Si vous ne trouvez plus le produit spécial auquel votre enfant est habitué et que vous avez besoin de le remplacer, lisez les conseils pratiques de notre article.
Qui aurait pu croire que le marché des préparations pour nourrisson hypoallergéniques était aussi fragile ? La fermeture, en février 2022, d’une très grosse usine de l’entreprise Abbott, aux États-Unis, a créé une pénurie telle que Santé Canada a été forcé de revoir les règles d’importation pour ces produits afin de permettre un réapprovisionnement depuis l’Europe. Malgré tout, des milliers de parents cherchent en vain les « formules » auxquelles leurs bébés sont habitués.
Bien comprendre les catégories de produits
Il existe trois types de préparations hypoallergéniques, dans lesquelles les protéines de lait de vache ont été traitées à l’aide d’un procédé appelé hydrolyse. Les protéines sont de longues molécules faites de chaînes d’acides aminés. Plus elles sont coupées en petits morceaux par l’hydrolyse, plus elles sont faciles à digérer et diminuent les risques de réactions allergiques.
Dans la première catégorie de préparations hypoallergéniques, les protéines sont partiellement hydrolysées (comme dans les produits Enfamil A+ Gentlease, Similac Total Comfort et Nestlé Bon Départ). Dans la seconde, elles le sont très largement (on lit aussi « extensivement » ou fortement), comme dans Similac Alimentum, Nutramigen A+, Pregestimil A+. Et dans la dernière, on ne retrouve plus que les acides aminés tous séparés les uns des autres (comme dans Puramino A+ ou Neocate).
La pénurie a d’abord touché les préparations très largement hydrolysées, puis elle s’est étendue, par ricochet, à celles à base d’acides aminés qui ont été conseillées aux parents pour remplacer les premières. Or, dans la vaste majorité des cas, les nourrissons n’ont pas absolument besoin de ces produits spéciaux. Les acheter — surtout en grande quantité, pour faire des réserves — alors qu’on n’y est pas obligé contribue à les raréfier encore plus pour les enfants qui ne peuvent vraiment pas s’en passer.
La pénurie, qui provoque une vive anxiété chez plusieurs parents, est donc une bonne occasion de vérifier si bébé pourrait revenir aux produits normaux. Voici pourquoi et comment déterminer si un changement de marque est possible pour vous.
Des allergies pas si courantes
La prise de préparations hypoallergéniques commence souvent après plusieurs nuits blanches, quand les parents consultent aux urgences parce que leur bébé souffre de coliques. Ce problème pénible et courant dans les premiers mois de vie (20 % des bébés en auront) n’est pas un signe que le nourrisson se développe mal, ou qu’il a des troubles de la digestion ou une allergie. Dans les faits, l’inconfort passe souvent de lui-même, vers l’âge de quatre mois.
Si le médecin constate que son petit patient est alimenté avec une préparation pour nourrisson ordinaire, il est susceptible de suggérer, pour rassurer les parents et par précaution, de changer pour une version hypoallergénique, au cas où le bébé souffrirait d’une allergie aux protéines de lait.
Cette allergie, qui n’est généralement pas détectable par un test, touche de 2 % à 4 % des bébés, avec plus ou moins d’intensité. Elle peut entraîner de la diarrhée, des vomissements et des gaz, un refus de s’alimenter, des pleurs et de l’irritabilité ainsi que, beaucoup plus rarement, un choc anaphylactique. Dans au moins la moitié des cas, elle disparaît avant l’âge d’un an. Moins de 1 % des petits allergiques au lait le resteront toute leur vie.
Lorsque les symptômes sont assez légers — et qu’il y a donc de bonnes chances que le bébé ne soit pas vraiment allergique ou qu’il le soit peu —, une préparation à base de protéines partiellement hydrolysées peut suffire à régler le problème. On peut aussi essayer une préparation à base de protéines de soya (comme Enfamil A+ Soya, Similac Isomil ou Nestlé Alsoy). Quand les symptômes sont plus graves, les produits à base de protéines fortement hydrolysées ou d’acides aminés ont plus de chances d’être bien tolérés.
Cependant, comme l’allergie aux protéines de lait disparaît souvent au fil du temps, il est recommandé, après quelques mois et si les problèmes de l’enfant semblent partis, de tenter de revenir à une alimentation normale, qui va probablement lui convenir.
