Peut-on vraiment faire créer un diamant à partir des cendres d’un être cher ? 

L’industrie du diamant commémoratif prétend transformer les cendres de crémation en diamants. Certains disent que c’est impossible. Qui a raison ?

Brine / Johnson / Getty Images / montage : L’actualité

L’auteur est communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. Il est titulaire d’un baccalauréat en biochimie et d’une maîtrise en biologie moléculaire. En plus d’écrire de nombreux articles, il coanime le balado The Body of Evidence.

En 2017, j’ai visité la plus ancienne usine de polissage de diamants du monde lorsque j’étais aux Pays-Bas pour une conférence. J’ai bénéficié d’une visite guidée au cours de laquelle j’ai appris les nombreuses façons dont un diamant peut être taillé. Je n’avais pas prévu que la visite se terminerait par l’espoir d’une vente. Dans le bureau du guide touristique, j’ai été autorisé à inspecter des diamants individuels que nous pouvions acheter, et tout comme les conditions qui transforment le carbone en diamant, je pouvais sentir la pression monter.

Ce que je n’ai pas appris ce jour-là, c’est qu’à ma mort, mes cendres pourraient être transformées en diamant. Je pense que je me serais souvenu de cette affirmation remarquable.

L’idée de lier les bijoux au deuil n’est pas nouvelle. Dans les années 1600, les montres de poche tenaient parfois lieu de memento mori, c’est-à-dire de rappels de notre mortalité, grâce à l’utilisation de crânes et d’inscriptions en latin telles que « l’heure de la mort est incertaine ». Au fil des siècles, ces rappels ont cessé d’être des notions abstraites d’impermanence pour devenir des objets servant à se souvenir d’un être cher décédé. La reine Victoria a joué un rôle déterminant dans cette évolution : elle possédait trois broches pour marquer le décès de son troisième enfant, la princesse Alice, et un pendentif en agate et diamant commandé par son mari, le prince Albert, pour commémorer la mort de la mère de Victoria. Ces bijoux de deuil renfermaient souvent une mèche de cheveux du défunt, car on croyait que les cheveux étaient immortels et contenaient son « essence ».

Aujourd’hui, il existe de nombreuses façons, disons « créatives », de rendre hommage à un être cher après son décès. Vous pouvez ajouter ses cendres à des graines dans une urne biodégradable qui, une fois enterrée, donnera naissance à un arbre (bien que, techniquement, les cendres ne renferment pas de nutriments et que leur pH soit nocif pour les graines ; c’est donc le reste du contenu de l’urne qui accomplit le dur travail de faire pousser une plante). Si la crémation vous rebute, vous pouvez payer une entreprise pour que le corps se décompose dans le sol et que le compost obtenu vous soit retourné (bien que les aspects juridiques de cette pratique varient d’une province à une autre et qu’il soit toujours illégal de le faire au Québec).

Mais si vous voulez garder l’être cher plus près de vous que sous votre pelouse, vous pouvez investir dans un bijou commémoratif moderne. Il s’agit notamment de colliers et de pendentifs qui contiennent les cendres réelles de la crémation, et de bagues où les cendres sont infusées dans une résine qui, activée par la lumière ultraviolette, durcit et donne des couleurs intéressantes.

Le plus impressionnant de tous, cependant, est le diamant commémoratif, également appelé diamant de crémation. Ici, les cendres ne sont pas simplement intégrées dans le diamant ; elles sont le diamant.

Lorsque des atomes de carbone sont façonnés en une structure cristalline particulière dans des conditions de température et de pression extrêmement élevées, on obtient un diamant. Depuis les années 1950, nous sommes en mesure de créer des diamants synthétiques. Du graphite fondu, soit une autre forme que peut prendre le carbone, est ajouté à un minuscule diamant naturel, lequel sert de germe. À l’intérieur d’une machine à haute pression et à haute température (HPHT), le carbone du graphite précipite sur le diamant de semence, qui grandit avec le temps. La couleur du produit final sera déterminée par l’irradiation du diamant avec une lumière à haute énergie ou avec un faisceau d’électrons, ce qui peut créer une couleur rouge ou verte, ou par la présence de certains atomes dans le diamant, le bore donnant une teinte bleutée et l’azote, une nuance de jaune. Une absence totale de couleur signifie l’absence de ces impuretés.

L’industrie du diamant commémoratif prétend être capable de récupérer le carbone des cendres de crémation, de le transformer en graphite, puis de l’utiliser pour faire pousser un diamant.

Cela semble plausible, mais certains n’y croient pas.

Le carbone survit-il à la crémation ?

Une sorte de guerre froide a lieu sur Internet au sujet des diamants commémoratifs. D’un côté, des entreprises soutiennent pouvoir isoler le carbone des cendres de crémation et en faire un véritable diamant synthétique. De l’autre, une poignée de personnes qualifient tout cela d’escroquerie.

