Polluants éternels : pas de panique ! 

Les échos d’une étude publiée récemment font paraître le problème des polluants éternels dans l’eau du robinet de certaines villes plus grave et urgent qu’il ne l’est réellement. Une analyse de notre chef de bureau science et santé.

turk / Getty Images

L’eau potable de plusieurs municipalités du Québec contiendrait des concentrations élevées de PFAS, des contaminants connus sous le nom de polluants éternels, selon une étude publiée récemment par l’équipe de Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal. Dans son communiqué, l’Université parle de résultats « préoccupants », qui mettent cinq municipalités « en eau trouble ». L’émission Enquête, de Radio-Canada, y a consacré un épisode. Le chercheur a raconté dans un autre média qu’il préfère filtrer l’eau du robinet chez lui, à Montréal, pour diminuer les quantités qu’il absorbe.

Le directeur national de santé publique du Québec, le Dr Luc Boileau, s’est de son côté montré très rassurant : même si la question des PFAS est jugée d’intérêt pour la santé publique, rien ne justifie qu’il faille arrêter de consommer l’eau du robinet. 

Alors, que penser de tout ça ? 

« Je ne dirais pas que c’est dangereux de boire l’eau du robinet. On est dans des niveaux de risque très faibles, mais je suis quand même inquiet », m’explique Sébastien Sauvé en entrevue. 

Le chercheur est d’accord sur le fond avec le Dr Boileau. Mais ce chimiste très reconnu pour ses recherches sur l’analyse de contaminants environnementaux, mais qui n’est pas expert en santé publique ni en toxicologie humaine, s’inquiète que la santé publique ne s’intéresse pas davantage à la contamination par les PFAS, dont on ne sait pas tant à quelles doses ils ont un effet sur la santé. Il craint que la population tente de se rassurer avec des solutions plus ou moins inutiles : l’eau en bouteille contient des PFAS, et tous les filtres ne remplissent pas leurs promesses.

En résumé, disons-le d’emblée : où que ce soit au Québec, il n’y a pas lieu de paniquer, selon la recherche actuelle. Et voici pourquoi.

Que sont les polluants éternels ?

Inventées dans les années 1940, les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) sont un groupe qui comprend des milliers de molécules différentes. Environ 250 seraient actuellement synthétisées dans le monde, selon une analyse récente de l’Agence européenne des produits chimiques. On en retrouve notamment dans des tissus d’ameublement, des lubrifiants industriels ou automobiles, des mousses d’extincteurs pour l’aviation, des ustensiles antiadhésifs (le Teflon est un PFAS), des emballages alimentaires, des cosmétiques, des pesticides, dans les produits de fartage ou la semelle des skis et dans bien des instruments médicaux et équipements militaires. 

Ces molécules ont des groupements chimiques dans lesquels un nombre variable d’atomes d’hydrogène ont été remplacés par des atomes de fluor. Leurs propriétés font que les PFAS se dégradent très lentement dans l’environnement, ce qui leur a valu leur surnom un peu abusif de forever chemicals (traduit par polluants éternels), une expression bâtie à partir des symboles F du fluor et C du carbone. 

Un problème omniprésent

Les PFAS ont beau être qualifiés de nouveaux polluants, ils ne sont pas apparus hier. On n’en a jamais trouvé dans l’eau potable des villes du Québec parce qu’on ne les y a jamais vraiment cherchés. Et on en trouve des traces partout dans le monde — il y en a même dans l’eau de pluie ou en Antarctique ! — parce que ces produits sont persistants et utilisés depuis des décennies… mais aussi parce que les techniques d’analyse ont beaucoup progressé. Les chercheurs comme Sébastien Sauvé sont désormais capables de repérer des quantités de moins d’un nanogramme par litre, qui correspond à environ une cuillère à café déversée dans le volume de 1 000 piscines olympiques.

Benoît Lalonde, chercheur au ministère fédéral Environnement et Changement climatique Canada, a publié en 2022 un portrait de la présence des PFAS dans les lacs et rivières du Canada. Il n’est pas étonné par les quantités retrouvées dans l’eau potable par Sébastien Sauvé et son équipe, qui sont cohérentes avec ses propres analyses. 

