Je vous ai demandé mercredi quel examen (ou traitement) est « généralement » indiqué en première ligne parmi quatre choix. Vous avez majoritairement répondu les prises de sang annuelles. Erreur !
La bonne réponse était plutôt l’électrocardiographie (ECG) en cas de syncope (perte de conscience subite), qui permet de diagnostiquer certaines causes cardiaques graves.
Les trois autres choix étaient donc erronés : on ne doit généralement pas prescrire de radiographie pour les maux de dos sans complication ; ni d’antibiotiques pour une sinusite simple ; ni — surtout ! — de prises de sang annuelles chez les gens en bonne santé, sauf s’il y a des indications précises à cet égard.
On constate donc qu’on peut aisément pécher par… excès de soins. Un sujet qui me passionne depuis plusieurs années.
Quiz du mercredi. Quel examen ou traitement est généralement indiqué en première ligne? #choisiravecsoin
Réponse dans mon prochain blogue @Lactualite
— Alain Vadeboncoeur (@Vadeboncoeur_Al) May 23, 2019
Trop soigner les gens
Trop soigner, est-ce donc possible ? Mais oui ! Je vous en ai reparlé à propos du dépistage du cancer de la prostate.
Trop soigner, c’est un des grands problèmes de la médecine et des systèmes de santé contemporains. Un défi de taille, où on commence tout juste à agir.
L’initiative Choisir avec soin vise justement à diminuer les soins, examens et traitements inutiles en se basant sur les meilleures données scientifiques. Cette science qui peut nous montrer quels tests sont inutiles et quels traitements ne fonctionnent pas ou sont même nuisibles. La question est de savoir lesquels.
L’intérêt de l’approche, c’est que les recommandations sont formulées par les organisations médicales elles-mêmes. Les médecins canadiens et québécois se sont approprié cette manière intéressante, élaborée aux États-Unis durant les sept dernières années, d’aborder la question et participent pleinement à établir de nouvelles propositions.
Il ne s’agit pas d’imposer une pratique aux médecins, ce qui ne fonctionnerait pas, mais bien de leur permettre (ainsi qu’à d’autres professionnels) de mieux réfléchir à ce qui constitue les meilleures pratiques dans chaque discipline.
Le point est pertinent, pour tous les médecins et tous les contextes de soin. Dans ce premier d’une série de deux textes, j’aborderai les recommandations touchant la médecine familiale, parce que c’est la médecine qui touche le plus grand nombre de personnes et de patients.
Le Collège des médecins de famille du Canada a émis 13 recommandations pour la médecine familiale, qui concernent certains examens trop souvent pratiqués de même que des traitements superflus. Les formulations en gras sont celles proposées.
1. Ne recourez pas à des examens d’imagerie pour des douleurs au bas du dos à moins d’être en présence de signaux d’alarme.
Il y a longtemps, on pratiquait (inutilement) des radiographies simples de la colonne lombaire pour beaucoup de patients qui avaient mal au dos. On effectue aujourd’hui des scans et même souvent des résonances magnétiques, afin de poser un diagnostic précis sur ces malaises et douleurs.
Pourtant, on sait que beaucoup de ces examens sont tout aussi inutiles que les radiographies simples. Et qu’ils ne sont pas sans risque. D’une part, les radiographies et les scans (mais pas les résonances magnétiques) exposent les patients à des radiations qui, à long terme et de manière cumulative, causent une augmentation de certains cancers.
D’autre part, même si la résonance magnétique est sûre, bien que parfois anxiogène, il s’agit d’un examen coûteux, qui consomme des ressources ne pouvant pas être affectées à d’autres soins plus importants, comme le diagnostic des cancers.
On sait déjà qu’effectuer un examen d’imagerie (scan ou résonance magnétique) avant six semaines de symptômes ne s’accompagne généralement pas de gains cliniques. On trouve ainsi souvent des anomalies sans lien avec les douleurs et des tests normaux malgré une souffrance évidente.
Mais dans quels cas doit-on tout de même procéder à une imagerie médicale ? On parle dans la définition de signaux d’alarme, alors quels sont-ils pour les maux de dos ?
La douleur elle-même n’est pas vraiment un de ces signaux. Toutefois, si on est en présence de signes neurologiques (diminution de la force, surtout), par exemple une faiblesse progressive de la jambe associée à un problème de lombalgie (mal au bas du dos), il peut s’agir d’une compression des racines nerveuses qui demande une intervention.
