Pour mieux soigner le cerveau, il faut comprendre ses connexions

Le Projet du connectome humain est une initiative internationale qui vise à décrire comment toutes les régions du cerveau communiquent entre elles, afin de mieux traiter un jour des maladies comme l’alzheimer, la dépression et la schizophrénie.

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Mon propre cerveau fait partie du Projet du connectome humain. En effet, j’ai eu la chance de produire un reportage sur le sujet pour Le téléjournal de Radio-Canada en 2013. Je me suis prêté au jeu de passer une heure dans le plus puissant appareil de résonance magnétique de l’époque, au laboratoire d’imagerie médicale de l’Université Harvard. Le chercheur en neurosciences Van Wedeen a utilisé avec moi une nouvelle technologie, la résonance magnétique par diffraction d’eau, qui permet de mettre en relief les groupes de neurones qui établissent les connexions dans notre cerveau. Le portrait qui s’en dégage est fascinant.

Grâce à cette technologie, on découvre que notre cerveau est un complexe enchevêtrement de réseaux de connexions qui en relient les différentes régions, que ce soit le cortex ou les structures situées à l’intérieur du cerveau. Mais l’image de ces connexions, qui ressemble à un vaste réseau d’autoroutes, est pour le moins approximative. Car le cerveau humain contient pas loin de 100 milliards de neurones — une quantité comparable au nombre d’étoiles de notre galaxie, la Voie lactée. Ces neurones font entre eux plus de 10 puissance 15 connexions, soit un million de milliards, un nombre tellement grand qu’il surpasse de beaucoup la quantité de galaxies dans notre univers. Cartographier tout cela semble un projet colossal au-delà de nos capacités. Pourtant, à long terme, c’est bien l’objectif de cette initiative.

Une étape à la fois

En 2010, les célèbres NIH, les Instituts nationaux de la santé aux États-Unis, ont financé le Human Connectome Project, qui regroupait initialement deux consortiums universitaires. Une première somme de 30 millions de dollars est allée aux universités de Washington et du Minnesota, et 8,5 millions de dollars, aux universités Harvard et UCLA. Ce premier volet de cinq ans voulait débroussailler et identifier les principales autoroutes de la cartographie neuronale. Cette carte des réseaux neuronaux donne une idée générale de la connectivité à la fois anatomique et fonctionnelle. On a donc débuté par des sujets en bonne santé, comme moi, pour avoir un portrait de départ du cerveau dit « normal ».

Le connectome, c’est en fait l’ensemble de la matière blanche du cerveau, celle qui contient des neurones recouverts d’une gaine blanche formée d’une substance grasse, la myéline, pour permettre au courant électrique de circuler efficacement. L’analogie la plus commune est de comparer cette gaine au plastique blanc qui recouvre les fils électriques de votre demeure. Ces neurones sont donc là pour relayer l’information entre les diverses régions du cerveau. Au départ, le Projet du connectome humain avait pour objectif de regarder les connexions entre 500 différentes régions du cerveau.

Mais des chercheurs comme Van Wedeen ont ensuite voulu comparer les connexions d’un cerveau sain à celles d’un cerveau malade. Et c’est là que le Projet est devenu de plus en plus pertinent pour la médecine.

Une vingtaine d’études en cours

Aujourd’hui, cette initiative a pris de l’ampleur. Les NIH coordonnent 20 études différentes sur le connectome. Au Québec, le chercheur en neuroinformatique Maxime Descôteaux, de l’Université de Sherbrooke, est un expert-conseil pour le projet américain depuis des années.

Après le cerveau d’un adulte sain, on regarde maintenant l’évolution de la connectomique de l’enfance au vieil âge ainsi que toute une série de maladies pour lesquelles nous savions déjà que les connexions entre les différentes régions du cerveau faisaient partie de leur pathologie. On parle ici de l’alzheimer, l’anxiété et la dépression, l’épilepsie, les psychoses, l’autisme, la perte de vision et divers autres désordres mentaux.

Cet ambitieux défi scientifique et technologique n’en est qu’à ses balbutiements. Dans leur plus récente rétrospective, publiée en décembre dernier, les chercheurs font état des avancées du Projet, mais concluent qu’ils sont encore très loin d’avoir cartographié le cerveau. La résolution actuelle des images, de l’ordre du millimètre, est insuffisante. Il faudrait atteindre l’échelle des nanomètres (le milliardième de mètre) pour avoir un portrait assez détaillé qui permettrait de bien comprendre l’ensemble des connexions.

Pour y parvenir, le défi est pour l’instant d’ordre technologique. Tout tourne autour des appareils utilisés et du développement d’une imagerie plus puissante et de plus haute résolution. L’autre obstacle à surmonter est l’immense capacité de mémoire informatique requise pour le stockage des résultats. La recherche est active, mais elle coûte cher.  

Des études sur les vers, mouches et souris

Depuis quelques années, d’autres chercheurs ont décidé d’explorer le connectome dans les systèmes nerveux d’organismes plus simples pour tester des techniques qui permettent de très grandes résolutions.

En 1986, les réputés biologistes Sydney Brenner et John White ont étudié le cerveau du ver. Ils ont réussi à cartographier au complet le système nerveux du nématode sans avoir recours à l’imagerie d’aujourd’hui. En 2018, une autre équipe est parvenue à reconstituer la connectomique complète des 25 000 neurones de la mouche à fruits, la drosophile. Et voici que les NIH se lancent à nouveau dans un ambitieux projet, celui de cartographier à l’échelle nanométrique le cerveau de la souris. Cela ne semble pas impressionnant à première vue, mais il faudra trouver une façon de stocker et d’analyser un million de téraoctets d’information pour obtenir toutes les connexions synaptiques de la souris. Un travail colossal qui prendra peut-être des décennies avec la technologie actuelle.

Le dernier eldorado

Le cerveau humain a un volume 2 000 fois supérieur à celui d’une souris. Il nous reste donc encore beaucoup à faire pour arriver à cartographier la connectomique complète de notre cerveau. Car il faut l’admettre, la science explore trois grands eldorados sur lesquels continue à planer beaucoup d’inconnu : l’espace, les abysses océaniques et le cerveau. Mais à défaut d’avoir la réponse de notre vivant, je vous invite à nouveau à regarder de près les saisissantes images colorées du cerveau que les équipes du Projet du connectome humain ont produites jusqu’à présent. Il y a là matière à réflexion sur la complexité du vivant et, ultimement, sur celle du comportement humain.