Parmi les 376 villes dont l’eau a été échantillonnée, c’est à Val-d’Or qu’a été trouvée la concentration de PFAS la plus élevée, environ 108 ng/litre. À Saint-Donat, dans les Laurentides, 81 ng/litre. Quelques autres municipalités en ont environ 30 ng/litre. Partout ailleurs, il y en a moins de 15 ng/litre, et parfois aucun. La méthode d’analyse de Sébastien Sauvé lui a permis de comptabiliser les concentrations de 42 PFAS différents, pas seulement 10 ou 12 comme cela se fait souvent ailleurs.

Puisque le Québec n’a jamais compté d’usine de PFAS, les concentrations sont sans commune mesure avec celles relevées aux États-Unis et en Europe à proximité des sites où ont été fabriqués des PFAS, ou des lieux où ils ont été utilisés en très grandes quantités. 

Les PFAS sont-ils dangereux ?

À la fin des années 1990, on a découvert une grave contamination de l’environnement autour d’une usine de PFAS de la société DuPont à Parkersburg, en Virginie-Occidentale. Ce scandale du C8 (un type de PFAS qu’on appelle PFOA), raconté en 2019 dans le film Dark Waters, a fait grand bruit. Des enquêtes et poursuites judiciaires ont permis de découvrir que les PFAS produits à ce moment-là — surtout le PFOA et le PFOS — pouvaient avoir un effet néfaste sur la santé humaine, en plus de persister dans l’environnement, et que ces risques étaient connus des fabricants depuis longtemps. De multiples études ont alors fait des liens entre les PFAS et divers problèmes de santé, comme des cancers, des problèmes de thyroïde, un petit poids à la naissance ou un taux de cholestérol élevé, sans que les chercheurs parviennent toutefois à s’entendre sur les doses ayant réellement un effet. 

« Plusieurs études ont associé un taux plus élevé de PFAS dans le sang de jeunes enfants à une production un peu moindre des quantités d’anticorps produites en réaction à certains vaccins », explique Mathieu Valcke, toxicologue à l’INSPQ, qui suit aussi cette problématique. Cet effet pourrait être entraîné par des doses très faibles de PFAS. « On n’a pas observé de conséquences cliniques à court ou moyen terme pour ces enfants : les vaccins sont tout aussi efficaces chez eux. Cependant, cette histoire d’anticorps est un peu comme le canari dans la mine, qui nous indique qu’il faut s’occuper de ces contaminants. » 

Une pollution en baisse

Les « vieux » PFAS sont déjà interdits et listés dans la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Au Canada, le PFOS l’est depuis 2008, et le PFOA et quelques autres depuis 2016. Les concentrations de ces « vieux » PFAS relevées dans l’environnement ont déjà baissé, selon Benoît Lalonde. Même chose dans le sérum des Canadiens, montre un suivi fédéral. 

Mais ces substances ont été remplacées par d’autres PFAS, beaucoup moins étudiés, dont on craint, sans en être certains, qu’ils aient le même genre d’effets. En vertu du principe de précaution, de nombreux pays, dont le Canada, cherchent désormais à diminuer l’exposition à tous les PFAS. 

Une des premières cibles que visent les gouvernements est l’eau potable, car c’est une ressource essentielle. Mais nous sommes aussi exposés aux PFAS par les aliments, et les poussières qu’on respire. Une analyse très détaillée menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments a d’ailleurs estimé que sur ce continent, les aliments apportent beaucoup plus de PFAS que l’eau du robinet. L’Agence en a trouvé un peu partout, dans les poissons, les viandes, les fruits et légumes, les produits préparés… « Au Québec, on a très peu de données sur les taux dans les produits d’épicerie. Par contre, on sait qu’il y a souvent bien plus de PFAS dans les poissons qu’on pêche que dans l’eau du robinet », explique Sébastien Sauvé.

Quel risque dans l’eau potable ? 

Le Québec n’a pas encore de norme sur les PFAS dans l’eau potable. Aux États-Unis, la norme est pour l’instant de 70 ng/litre. Mais dans ce pays où l’on ne compte plus les procès entourant les PFAS, l’Agence de protection de l’environnement a ajouté en juin 2022 un élément qui crée beaucoup de controverse et de confusion : à partir de la littérature scientifique en toxicologie, elle a indiqué pour les « vieux PFAS » des cibles de concentrations dans l’eau qui seraient théoriquement souhaitables pour éviter tout risque pour la santé si on en consomme toute sa vie. Les niveaux visés sont très, très bas, de 0,004 ng/litre pour le PFOA par exemple. Lorsque les normes américaines seront revues en 2023, elles seront probablement plus élevées que ces valeurs cibles, car elles devront tenir compte de ce qui est réalistement faisable dans les usines qui traitent l’eau.