On doit aussi pratiquer un examen s’il y a des conditions associées potentiellement graves, notamment si on soupçonne une infection à l’os ou un cancer ou dans le cas de certains traumatismes. Mais évidemment, on ne parle plus de simple mal de dos, ici !

2. N’utilisez pas d’antibiotiques pour traiter une infection des voies respiratoires supérieures vraisemblablement d’origine virale, comme une maladie s’apparentant à la grippe, ou spontanément résolutive, comme une infection des sinus qui dure moins de sept jours.
La surutilisation des antibiotiques et ses conséquences sont depuis longtemps un fléau en médecine (de même que dans l’univers de l’élevage), qui conduit à des problèmes bien réels, notamment l’augmentation de la résistance des bactéries aux antibiotiques.
Pourtant, bien des patients en réclament pour rien et bien des médecins en prescrivent pour rien. Combien de patients reçoivent encore — inutilement ! — des antibiotiques pour des infections virales qui guérissent pourtant seules ?
Dans ces cas, l’antibiotique n’est associé généralement à aucun gain, sinon celui de causer des complications, comme des diarrhées, parfois graves. Contrairement à ce qu’on enseignait autrefois, les sinusites, les otites et les bronchites guérissent d’elles-mêmes dans la majorité des cas.
Bien sûr, les antibiotiques dans certains cas particuliers peuvent être utiles, mais il s’agit d’une minorité de situations. Pour la sinusite, par exemple, on convient généralement que si elle dure moins de sept jours, les antibiotiques sont inutiles. Donc, exit les antibiotiques pour rien !

3. Ne prescrivez pas de radiographies pulmonaires ou d’électrocardiogrammes de dépistage aux patients asymptomatiques ou à faible risque.
Les radiographies pulmonaires ont été longuement prescrites en dépistage, par exemple pour des travailleurs. Autrefois, on cherchait ainsi notamment à dépister la tuberculose, mais ce n’est depuis longtemps plus une maladie prévalente dans nos sociétés, sauf dans certaines communautés à risque. Par ailleurs, la radiographie est inefficace pour dépister le cancer.
Le principe est le même pour les électrocardiogrammes, où il s’agit d’un test simple, mais qui n’a pas sa place pour les patients qui n’ont pas de symptômes particuliers. Ils ne permettent pas de gains cliniques, c’est-à-dire allonger la vie ou améliorer la qualité de vie.
Comme le souligne la recommandation, ces tests peuvent mener à des investigations complémentaires inutiles, puisqu’elles ne modifieront pas non plus le pronostic à long terme. On peut donc dire avec raison, comme le précise Choisir avec soin, que « les éventuels inconvénients d’un tel dépistage systémique dépassent les bénéfices potentiels ».
Bien sûr, en cas de syncope, c’est bien différent : on ne dépiste pas, on cherche à poser un diagnostic ! À moins d’une cause évidente qui ne dépend pas du cœur, l’examen est donc important afin de s’assurer qu’on ne se trouve pas devant une anomalie significative ayant entraîné ce qu’on appelle une « syncope cardiaque ». Bravo, c’était tout de même votre second choix !
4. Ne soumettez pas les femmes de moins de 21 ans ou de plus de 69 ans aux examens de dépistage par frottis cervico-vaginal (test Pap).
Les gains cliniques découlant des dépistages par test Pap réalisés chez les femmes se situent entre 21 et 69 ans *. Sauf situation clinique particulière, on ne reconnaît pas de gain à pratiquer ces examens (en dépistage) avant 21 ans ou après 70 ans, comme nous le rappelle Choisir avec soin.
Pour ce qui est de la fréquence, les recommandations sont plus limitées qu’avant, puisqu’on suggère d’effectuer ce test tous les deux à trois ans, selon les cas, du moins pour les patientes à bas risque.
5. Ne demandez pas d’analyses sanguines de dépistage chaque année, sauf si le profil de risque du patient l’exige.
C’est l’une de mes recommandations préférées, comme vous le savez. Comme le montre mon sondage Twitter, nombre de patients fort généreux aiment se faire prélever du sang annuellement et sont ainsi rassurés. Pourtant, et cela est bien démontré, pour les patients en bonne santé, il n’y a aucun intérêt à pratiquer de telles prises de sang régulières.