Des préparations trop prescrites
Pourtant, très souvent, le médecin prescrit d’emblée une préparation à base de protéines très largement hydrolysées pour une période d’un an, a constaté la nutritionniste Valérie Vaillancourt, affiliée au CHU Sainte-Justine et spécialisée depuis 17 ans dans la nutrition des bébés aux prises avec des problèmes digestifs.
Cette stratégie évite une deuxième visite, risque moins de provoquer de l’inconfort chez le bébé et n’a pas d’effet négatif sur son développement. Elle a aussi la faveur des parents, car les produits à base de protéines fortement hydrolysées ou d’acides aminés sont remboursés en bonne partie par la Régie de l’assurance maladie et des régimes d’assurances privés s’ils ont été prescrits, ce qui enlève une pression considérable sur le budget des familles.
Ces « formules » spéciales peuvent faire économiser plusieurs milliers de dollars par an par rapport à l’achat de préparations ordinaires, au lait de soya ou partiellement hydrolysées, lesquelles ne sont pas remboursées. Les prescriptions coûtent près de deux millions de dollars par an à la RAMQ. « Je vois souvent des parents qui refusent de changer parce qu’ils veulent bénéficier de cet avantage économique, et des professionnels qui renouvellent les prescriptions même si ce n’est pas vraiment justifié du point de vue médical », explique Valérie Vaillancourt.
En contexte de pénurie toutefois, cette logique devient difficile à soutenir, d’autant plus que certains bébés ont impérativement besoin des préparations qui manquent. C’est le cas de ceux qui sont gravement allergiques tout autant aux protéines de lait qu’à celles de soya (ceux qui ont déjà fait, par exemple, un choc anaphylactique après en avoir consommé), ou qui souffrent de maladies métaboliques héréditaires telles que la tyrosinémie ou la galactosémie. Les bébés qui ont cette maladie ne tolèrent que les laits faits d’acides aminés, et même le lait maternel peut entraver leur développement !
Les mythes à déconstruire
Deux grands mythes poussent aussi médecins et parents à privilégier ces produits. D’abord, il y a l’idée qu’ils préviennent les allergies chez les petits à haut risque d’en souffrir, ce qui a été réfuté, comme le montre ce document récent de la Société canadienne de pédiatrie.
Ensuite, certains soutiennent qu’il faut éviter les préparations à base de protéines de soya, parce qu’elles pourraient entraîner des problèmes hormonaux chez les bébés. « C’est faux, et pourtant certains parents n’en veulent vraiment pas ! Dernièrement, j’ai vu une maman dont le bébé mangeait du tofu, mais qui tenait à ce qu’il boive une “formule” hypoallergénique. Ça n’a pas de sens ! » raconte Valérie Vaillancourt.
Que faire ?
Les produits qui sont en rupture de stock ne sont donc pas nécessaires pour tous les bébés qui les consomment actuellement. Si votre enfant en prend, vous devriez consulter un pharmacien, un pédiatre, un médecin de famille, un nutritionniste ou une infirmière praticienne spécialisée pour évaluer s’il a vraiment besoin de ces préparations, ou ce qui pourrait s’y substituer.
Pour vous aider, ce professionnel pourra s’appuyer sur un algorithme décisionnel que le ministère de la Santé et des Services sociaux a récemment conçu avec la collaboration de quatre nutritionnistes des centres hospitaliers universitaires pédiatriques, de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec et de l’Association des pédiatres du Québec. Le document précise, en introduction, que ces produits sont surprescrits.
Contrairement à ce que l’on entend souvent, il est possible de changer de préparation sans faire courir de risque à bébé, pourvu que ce ne soit pas trop fréquent. Si le professionnel de la santé consulté ne suspecte pas une réelle allergie grave, et que les symptômes étaient assez légers avant l’introduction de la « formule » hypoallergénique, l’algorithme lui suggère par exemple de prescrire une préparation à base de protéines partiellement hydrolysées ou à base de protéines de soya pour au moins de une à deux semaines, le temps que le bébé s’habitue à ce nouvel aliment. La plupart d’entre eux s’y feront sans problème.
« Dans tous les cas, on doit consulter, car l’âge du bébé, son état de santé et d’autres facteurs peuvent influencer la stratégie de remplacement. Et ce n’est pas évident de s’y retrouver entre toutes les options ! » insiste Valérie Vaillancourt. Il faut savoir cependant que dans le monde hyper compétitif des préparations pour nourrisson, les fabricants tentent souvent, par des allégations, de vanter un produit plutôt qu’un autre parce qu’il contient des ingrédients spéciaux comme des acides gras oméga-3, même si leur avantage n’est pas prouvé. Dans une même catégorie de produits, toutes les marques se valent.