L’Europe, elle, a choisi en 2020 de fixer deux normes selon le nombre et la nature des molécules évaluées, de 100 ng/litre ou de 500 ng/litre. Celles évaluées par l’équipe de Sébastien Sauvé entrent dans la première catégorie, m’a précisé le chercheur. Autrement dit, si Val-d’Or était en Europe, son eau qui contient 108 ng/litre de PFAS serait considérée comme à peu près potable (compte tenu de la marge d’erreur). 

La norme européenne, qui est celle que préconise aussi l’OMS, est toutefois contestée, et plusieurs pays ont choisi de fixer des limites aussi basses que 2 ng/litre.

Le Canada, lui, a une autre stratégie, qui fait actuellement l’objet d’une consultation : Santé Canada propose une concentration maximale acceptable de 30 ng/litre pour l’ensemble des PFAS, que les usines de traitement de l’eau devraient viser, sans pour autant que cela soit obligatoire. « Cela me semble un bon compromis », juge Sébastien Sauvé.

La bonne nouvelle qu’apporte donc son étude, c’est que toutes les villes du Québec sauf deux satisfont déjà à cet objectif. Certes, à Val-d’Or et à Saint-Donat, il faudra trouver un moyen d’abaisser les taux de PFAS, soit en changeant de source d’eau — une démarche déjà en cours —, soit en ajoutant un traitement dans l’usine. À moins qu’on trouve la source de cette contamination plus élevée qu’ailleurs et qu’on puisse s’en occuper. Mais la situation n’est pas dramatique au point qu’il faille arrêter d’y boire l’eau, comme cela se produit quand on trouve par exemple la bactérie E. coli ! 

Peut-on diminuer son exposition aux PFAS ?

Vous voulez quand même limiter votre exposition aux PFAS dans l’eau ? Sachez que faire bouillir celle-ci n’enlève pas les PFAS. L’eau embouteillée en contient aussi, en plus de poser bien d’autres problèmes. Restent donc les filtres, qui peuvent, ou non, aider. 

Sébastien Sauvé, qui a choisi de filtrer son eau à Montréal, où il a mesuré 13 ng/litre de PFAS, n’estime pas que toute la population devrait en faire autant. « Le gain est sans doute très mince », me raconte-t-il. 

Comme d’autres chercheurs, il a testé la capacité des filtres au charbon actif à retenir les PFAS. Certains font bien le travail, d’autres pas, « et c’est la même chose pour les filtres non certifiés, mais qui prétendent retenir ces contaminants », explique-t-il. Sans compter qu’un filtre qui n’est pas changé aussi régulièrement que le recommande le fabricant perd rapidement toute efficacité contre ces contaminants présents en quantités infimes. 

« D’un point de vue de santé publique, on ne peut pas s’attaquer à un problème avec une mesure aussi inégalitaire que des filtres individuels, qui sont à la portée des plus riches seulement », note Mathieu Valcke, de l’INSPQ. 

Le toxicologue se dit très satisfait de l’étude de Sébastien Sauvé, qui lève le voile sur une des voies par lesquelles les Québécois sont exposés aux PFAS, et qui va permettre à la santé publique de mieux évaluer les risques. 

Note

La version originale de cet article a été modifiée le 6 mars 2023 pour préciser que la structure moléculaire des PFAS renferme des groupements chimiques dans lesquels des atomes d’hydrogène ont été remplacés par des atomes de fluor.

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Personnellement, je trouve que c’est un très mauvais article qui en partant met en doute l’opinion d’un chercheur en soulignant qu’il n’est pas un spécialiste de santé publique. Désolé, mais ce sont généralement les opinions d’en dehors d’un domaine qui permettent les avancées les plus importantes par ce qu’ils sont en mesure d’observer la forêt au d’être parmi les arbres. Deuxième, l’élément le plus important qui devrait être pris en considération est négligé: l’exposition totale. Nous sommes exposés à ces molécules de multiples façons. Faut-il toujours attendre d’avoir la confirmation d’augmentation de taux de cancer pour prendre au sérieux l’exposition aux matières polluantes? Quelle réflexion bâclée.

