent d’être dépassés. « C’est comme si on attendait que le tsunami nous tombe dessus », dit ma voisine pneumologue. D’autant plus que certains de ses collègues, dans son hôpital comme dans tant d’autres, ont déjà été contaminés par la COVID-19.

De nombreux Français sont carrément angoissés face à la pandémie. Lundi, une multitude de messages sur les réseaux sociaux affirmaient — sur la foi de prétendues très bonnes sources dans l’armée, la police ou la gendarmerie — que le président Emmanuel Macron annoncerait, le soir même, un « couvre-feu ». On a même fait circuler des photos de blindés censés prendre position dans les rues de la capitale.

Lundi soir, il n’en a nullement été question. Emmanuel Macron a incité les 35 millions de Français qui l’ont regardé à ne pas céder à « la panique ». Le ton, grandiloquent de l’avis de certains, était par moments belliqueux. Pour justifier la fermeture des frontières, le chef de l’État a déclaré que la France était « en guerre » (reprenant une expression que Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, avait elle-même utilisée la veille).

La différence de ton avec Justin Trudeau, qui s’adressait aux Canadiens en même temps et sur le même sujet, ne pouvait être plus grande. Certes, en France, le chef d’État se contente de fixer les orientations principales pour laisser les détails pratiques à son premier ministre. Mais pour mobiliser les Français, fallait-il absolument leur parler de guerre, cet épouvantail souvent agité par l’extrême droite ?

Mon téléphone sonne et émet des bips plus fréquemment que d’habitude. Tout à l’heure, c’est ma consœur québécoise Michèle Ouimet, naguère de La Presse, qui m’a appelé pour me dire qu’elle quittait Paris, alors qu’elle devait encore y passer quelques mois. Sa dernière promenade dans une ville à ses yeux « en état de siège » l’a convaincue de décamper. « Pas envie de vivre dans un Paris mort. » D’autant plus que sa carte de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ne lui serait pas d’une grande utilité.

Quant à moi, qui n’ai plus de « carte soleil » depuis longtemps, je me réjouis d’avance de faire du tapage à ma fenêtre, à 20 h ce soir, pour exprimer ma solidarité avec ma voisine et les autres médecins et infirmières qui combattent actuellement le virus.

Vous avez des questions sur la COVID-19 ? Consultez ce site Web du gouvernement du Québec dédié au coronavirus.

Vous avez des symptômes associés à la maladie ? Appelez au 1 877 644-4545 ou consultez un professionnel de la santé.

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Triste consolation…
Bien triste ce Paris, et bien d’autres endroits. Votre triste consolation est cette très belle vue depuis votre fenêtre. Au plaisir de vous lire.

Le français moyen que je suis (et habitant la province) confirme que Macron et son gouvernement ont été anxiogènes, « guerre » = état de siège, loi martiale, et surtout rationnement… mauvais souvenirs de la dernière guerre pour les français. A noter que Hollande avait dit « nous sommes en guerre » au moment des attentats. Procédé purement rhétorique donc. J’ajoute que le départ en masse des parisiens (bourgeois majoritairement) vers leur villégiature de province passe mal, les parisiens se croyant en vacances (ballades sur la plage, sortie en famille etc..). Enfin, les médias français ont été comme d’habitude d’une démagogie et d’un cynisme sans freins , entre catastrophisme permanent et bons conseils (« comment éviter la panique, les dix trucs à savoir pour garder le moral… »). Et ce confinement ne sert pas à grand chose, il fallait sanctuariser le personnes vulnérables il y a trois semaines.