Quand ça éclate dans la tête

La rupture d’anévrisme peut avoir de graves conséquences, comme on l’a vu dans l’émission STAT cette semaine, mais elle est parfois difficile à diagnostiquer. Le Dr Alain Vadeboncœur explique de quelle manière cette urgence se manifeste.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran. 

Dans un des épisodes de STAT cette semaine, le personnage de Jade souffre d’une rupture d’anévrisme cérébral ayant causé un début d’hémorragie cérébrale. Le problème s’est manifesté par un mal de tête — on utilise le mot « céphalée » en médecine.

Cette céphalée, apparue durant une relation sexuelle, était brutale, d’emblée maximale, puis a persisté jusqu’au matin, moins intense. Pour Jade, il s’agissait de la pire céphalée jamais ressentie, elle qui affirme pourtant souffrir de migraines. 

Les consultations aux urgences pour des céphalées sont fréquentes. Bien qu’elles soient le plus souvent associées à des problèmes qui ne mettent pas la vie en jeu, comme des migraines, on retrouve aussi de temps en temps un diagnostic grave comme une hémorragie cérébrale.

Tout le défi de l’urgentologue consiste ainsi à discerner, parmi toutes les personnes qui se présentent pour un symptôme de céphalée, lesquelles nécessitent une investigation approfondie.

Une bombe à retardement

La rupture d’anévrisme est la manifestation aiguë et dangereuse d’une condition préalable, soit la dilatation d’une artère du cerveau, appelée anévrisme, susceptible de se rompre au cours de la vie sous la pression du sang artériel. Si l’on se fie aux données américaines, cela surviendrait tout de même environ 1 000 fois par année au Québec.

Comme notre cerveau est enfermé dans la boîte crânienne, qui ne peut prendre d’expansion, on se doute bien qu’un saignement sous pression dans cet espace restreint pourrait compromettre l’intégrité de cet organe merveilleux, mais si fragile.

Les anévrismes se forment graduellement. On peut même en trouver plus d’un chez la personne, ce qui augmente d’autant la susceptibilité à une rupture. Une prédisposition familiale est souvent retrouvée. Les autres facteurs de risque sont l’hypertension, le tabagisme, la prise d’alcool, les drogues stimulantes et la baisse des œstrogènes.

Un anévrisme non rompu ne cause habituellement pas de symptôme, sauf parfois des céphalées s’il est volumineux ou prend de l’expansion. S’il est trouvé par hasard, le risque de rupture est faible, moins de 1 % par année. Par contre, dès qu’une rupture survient, le sang sous pression jaillit et se répand dans l’espace immédiatement environnant, provoquant son lot de problèmes, parfois graves.

Illustration tirée de la vidéo. Source : The Joe Niekro Foundation.

Un espace fragile

Comme les artères où se développent habituellement les anévrismes courent partout autour du cerveau sous une membrane appelée « arachnoïde », délicatement apposée sur le tissu cérébral, le sang ainsi libéré se retrouve alors dans l’« espace sous-arachnoïdien ».

Cela peut donc aboutir à l’expulsion d’un bon volume de sang dans l’espace sous-arachnoïdien. Mais aussi, par extension, dans les « ventricules » du cerveau, ces espaces centraux qui contiennent une partie de notre liquide céphalorachidien. Ce sang irrite puissamment les tissus, ce qui cause une partie de la vive douleur. 

Souvent, un saignement important est précédé d’un « événement sentinelle », limité, mais causant tout de même un premier mal de tête intense et subit, habituellement d’emblée maximal — en quelques secondes ou minutes — avant de décroître.

C’est souvent le cas lorsque, comme dans l’épisode, le scan s’avère normal, la quantité de sang minime ne pouvant être ainsi décelée.

Il s’agit d’un signal d’avertissement sérieux, mais sans dommage aux tissus neurologiques. L’objectif des soignants est surtout alors d’éviter un second saignement, lequel, par son ampleur, pourrait entraîner de graves conséquences.

Trouver le saignement

Quand une personne consulte aux urgences pour une céphalée de ce type, le médecin procède d’abord à une histoire des symptômes, à une revue des antécédents, puis à un examen physique comprenant une évaluation des principales fonctions du cerveau — ce qu’on appelle un examen neurologique.