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L’impact de tous ces micropolluants est loin d’être bien documenté et les travaux de recherche de Mathieu Sauvé sont un excellent exemple de multidisciplinarité nécessaire dans ce domaine afin de bien évaluer l’état actuel de la question. Je rejoins le commentaire précédent, a l’effet l’article passe carrément à côté de son sujet laissant encore une mauvaise interprétation (lecture) des faits.
En effet, les impacts sociaux pourraient êtres aussi considérables que l’impact sur la santé globale d’un individu.

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On m’a rapporté personnellement que « la plupart des systèmes à osmose inversée devraient bien fonctionner (vérifier les rendements pour les PFAS). Sinon, il y a aussi des pichets filtrants, Zerowater semble bien fonctionner pour les PFAS. » Vérification faite, j’ai acheté le pichet distributeur – au lieu du « Brita Elite » plus performant que le standard que j’utilisais d’habitude, mais qui ne mentionne pas pour autant qu’il est efficace contre les PFOA/PFOS – pour le fameux filtre Zerowater : sauf qu’il faut en changer vraiment, très, très souvent, ce qui finit par être coûteux (environ 40 $ pour deux), si on veut en maintenir l’efficacité certifiée selon la norme NSF/ANSI 53, car sur la boîte il est écrit que « sa durée de vie nominale est de 75,71 litres, débit de service 7,57 litres par jour. » Ce filtre en enlève 94,9 %.

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Bien d’accord avec MM Simard et LaForest.

Pas de panique?

Quand on me dit ça je suis plus sceptique.

99% des Canadiens ont des PFAS dans leur organisme.

La dose ne fait pas toujours le poison contrairement à l’idée reçue.

L’Union Européenne propose d’interdire, après 2026, la production, l’utilisation, l’importation et la mise en marché de quelque 10,000 composants appartenant aux perfluorés et PFAS dans l’EU comme dans l’espace économique européen. Cette famille de composés regroupe plus de 4700 molécules soupçonnées pour certaines d’avoir un impact néfaste sur la santé. Les auteurs du projet estiment qu’au moins 4.4 millions de tonnes de PFAS s’échapperont dans l’environnement au cours des 30 prochaines années si rien n’est fait.

On interdit 2 substances , PFOS et PFOA, ici, mais on importe tellement de choses de pays où on en produit encore. Puis on dit qu’il y a 250 autres substances moins étudiés qui remplacent les 2 interdites?

Les niveaux visés pour éviter tout risque pour l la santé pour une molécule, le PFOS, est de 0.02 ppt ou ng/l et on va suggérer 30 ng/ldans l’eau pour l’ensemble des PFAS qui regroupent 4700 molécules!

Pas de Panique?

Cynique.

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Bonjour,
Merci de votre commentaire. Je crois qu’il faut bien distinguer «panique» et «préoccupation». Ça peut être extrêmement inquiétant pour certaines personnes de savoir qu’il y a des contaminants dans l’eau potable, à quelque concentration que ce soit et quelques soient leurs effets sur la santé. Il est important de relativiser le risque des PFAS comparé, par exemple, à une contamination par E.coli qui représente un danger immédiat et impliquer d’arrêter de consommer l’eau.
La question des PFAS est préoccupante, mais d’une autre manière, et c’est important que l’on distingue bien les deux car tous les risques sont sont pas de la même nature. Elle s’inscrit dans la liste déjà assez longue de produits dont on découvre la toxicité bien après qu’ils aient commencé à être utilisés, comme ce fut le cas pour le DDT par exemple. Les gouvernements pourraient agir plus rapidement et les lobbies industriels n’aident pas. Mais ça bouge, et c’est une très bonne chose. Depuis que PFOA et PFOS ont été interdits (il est aussi interdit d’importer au Canada des produits qui en contiennent) la concentration dans le serum sanguin des Canadiens a quand même diminué de moitié en 10 ans, c’est encourageant. Il faut regarder maintenant très attentivement les autres PFAS et probablement qu’on va finir par en interdire plusieurs, voire la totalité, par précaution. L’Europe mène le bal et on devrait s’en inspirer, mais elle est aussi la première à reconnaître qu’on ne peut pas fixer une norme extrêmement basse pour l’eau potable tant que les PFAS sont omniprésents. Les valeurs guides sanitaires choisies aux États-Unis sont très controversées car inatteignables, il faudra voir quelle sera leur norme révisée.
Bref, c’est un dossier à suivre.