L’enjeu est de taille. Les clients à qui l’on présente le concept de diamant commémoratif à leur salon funéraire local sont dans un état vulnérable. En outre, le processus de culture de ces diamants nécessite beaucoup de temps — d’un mois à un an, selon l’entreprise et la taille souhaitée — et son prix est élevé. J’ai vu quelques entreprises proposer des prix de départ aussi bas que 825 dollars, mais la plupart commencent dans les milliers de dollars et peuvent aller jusqu’à 50 000 dollars, selon le type de diamant et la taille demandée. On dit souvent que ce prix est supérieur à celui d’un diamant synthétique comparable qui n’est pas fabriqué à partir de cendres de crémation. S’il s’agit d’une escroquerie, elle est donc potentiellement lucrative.

L’accusation de supercherie repose sur l’allégation selon laquelle le carbone est détruit pendant le processus de crémation et que les sociétés qui vendent des diamants commémoratifs doivent donc utiliser d’autres sources de carbone pour fabriquer ces diamants. On affirme que le carbone est détruit à 760 °C (1 400 °F) et que les fours de crémation brûlent les corps entre 760 °C (1 400 °F) et 982 °C (1 800 °F). S’il n’y a plus de carbone après la crémation, alors les diamants commémoratifs sont une escroquerie.

Le carbone ne peut pas techniquement être « détruit » par la crémation, il faudrait une réaction nucléaire pour cela, mais on nous dit qu’il est perdu sous forme de dioxyde de carbone pendant la crémation. Le carbone survit toutefois à ce processus. Nous sommes des formes de vie à base de carbone : 18,5 % de notre masse est constituée de carbone. Au cours de la crémation, un corps solide est transformé en gaz par la combustion. L’un de ces gaz est le dioxyde de carbone, qui s’échappe par une cheminée située sur le toit du bâtiment et emporte ainsi un grand pourcentage du carbone qui composait le corps. Mais dans la chambre de crémation primaire, il reste des fragments d’os. Ces restes sont broyés en une poudre, c’est-à-dire les cendres qui sont restituées à la famille.

Les os sont composés d’eau, d’un tissu vivant à base de carbone (principalement constitué de protéine de collagène) et d’une partie minérale. La crémation brûle l’eau et le tissu vivant, mais il reste la partie minérale. Il s’agit d’un type de molécule de phosphate de calcium appelé hydroxyapatite. Aucun carbone dans celle-ci, mis à part le carbonate de calcium qu’on retrouve souvent dans l’hydroxyapatite. Vous avez peut-être entendu l’allégation selon laquelle les producteurs de diamants commémoratifs savent qu’il ne reste pas de carbone après la crémation et l’ont révélé dans leur brevet. Mais ce que dit cet infâme brevet, c’est que « la crémation classique élimine la majeure partie du carbone natif ». Pas tout : en effet, il reste du carbonate de calcium, qui est une source de carbone.

Si vous ne faites pas confiance aux fabricants de diamants, qui affirment tous qu’environ de 0,5 % à 4 % des cendres de crémation sont composées de carbone, peut-être ferez-vous confiance aux scientifiques. En 2010, des scientifiques belges ont publié un article montrant qu’ils pouvaient dater au carbone des ossements incinérés. La datation au carbone signifie qu’il y a présence de carbone. Leur dispositif expérimental incinérait les os à 800 °C, ce qui est comparable aux fours crématoires modernes. En effet, la datation au carbone des ossements incinérés est possible depuis 2001. En 2016, six laboratoires proposant ce service ont reçu des échantillons d’os qui avaient été incinérés à des températures supérieures à 600 °C. Ils ont pu non seulement détecter le carbone dans ces échantillons, mais aussi distinguer les différents isotopes du carbone afin de dater les restes sans variations majeures entre les laboratoires.

C’est donc indéniable : le carbone peut survivre à la crémation. La vraie question est de savoir s’il en reste suffisamment pour faire pousser un diamant entier.

Les personnes qui vous vendent des diamants commémoratifs oscillent souvent entre deux positions : oui, il reste absolument assez de carbone dans les cendres de crémation pour faire pousser de nombreux diamants, diront-elles… mais si ce n’est pas le cas, elles peuvent également utiliser des cheveux du défunt, ou des cheveux de parents vivants, ou même du carbone récupéré sur une photo du défunt, des lettres personnelles ou son journal intime. Un tiktokeur qui avait dénoncé l’industrie des diamants de crémation a reçu un commentaire sur sa vidéo de la part d’une personne qui travaille prétendument dans l’une de ces entreprises ; selon cette dernière, les diamants de son employeur contiennent de 8 % à 10 % de cendres de crémation. Le reste du diamant est composé de carbone provenant d’autres sources.

