L’écologiste Pierre Dansereau s’est éteint à l’âge de 99 ans.
Pionnier de l’écologie scientifique, titulaire de 17 doctorats honorifiques, ce grand scientifique et humaniste aura marqué l’entrée du Québec dans l’ère moderne. À voir à son sujet, cette passionnante exposition en ligne réalisée par le Service des archives de l’UQÀM.
En 2003, j’avais interviewé Pierre Dansereau dans son labo de l’UQÀM, à l’occasion d’un numéro spécial du magazine Découvrir pour les 80 ans de l’Acfas.
Lui qui avait participé au congrès de l’Acfas pour la première fois en 1932 m’avait alors brossé un portrait très dur du monde de la recherche.
Voici un extrait de ses propos.
On sait depuis Darwin que la nature s’appuie autant sur la coopération que sur la compétition. Or, à notre époque de libéralisme triomphal, seule la compétition est encouragée par la société et par le monde de l’éducation en particulier.
Le secteur de la recherche n’a pas échappé à cette dérive: la compétition a supplanté la coopération pour devenir plus dure qu’elle ne l’a jamais été.
La communauté scientifique est un coupe-gorge effroyable, où les tensions entre personnes, surtout celles qui sont en compétition pour décrocher les subventions, sont telles qu’elles entravent, à mon avis, la créativité scientifique.
[…]
Les chercheurs ont la responsabilité sociale de donner leur opinion sur toutes sortes de sujets. Mais leur poids dans la société actuelle est beaucoup trop faible.
Aujourd’hui, les universitaires parlent peu, il est beaucoup plus facile pour eux de ne pas se prononcer. On ne fait pas non plus suffisamment appel à leurs connaissances.
Aux débuts de l’Acfas, des scientifiques comme le frère Marie-Victorin exprimaient volontiers leur point de vue et occupaient l’avant-scène. Qu’une campagne électorale puisse se dérouler sans qu’à aucun moment on n’évoque ni les questions d’environnement ni la science est tout à fait révélateur.
Pierre Dansereau est toujours resté fidèle à ses valeurs. Fervent défenseur de la nature, il n’est jamais passé de l’écologie scientifique à l’écologisme militant, préférant tenter de convaincre les politiques par des arguments toujours appuyés par la science.
Puissent d’autres prendre sa relève…
Pierre Dansereau restera dans l’esprit des chercheurs un modèle de chercheur engagé et responsable.
En fait, le premier congrès de l’ACFAS a eu lieu en 1933. En 1933, M. Dansereau pratiquait aussi un type navrant d’engagement civique (une erreur de jeunesse). Que cela nous mette en garde contre les enthousiasmes irréfléchis et l’esprit de meute: ils peuvent infecter même les grands esprits.
On a des détails de son militantisme en pages 267-270 de “Les intellectuels québécois: formation et engagements 1919-1939″ (Catherine Pomeyrols, l’Harmattan, 1996, 537 pages)
Par exemple, le 20 avril 1933, Pierre Dansereau et André Laurendeau ont organisé une assemblée intitulée « Politiciens et Juifs ». Leur but était de protester contre Raoul Dandurand, sénateur libéral, et Fernand Rinfret, maire de Montréal. En effet, ces 2 politiciens s’étaient associés à une protestation tenue par la communauté juive à l’aréna Mont-Royal le 6 avril 1933. Le but de cette protestation qui a suscité l’ire et le fiel de Dansereau: lutter contre les persécutions nazies en Allemagne!
Voici quelques extraits des discours de Dansereau et Laurendeau.
Dansereau: “Nous (NDLR: les Canadiens-Français) avons tout ce qu’il faut pour devenir une race supérieure. (…) C’est donc que l’élément juif représente, au Canada, une puissance plus forte que la voix du sang. Tolérance! Tolérance! ont-ils crié. Mais ce mot, mesdames et messieurs, ne fait pas partie du vocabulaire chrétien. (…) Si ce n’était encore que l’argent juif qui nous asservissait, nous aurions moins à nous plaindre. Mais chaque jour, l’internationalisme juif fait des progrès, même chez les nôtres.” Dansereau termine son discours en regrettant “le temps jadis où c’était l’amabilité française qui vous répondait derrière les comptoirs et non (…) le hideux empressement des juifs.”
Laurendeau: « Les Juifs représentent un rêve chimérique et dangereux qu’il faut à tout prix étouffer. (…) Les Israélites aspirent au jour heureux où leur race dominera le monde. (…) Par la puissance que communique l’argent, ils dirigent la politique, jusqu’au jour où par un violent sursaut le peuple s’en délivre et les dépouille. »
(Dansereau et Laurendeau sont plus tard revenus sur cette période de leur carrière pour reconnaitre leur erreur; espérons que les jeunes antisionistes contemporains, le pendant contemporain de ces jeunes antisémites de1933, en feront autant, et rapidement)
Que peut-on faire en 99 ans? Quelques erreurs comme nous le rappelle avec tact honorable. N’oublions pas que l’ambiance sociologique et politique des années 30 a été un terreau fertile pour des erreurs de ce type. Et nous, quelle aurait été notre position si nous avions véçu à cette époque? Quelles erreurs des années 2010 identifierons-nous dans cinquante ans?
En passant, il y a une nette distinction (que malheureusement peu font)entre antisémite (être contre les juifs en tant que peuple) et antisioniste (être contre le mouvement politique et religieux visant à créer un État juif en Palestine). On peut être antisioniste (certains juifs le sont aussi) sans être antisémite. Par ailleurs, on peut également critiquer le modus operanti de l’État isaélien (comme pour tout État ou gouvernement) sans aucunement être antisémite ou antisioniste.
Mais 99 ans ça donne surtout beaucoup de temps pour apporter une contribution inestimable à la science et à l’écologie. Et c’est ce que les gens retiendrons de monsieur Dansereau.