La nuque peut aussi être raide et douloureuse parce que le sang irrite les enveloppes de la moelle dans le cou. Le défi se pose surtout devant une histoire suspecte, comme celle du personnage, mais en l’absence complète de tout autre signe clinique « objectif ».

En ce cas, il faut se fier à ce qui est raconté : devant un tableau aussi franc d’un mal de tête brutal, un scan du cerveau doit être réalisé. Parfois, on injecte un colorant afin de visualiser les artères elles-mêmes.

L’objectif de ce scan est d’abord de déceler la présence de sang frais autour du cerveau, dans les espaces sous-arachnoïdiens. Ce sang apparaît, s’il est visible, teinté en blanc sur cet examen. Bien entendu, on pourrait avoir une surprise et découvrir un autre diagnostic, comme une tumeur cérébrale. La vidéo suivante explique bien les images retrouvées au scan en cas de saignement important.

Si le scan est normal et que la douleur est très récente, il est possible que l’on juge ce scan négatif suffisant, ce qui permet d’« éliminer » un saignement d’anévrisme. On ajoutera parfois un second scan avec coloration des artères.

Mais si le délai est plus long et que le doute est très élevé, on devra procéder à un test complémentaire. C’est d’ailleurs ce qui est fait dans l’épisode : une ponction lombaire.

Cette technique permet, par un prélèvement réalisé dans le bas de la colonne lombaire, d’aller chercher quelques millilitres de liquide céphalorachidien — le même qui baigne le cerveau et circule donc aussi autour de la moelle dans la colonne — afin de l’analyser.

Vous l’aviez sans doute deviné : il s’agit de retrouver des traces de sang dans ce liquide, ce qui pourrait signifier qu’un tout petit saignement est survenu là-haut, autour du cerveau — si petit que le scan n’en montre rien — et a diffusé jusqu’au bas du dos.

Si du sang est décelé, alors il faut pousser l’investigation et procéder impérativement à un examen indirect des artères du cerveau par scan avec injection de contraste, afin de voir si ce saignement provient d’un anévrisme en voie de rupture — une catastrophe neurologique potentielle qu’on doit absolument prévenir.

Colmater l’anévrisme

Si un anévrisme est décelé, comme dans 80 % des cas, le risque de rupture est élevé. Il s’agit alors d’intervenir pour fermer cet anévrisme avant qu’il cause plus de dommages.

Pour y arriver, l’intervention souvent pratiquée est réalisée par un radiologiste spécialisé, qui va introduire un fil de platine par les artères jusque dans l’anévrisme, le fil étant enroulé sur lui-même pour combler l’anévrisme (voir la vidéo).

Illustration tirée de la vidéo. Source : VAC.

Cela provoquera la coagulation du sang dans l’anévrisme et donc sa fermeture. Selon le cas, une intervention chirurgicale peut également être pratiquée, dans le même but : réduire grandement les risques futurs de rupture.

Plusieurs médicaments sont alors utilisés pour prévenir les complications et contrôler réguler la pression artérielle. On procédera aussi, le cas échéant, à un dépistage chez les membres de la famille.

Éviter la catastrophe

Dans le cas où, malheureusement, un saignement majeur se produit, déversant une quantité substantielle de sang dans l’espace sous-arachnoïdien, toutes les complications possibles peuvent survenir.

Cela va d’un dommage neurologique léger à une hémorragie massive, voire à un blocage des ventricules, ce qui cause indirectement une hausse de la pression intracrânienne, parce que le liquide céphalorachidien ne peut plus s’évacuer. 

Un AVC survient parfois dans les jours qui viennent en raison de spasmes des artères du cerveau causés par l’irritation des tissus par le sang. Heureusement, dans la plupart des cas, si la personne consulte tôt, on peut éviter ces complications dramatiques, comme pour le personnage de Jade. 

Dans la vraie vie, le message est simple : si vous éprouvez un mal de tête violent et subit, rendez-vous immédiatement aux urgences, c’est peut-être un problème grave !

La version originale de cet article a été modifiée le 3 février 2023 pour préciser que les radiologistes utilisent un fil de platine, et non de cuivre, pour fermer les anévrismes, et pour ajouter que le risque de rupture est très faible lorsque l’anévrisme est découvert par hasard.

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