Si certains dépistages sont recommandés par la science, ils le sont d’ailleurs à des fréquences bien moindres qu’une fois par année. Surtout, leur nombre est plus restreint que ce qu’on mesure généralement dans les prises de sang annuelles, comme le montre l’excellent document du Collège des médecins à cet égard. Si on prend la peine de les parcourir, on se rend compte que les recommandations sont bien plus restreintes que celles auxquelles on peut s’attendre.
Mais on pratique bien trop souvent nombre de prises de sang chez les patients, qui finissent par se convaincre qu’elles sont utiles. Or, vous ne devriez pas en réclamer et le médecin ne devrait pas non plus vous en prescrire. Ça demande quelques minutes de plus pour expliquer le tout à un patient, mais on gagnera beaucoup en temps, argent et ressources. Pas de prise de sang annuelle de routine, donc !
6. Éviter de prescrire systématiquement un dosage de la vitamine D chez les adultes à faible risque.
Bien qu’il existe des controverses portant sur la prise systématique de vitamine D pour la population nordique, celle-ci est généralement recommandée chez les adultes, notre exposition solaire étant peut-être insuffisante pour maintenir « une concentration adéquate de vitamine D », dans laquelle le soleil joue un rôle important.
Mais il est inutile de faire un dosage de vitamine D, sauf dans certaines situations particulières, qui touchent un petit nombre de patients, notamment chez ceux qui ont des maladies rénales ou métaboliques graves. Sinon, c’est un dosage inutile de plus, donc une autre perte de temps et d’argent.
***
Voilà pour les six premières recommandations de Choisir avec soin pour la médecine familiale. Si vous trouvez que votre médecin en prescrit un peu trop, parlez-en avec lui : peut-être a-t-il de bonnes raisons de le faire, mais peut-être aussi prescrit-il ces examens par habitude. Comme vous êtes le patient, c’est à vous de poser les bonnes questions.
La semaine prochaine, je traiterai des sept dernières recommandations en médecine familiale. Et nous aurons ainsi achevé ensemble le tour de ce sujet capital.
*Note 26 mai: au Québec, la recommandation est de dépister jusqu’à 65 ans pour les test pap.
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Devrait-on consulter quand on n’est pas malade, même après 65 ans?
Merci
J’ajouterais,
Le commentaire ne s’adresse pas aux urgentologues!
Chers médecins, les tests devront confirmer plutôt que dépister. Vous devrez lâcher votre crayon et examiner. Le stéthoscope devra servir à autre chose qu’un symbole autour du cou. Et vous pourrez arrêter dès lors de jongler avec les taux de prévalence pour minimiser les appréhensions de vos patients! 😉
p.s. j’aime bien votre « à faible risque » saupoudré un peu partout! Encore le taux de prévalence rassurant…
Voir ce documentaire sur les antibiotiques. En 15 minutes, un test peut maintenant savoir si on peut savoir s’il s’agit d’un virus ou d’une bactérie. ça vite les antibiotiques inutiles.
https://www.cbc.ca/passionateeye/episodes/the-truth-about-antibiotics
« Ceux qui abuseront de la pénicilline seront mortellement responsables des personnes qui périront à cause des germes résistants » Alexander Fleming lors de la remise de son prix Nobel en 1945
J’ai attrapé Pseudomonas aeruginosa lors d’une courte visite à l’hopital, août 2010. Mon généraliste m’a tâté le cou et a répondu: « ce n’est qu’un virus, ça va partir tout seul ». Deux mois plus tard, je l’informais d’une perte de poids et d’énergie. et de toux. Il m’a répondu :
« quand même que tu toussoterais, tu dois accepter de vieillir ». C’est 15 mois plus tard, qu’un examen de sputum a révélé la présence de la bactérie. Elle avait eu le temps de prendre de la vigueur. Elle est encore présente malgré la prise d’antibiotiques. C’est une des plus résistantes, entre autres aux carbapénemes que l’on m’a prescrit à deux reprises.
Moins d’analyses, c’est souvent comme trop, Ça peut conduire à une maladie chronique iatrogène.
J’attends un traitement de phagothérapie, mon seul et dernier espoir.