J’aimerais bien savoir quelle proportion de ces diamants est constituée de carbone directement récupéré des cendres de crémation. Je présume que ça varie beaucoup en fonction des circonstances. Pour en savoir plus, j’ai communiqué avec six entreprises qui fabriquent des diamants commémoratifs. Quatre n’ont pas réagi et une a expliqué qu’elle n’avait pas le temps de répondre à mes questions. La dernière a affirmé que l’ensemble du diamant, à l’exception du minuscule germe, provient des cendres, à moins que la quantité de carbone récupérée des cendres soit trop faible, auquel cas elle demande au client une source supplémentaire de carbone.

Vous vous demandez peut-être s’il existe un moyen d’analyser un diamant commémoratif après coup pour savoir dans quelle mesure il provient des cendres de crémation. Bien que les experts en pierres précieuses puissent distinguer les diamants naturels des diamants synthétiques — ces derniers présentent de petites inclusions dans le réseau du diamant, et les lignes de croissance dans le réseau ainsi que les motifs révélés par des rayons UV diffèrent entre les diamants naturels et synthétiques —, il n’y a à ma connaissance aucune façon de reconnaître un diamant synthétique produit à partir de cendres de crémation et un autre diamant synthétique produit à partir de graphite ordinaire, et rien ne nous permet non plus d’évaluer clairement le pourcentage de carbone provenant des cendres de crémation dans un diamant. Ainsi, un diamant commémoratif pourrait, en théorie, contenir 99,99 % de carbone issu des cendres de crémation (pas 100 %, car un minuscule diamant naturel doit être utilisé comme germe)… ou 20 %… ou 8 %.

Est-ce suffisant ?

Prêté par l’univers

En définitive, la valeur d’un diamant commémoratif est surtout sentimentale. Pour utiliser un langage scientifique, il fait ironiquement appel à une croyance surnaturelle en l’« essence ». Cette même essence suscite chez les gens un mouvement de recul à l’idée de porter un gilet qui aurait appartenu à un tueur en série, ce que le chercheur Bruce M. Hood a pu vérifier lors de nombreuses conférences. Une partie de notre cerveau veut croire que la veste est contaminée par le mal. Il est tout aussi facile de penser qu’un diamant fait d’atomes de carbone provenant d’un proche contient son essence. Et comme par hasard, une étude a même confirmé que ces diamants pouvaient contribuer au processus de deuil. Cette étude, bien sûr, a été commandée par l’un des fabricants de diamants commémoratifs. Mais cette croyance en une essence ineffable est à double tranchant : si vous êtes catholique romain, vous devez savoir que le Vatican n’autorise pas la conservation des cendres de crémation dans des bijoux, ni même leur dispersion.

Il sera plus difficile de convaincre les scientifiques, en particulier les chimistes et les physiciens, de la valeur d’un diamant commémoratif. Du carbone, c’est du carbone. Qu’un atome de carbone fasse partie du graphite à la pointe de mon crayon ou qu’il soit un élément constitutif de mon ADN, c’est du pareil au même. Et de toute façon, le carbone récupéré sur les ossements incinérés ne provient même pas de l’ADN, mais plutôt d’un composé chimique assez ordinaire, le carbonate de calcium. Vous pouvez acheter en pharmacie du carbonate de calcium sous forme de supplément de la marque Tums. C’est un antiacide. Une fois ingéré, le calcium devient une partie de vous et le carbonate finit par être expulsé par des rots sous forme de dioxyde de carbone. Et lorsque vous êtes incinéré, la majeure partie du carbone de votre corps se transforme également en dioxyde de carbone, qui circule dans l’air ambiant.

Tout ce carbone multiusage provient initialement de la fusion de l’hélium dans notre soleil. Nous sommes tous faits, comme dit le proverbe, de poussière d’étoiles. Nos atomes nous sont prêtés par l’univers. Cette unicité me semble plus belle et plus poétique que toute revendication d’essences distinctes.

Si je tenais un diamant commémoratif dans ma main, je pense que je serais plus impressionné par les technologies que nous avons mises au point pour créer artificiellement ce diamant — ou n’importe quel diamant — que par sa prétendue essence, métamorphosée à partir de poussière d’os en gemme synthétique.

En fin de compte, sa valeur est plutôt subjective.

Message à retenir :

  • Les diamants commémoratifs sont cultivés à partir du carbone récupéré des cendres de crémation.
  • Certains soutiennent que c’est impossible, puisque les températures nécessaires pour la crémation détruisent le carbone.
  • Or, le carbone peut survivre à la crémation et peut même être utilisé pour dater d’anciennes cendres de crémation.
  • D’un point de vue scientifique, le carbone récupéré des cendres de crémation n’a rien de particulier, et la forme qui survit à la crémation correspond à l’ingrédient actif des comprimés antiacides.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.

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Merci pour la profondeur de l’Investigation, et la poésie qui vient avec. Bonne journée sous le soleil 🙂

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