Prêter main-forte à la science

Collaborer activement à des recherches qui vont améliorer notre santé ou contribuer à préserver l’environnement : c’est ce que propose la science participative, une nouvelle façon de mener des recherches qui se répand de plus en plus au Québec.

Illustration : Audrey Malo

Un filet à papillons qui fait deux fois sa taille dans une main, une loupe dans l’autre, Édouard, sept ans, se tient droit et fier, à la manière d’un superhéros. Il prend la mission du jour très au sérieux : le papillon, c’est son animal préféré, ex æquo avec le tyrannosaure. D’ailleurs, quand il sera grand, Édouard veut être « papilloniste ». Ce dimanche matin de juillet, le long des berges de la rivière des Prairies à Montréal, il participe, avec une vingtaine de personnes de tous âges, à une initiative de Mission monarque, sous le patronage de l’Insectarium de Montréal.

Accompagné par son papa, Édouard part à la recherche d’asclépiades, les plantes sur lesquelles les monarques pondent, alors qu’André-Philippe Drapeau Picard, coordonnateur de la mission, donne ses trucs pour reconnaître leurs minuscules œufs en forme de ballons de football. Pour la troisième année, des bénévoles participent à cette grande opération qui se déploie pendant une semaine au Canada, au Mexique et aux États-Unis afin d’aider les entomologistes à mieux cerner les déplacements et les habitudes de cette espèce menacée. 

Mission monarque est une des nombreuses initiatives de science participative, ou science citoyenne, à avoir vu le jour ces dernières années. Pour ces programmes de science collaborative, des scientifiques demandent au public de leur prêter main-forte dans leurs recherches. En Amérique du Nord et partout dans le monde, cette participation prend différentes formes dans tous les domaines (médecine, astronomie, botanique, sciences sociales). La science doit éclairer des enjeux de plus en plus planétaires, explique Julie Dirwimmer, conseillère principale des Fonds de recherche du Québec, un organisme gouvernemental qui vise à développer et à promouvoir la recherche. « Quand on parle de changements climatiques, par exemple, on ne peut pas les étudier juste au Québec. On a besoin de couvrir plus de territoire, et les citoyens peuvent aider. »

Quand Maxim Larrivée, l’initiateur de Mission monarque, a décidé de mettre en place un suivi des papillons du Canada, en 2010, il savait que la tâche serait colossale. Alors, inspiré par son père (qui, dès 1975, encourageait les amoureux des oiseaux à consigner en format numérique leurs observations), le chef de section des collections entomologiques et de la recherche à l’Insectarium de Montréal a choisi de faire appel à la population. Ainsi, grâce à Mission monarque, créée en juin 2016, les amateurs peuvent contribuer à l’opération éclair de l’été, mais aussi envoyer à tout moment leurs observations sur le site Internet du programme.

Si 2 000 personnes ont déjà participé, c’est parce que ces papillons emblématiques d’Amérique du Nord se laissent facilement approcher, selon le chercheur. « Les enfants ont souvent la chance d’être en contact très tôt avec ces papillons. » Lui-même les observait déjà à l’âge de trois ans. Sa mère aime lui raconter qu’il connaissait 32 noms d’espèces en anglais, en français et en latin quand il était jeune. « Le plus précieux avec Mission monarque, dit Maxim Larrivée, c’est qu’aucune équipe de recherche ne pourrait faire un si gros travail. » 

En science citoyenne, le participant est considéré comme un cochercheur, il est impliqué dans la recherche, et les scientifiques lui communiquent leurs résultats. L’initiative eTick.ca en est le parfait exemple. 

Au Québec, l’émergence de la maladie de Lyme — 304 cas recensés en 2018 — est une source de préoccupation pour les autorités de santé publique. Et le suivi des populations de tiques, qui causent la maladie, est coûteux et complexe. C’est en partant de ce constat que Jade Savage, professeure de biologie à l’Université Bishop’s, en Estrie, a lancé en 2017 eTick.ca, un site auquel le public participe en envoyant des photos de tiques et en indiquant la date et l’endroit où elles ont été observées. 

Jade Savage qualifie le processus de gagnant-gagnant. Il permet aux biologistes d’identifier les espèces, d’établir une carte interactive de leur présence au Québec et de suivre leur propagation, qui évolue rapidement depuis les dernières années. Quant au participant, il reçoit dans les 24 heures un message personnalisé lui confirmant si la bestiole qui l’a mordu appartient ou non au type qui pose un risque pour la santé. Si c’est le cas, il est encouragé à consulter un médecin pour se faire prescrire un traitement préventif par antibiotiques. « Il y a quelques années au Québec, pour faire identifier une tique, on devait passer par un vétérinaire ou un médecin », rappelle Jade Savage.

Au Québec, on en trouve une douzaine d’espèces, mais seule la tique à pattes noires peut transmettre la maladie de Lyme. « Près de la moitié des propositions qu’on reçoit appartiennent à d’autres espèces, note la professeure. Lorsqu’on dit aux gens qu’ils se sont fait mordre par une autre espèce, ils sont extrêmement soulagés. »

Depuis sa création, eTick.ca a reçu 1 102 dossiers valides, et 500 invalides. « Certaines personnes soumettent des photos inutilisables ou des photos d’araignées. On fait un tri méticuleux et on applique une stricte méthodologie scientifique », mentionne Jade Savage. 

