Pourquoi certaines personnes deviennent-elles agressives en vieillissant ? 

Une personne âgée qui devient agressive ou, au contraire, apathique, cela peut être le signe d’une maladie comme l’alzheimer, d’une autre forme de démence, ou la séquelle d’un AVC.

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L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

«Mon père a toujours été patient, réservé et affairé à aider les autres. Mais là, il dit tout ce qui lui passe par la tête, tout en étant passif quand vient le temps d’agir. Je ne peux m’empêcher de me demander si c’est le vieillissement qui entraîne ces changements ou si c’est autre chose. » Voilà une inquiétude fréquente parmi les proches de mes patients. 

L’évolution de la personnalité et du comportement au cours du vieillissement préoccupe les personnes âgées, et peut-être plus encore les gens qui les côtoient. Les familles se demandent pourquoi certains aînés deviennent désagréables, et surtout si cela est normal.

Impossible de donner une réponse générale à ces questions. Peu d’études se sont penchées sur l’évolution de la personnalité et du comportement, en particulier au très grand âge. Les comportements résultent d’interactions entre la personnalité, de possibles altérations de la santé, les rôles sociaux et les changements générationnels. Des éléments de réponse se trouvent donc autant du côté de la médecine que dans la psychologie et la sociologie.

Il faut néanmoins retenir qu’une part importante des changements de la personnalité qu’on serait tenté d’associer uniquement au vieillissement sont parfois des manifestations de pathologies du cerveau. 

Démences : les conséquences sur le comportement

La démarcation entre ce qui est normal et ce qui est pathologique peut être floue lorsqu’il est question du comportement. Comme les troubles cognitifs dégénératifs entraînent des changements dans l’ensemble des fonctions du cerveau, ils peuvent aussi altérer la personnalité et le comportement. Le degré d’atteinte varie selon le type de maladie et sa gravité. Si l’alzheimer est le type de trouble cognitif le plus fréquent, ce n’est pas celui qui modifie le plus la personnalité.

C’est la démence fronto-temporale, variante comportementale (DFT-vc) qui chamboule le plus le caractère et l’attitude des personnes touchées : la perte d’empathie, la perte de motivation, une désinhibition importante et l’apparition de comportements répétitifs et rigides comptent parmi les symptômes les plus significatifs. Les proches de la personne atteinte ont, à juste titre, l’impression de voir la maladie usurper son identité. Heureusement, cette forme de démence fronto-temporale demeure relativement rare. Elle représente moins de 5 % de tous les cas de troubles neurocognitifs.

Plus souvent, lorsque les autres troubles cognitifs, comme l’alzheimer, ont une influence sur la personnalité, c’est par l’entremise de ce qu’on appelle les « symptômes comportementaux et psychologiques de la démence » (SCPD). Ce terme désigne et englobe les changements provoqués par les troubles cognitifs qui ne concernent pas… la cognition, justement. Par exemple : les changements d’humeur, l’anxiété, la perte de motivation (apathie), les hallucinations ou autres fausses représentations de la réalité, la désinhibition ou encore l’agressivité. 

Quand le chef d’orchestre de la cognition se désordonne, l’orchestre prend tantôt la voie du retrait, tantôt celle de la frénésie. Les SCPD se manifestent de façon variable au cours de la maladie : la plupart des personnes atteintes en présenteront à des degrés divers, mais toutes n’en auront pas forcément ou n’auront pas forcément les mêmes. Au début de la maladie, par exemple, l’anxiété peut augmenter quand on remarque qu’on oublie de plus en plus, puis au stade modéré, la méfiance et l’impression de se faire voler s’installent parfois, jusqu’à l’apparition de l’agressivité et du refus des soins d’hygiène pour certains malades aux stades les plus avancés.

Les effets des AVC et des tumeurs        

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les traumatismes et les tumeurs, lorsqu’ils sont localisés dans les lobes frontaux (c’est-à-dire derrière le front), engendrent eux aussi des répercussions sur le comportement. En général, lorsqu’il s’agit d’une cause vasculaire ou d’une atteinte à la structure du cerveau, les changements surviennent plus rapidement, voire brusquement, en comparaison des troubles neurocognitifs.

La perte de la vue et de l’audition affecte les interactions

À une autre échelle, qui touche beaucoup les personnes très âgées, un comportement d’isolement et de retrait peut aussi s’expliquer par une perte substantielle des sens de la vue et de l’audition. La « désafférentation », désignée ainsi parce qu’il s’agit de la dégradation de signaux nerveux « afférents » au cerveau, entrave leur capacité à interagir avec les personnes qui les entourent et avec leur environnement. Certains de mes patients « retrouvent leur personnalité » lorsqu’ils obtiennent des appareils auditifs ou consultent l’ophtalmologiste.

Les changements normaux de la personnalité

Avant d’arriver au très grand âge, plus propice à toutes ces affections, notre personnalité peut changer, de façon normale, avec les années. Cela en surprendra plus d’un, mais lorsqu’on sonde les personnes âgées, celles-ci se disent plus heureuses que les adultes dans la fleur de l’âge. Les « jeunes vieux » (lire environ 65 ans) sont plus positifs, altruistes et confiants que les « vieux jeunes ». 

Cette trouvaille, observée dans le cadre de nombreuses études de personnalité dans différentes cultures, s’expliquerait par des attentes plus réalistes, une maîtrise de soi favorisant la stabilité émotionnelle et un certain détachement facilitant la capacité à se rendre agréable lors des interactions avec autrui. La réduction des stresseurs et du nombre d’engagements personnels et professionnels pourrait aussi contribuer positivement à une telle évolution. Tout n’est pas rose pour autant : l’ouverture d’esprit et la facilité à s’adapter aux modifications de la routine s’amoindriraient. À la différence des problèmes de santé, ces changements s’opèrent progressivement et ne sont pas flagrants.

Les études montrent également que les traits de personnalité extrêmes et pathologiques propres aux troubles de la personnalité s’amenuiseraient au fil du temps. C’est le cas des traits narcissiques, des traits antisociaux (caractéristiques des personnes sans scrupules) et des traits histrioniques (que possèdent les gens qui se comportent et s’expriment de façon théâtrale pour attirer l’attention). Ainsi, des gens qui se sont toujours crus supérieurs aux autres deviennent un peu plus humbles.  

Une question de regard

La vieillesse a le dos large et on a tendance à lui accoler, souvent par ignorance, une étiquette négative. Selon ces a priori, les personnes âgées seraient plus plaignardes que les plus jeunes. Mais est-ce une différence réelle ou une différence perçue, comme cela risque de se produire quand une génération en examine une autre ? 

Il y a plus de variations en matière de personnalité entre les personnes âgées elles-mêmes qu’entre les générations. Ayant la chance d’en côtoyer beaucoup, je vous confirme qu’il se trouve parmi mes patients âgés des personnalités plus diverses que parmi mes collègues gériatres ! Ce que chacun conclut sur le grand âge est beaucoup ce qu’il choisit de remarquer et de retenir.

On me demande souvent pourquoi j’ai voulu faire de la gériatrie ma spécialité. D’abord parce que je reconnais que le vieillissement a des conséquences sur la santé et plus largement sur la vie de la personne qui prend de l’âge. Mais surtout parce que la gériatrie se voue à la compréhension de chaque personne âgée et de tout ce qui l’entoure, afin d’offrir des soins uniques. Le gériatre cherche à voir au-delà de l’âge pour découvrir l’individu.

Selon les jours, je trouve mon métier fantastique ou plutôt pesant. Quand il est question de vieillissement, on doit tenir compte de la personnalité, des possibles maladies et… de notre propre regard.

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