Ce qu’il ne faut surtout pas faire
La pénurie pousse les parents vers des stratégies qui peuvent être hautement risquées, surtout pour un bébé de moins d’un an, qui grandit très vite. Les laits végétaux achetés à l’épicerie, le lait de chèvre ou de brebis et les préparations maison sont fortement déconseillés, selon Santé Canada, car aucun ne contient les bonnes proportions des différents nutriments nécessaires à la croissance des tout-petits. Diluer les préparations commerciales et ainsi obtenir des proportions différentes de la posologie recommandée est aussi contre-indiqué.
Le magazine Rolling Stone fait état d’une pléthore de recettes promues dans des groupes Facebook, sur TikTok ou sur Instagram, lesquelles ont été vues par des centaines de milliers de personnes depuis le début de la pénurie. Mélanges à base de lait concentré, de graines de chanvre, de dattes, d’eau distillée, de jus de carotte, de levures, d’extraits d’algues ou de multivitamines, recettes de grands-mères… la plupart de ces solutions sont carrément dangereuses pour bébé, car elles ne contiennent pas vraiment les bons éléments nutritifs et peuvent renfermer plus de contaminants ou de microbes que ce qu’un nourrisson peut tolérer.
Ne vous faites pas avoir par ceux qui prétendent que les recettes des industriels ne sont pas bonnes. Oui, le lait maternel est bien meilleur, les entreprises exagèrent les vertus de certains additifs sur leurs étiquettes et il leur arrive — très rarement — de devoir procéder à des rappels. Mais leurs produits sont infiniment plus sécuritaires que les recettes maison préparées sur un coin de table, avec des ingrédients venus d’on ne sait où !
Attention aussi aux très nombreux vendeurs en ligne qui prétendent avoir encore en stock les préparations qui font l’objet de pénuries. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission a prévenu la population que de multiples arnaqueurs volent les logos, imitent les étiquettes ou carrément les sites Web des fabricants, et empochent l’argent sans jamais livrer la marchandise.
Si vous êtes découragé par la difficulté à trouver le produit qui fait du bien à votre enfant, la meilleure stratégie demeure de consulter un professionnel de la santé qui travaille près de chez vous. Ne désespérez pas, il y a des solutions !
Ouf, tout le monde n’a pas la même expérience avec les préparations hypoallergènes. Ça a pris respectivement 4 mois pour ma fille et mon garçon avant d’avoir accès aux préparations hypoallergènes, car on ne me croyait pas. On prescrivait le médicament en premier.
Ça a pris plusieurs semaines avant de voir le changement complet pour mon garçon (quand il a eu son lait), mais tout de suite on a vu une différence dans son comportement. Il ne rotait plus constamment, dormait enfin, ne régurgitait plus, ne pleurait plus constamment et surtout son oesophagite a guéri. Ça a sauvé notre santé mentale.
Encore aujourd’hui, mes 2 enfants ne boivent pas de lait. On a essayé, mais finalement laissé tombé car leur état s’empirait chaque fois. Ils boivent de l’eau principalement et du lait végétal au besoin maintenant qu’ils sont grands.
J’ai moi aussi été choquée de voir que plusieurs se faisaient prescrire facilement le lait hypoallergène. De mon côté ça a tardé et mené à des dépressions et traumatisme d’entendre mon enfant roter et pleurer 18 heures par jour jusqu’à ce qu’il soit soulagé. À cause des gens qui veulent tout gratuit, nous n’avons pas eu le lait pour mes enfants rapidement, il a fallu se rendre jusqu’au refus de boire pour avoir la préparation adaptée… Bref, j’ai payé pour la mentalité des gens qui veulent économiser et pour la mentalité des professionnels qui croyaient que j’étais encore une mère qui exagérait ou qui voulait économiser…
On m’a dit que c’était impossible que mon 2e soit intolérant lui aussi. Il était pire que mon premier bébé…! Mon conjoint était lui-même intolérant bébé et il a été sauvé par le lait spécial de l’époque. Même si des médecins m’ont dit que c’était impossible, dans mon cas c’était héréditaire. Comme quoi les connaissances et la pratique, ça peut être deux. 🙂