Dans le cadre du travail qu’elle a effectué sur la science participative au cours de la dernière année, Julie Dirwimmer, des Fonds de recherche du Québec, a parfois dû répondre à la méfiance du milieu scientifique quant à la légitimité de données fournies par des non-scientifiques. Elle insiste sur le fait que tout est réglementé et encadré comme pour n’importe quel autre travail de recherche. La méthodologie reste scientifique, même si certains participants ne le sont pas. 

Au cœur des Habitations La Pépinière, dans le quartier Mercier-Ouest de Montréal, ils sont une trentaine à avoir été recrutés pour être locataires-chercheurs pour l’initiative Synergie. Des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal veulent recueillir des données afin d’évaluer les effets, sur la santé mentale des locataires de HLM, de mesures visant à améliorer l’environnement résidentiel. Et ce sont les locataires-chercheurs qui proposent les changements. « On veut travailler à réduire la distance entre les personnes qui prennent les décisions et les personnes qui subissent les conséquences de ces décisions-là », explique Janie Houle, professeure titulaire au Département de psychologie de l’UQAM et chercheuse responsable de Synergie. 

Les locataires-chercheurs de La Pépinière ont suggéré de transformer un stationnement abandonné en un lieu d’activité pour les enfants. Ils aimeraient également installer un atelier d’art-thérapie, et faire en sorte qu’une infirmière vienne sur place pour réaliser des bilans de santé, un grand nombre de locataires n’osant pas consulter. À long terme, dit Janie Houle, les chercheurs verront « ce qui a bien fonctionné et ce qui fonctionne moins, et tout ça permettra d’apporter des améliorations durables ».

Pour le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, les gens ordinaires qui prêtent main-forte aux scientifiques peuvent réellement contribuer à changer les choses en recherche. Il souhaite d’ailleurs aider la population à se familiariser avec le concept, mais aussi avec la science en général. « Très souvent, les gens voient le résultat final d’un projet de recherche, mais peu réalisent tout ce qui est derrière en matière de méthodologie scientifique », dit-il.   

Il invite les Québécois à soumettre leurs idées de projets de science participative en lançant cet automne le programme Engagement. Cinq projets seront sélectionnés et financés par les Fonds de recherche du Québec, à hauteur maximale de 50 000 dollars par an sur deux ans. « On lance ce programme-là pour rapprocher nos concitoyens et les chercheurs, explique le scientifique en chef. Pour la majorité des gens, la science participative est relativement nouvelle, donc on veut la faire découvrir. »

Rémi Quirion encourage les Québécois à soumettre des idées qui concernent toutes les sciences. « C’est une première au Québec, mais je suis confiant, les citoyens ont envie de faire bouger les choses. »

Édouard, le futur papilloniste, a bien conscience de l’aide qu’il a apportée à la science en ce dimanche ensoleillé. « Les monarques disparaissent, alors ça les sauve quand on sait où ils sont, dit-il. J’en ai même pas pris un pour l’amener dans ma chambre, parce que les papillons doivent rester dehors et rencontrer d’autres papillons et faire des œufs sur les feuilles, ajoute-t-il. Et aussi, mon père m’a dit non. »

Tous à l’affût de la faune !

Les initiatives visant à recenser les populations animales sont celles qui permettent au plus grand nombre de personnes de participer. En voici trois qui sollicitent l’aide des Québécois. 


Chauves-souris aux abris

Vous tombez nez à nez avec des chauves-souris dans votre grenier ? Avant de partir en courant, comptez-les ! Leur population diminue radicalement depuis quelques années, à cause du syndrome du museau blanc, un champignon qui les infecte pendant qu’elles hibernent. Chauves-souris aux abris, une initiative du Centre de la science de la biodiversité du Québec, propose aux Québécois de signaler sur son site Internet l’emplacement de colonies de chauves-souris, en prenant des photos et en comptant le nombre d’individus trouvés. Ces informations permettent de faire un suivi plus étroit des populations, et de mieux évaluer les mesures à adopter pour leur protection.


 #eCapelan

Le capelan est un très petit poisson qui a de très grandes répercussions sur l’écosystème du Canada atlantique. Il constitue une ressource alimentaire essentielle pour plusieurs autres espèces, comme les phoques, les oiseaux de mer et les baleines. Certains prédateurs, tels que la baleine à bosse et le petit rorqual, dépendent du capelan pour plus de 75 % de leur alimentation. D’avril à août, ces poissons viennent rouler — littéralement — sur les rives du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent. #eCapelan, créé par l’Observatoire global du Saint-Laurent en partenariat avec WWF-Canada, demande la participation du public pour signaler leur présence. En approfondissant leur connaissance de cette espèce, les chercheurs pourront mieux étudier l’écosystème québécois au complet.


Carapace

De mai à octobre, c’est la saison active pour les tortues du Québec. Elles se déplacent pour trouver de la nourriture, pour s’accoupler ou encore pour changer d’habitat. C’est pendant ces déplacements qu’elles traversent des routes et qu’elles sont le plus vulnérables aux accidents. En les signalant à Carapace, vivantes, blessées ou mortes, vous aidez Conservation de la nature Canada (CNC) à déterminer les lieux où elles sont présentes et en danger. Ces données peuvent être décisives : sur les huit espèces de tortues du Québec, six sont en situation précaire, et seulement 2 tortues sur 100 parviennent à l’âge adulte.