Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran.
Dans l’épisode de STAT de ce jeudi, nous avons assisté au décès du personnage de Martin, arrivé au bout de sa longue course de vie. Souffrant d’insuffisance cardiaque, il avait déjà été transféré en soins palliatifs parce que, malheureusement, plus rien n’était possible pour soigner son cœur.
Le cœur de Martin fonctionnait déjà bien mal depuis longtemps, on l’avait vu plus tôt dans la saison, notamment en raison des effets toxiques de l’alcool, combinés avec les répercussions d’un infarctus subi lors d’une précédente hospitalisation.
Il présentait en conséquence, vers la fin de sa vie, des symptômes irréversibles, alors que ses autres organes l’abandonnaient graduellement. Nous allons voir ensemble pourquoi.
Le travail d’un cœur
Il faut d’abord savoir que le muscle cardiaque se contracte de deux à trois milliards de fois durant une vie, chaque battement demandant à peu près l’énergie requise pour écraser dans une main une balle de tennis.
L’intégrité du puissant ventricule gauche est donc essentielle pour propulser efficacement le sang vers l’aorte, plus grosse artère du corps humain, qui doit le répartir dans toutes les autres artères, sauf celles des poumons.
C’est le muscle du ventricule droit, plus mince, qui a pour tâche d’envoyer le sang vers les deux poumons, par les artères pulmonaires.

Quand la capacité des ventricules s’effondre
L’insuffisance cardiaque apparaît souvent quand un trouble affectant l’un ou l’autre des deux ventricules — ou les deux — compromet l’éjection du sang vers les artères. La raison est alors une chute de la force de contraction elle-même, par atteinte directe du muscle cardiaque. Il est facile de comprendre que si la pompe défaille, le débit diminue.
Une autre raison fondamentale d’insuffisance cardiaque, fréquente chez les personnes âgées, est la baisse de capacité des ventricules — surtout le gauche — à bien se remplir de sang. C’est qu’en vieillissant, le muscle perd de sa souplesse, essentielle pour faire le plein de sang avant de l’éjecter.
Chez ces personnes, les pressions de remplissage s’élèvent graduellement, un peu comme souffler un ballon à la paroi épaisse requiert d’y mettre beaucoup plus de pression. Or, un ventricule moins plein de sang en éjecte moins quand il se contracte, même si sa force de contraction est adéquate.
Des problèmes en amont
Le problème n’est toutefois pas seulement dans le débit à la sortie, il est aussi en amont. Un peu comme lorsqu’une pompe d’évacuation perd sa capacité : non seulement on observe une baisse de débit au tuyau de sortie, mais l’eau s’accumule dans le sous-sol.
C’est la même chose avec le cœur : le liquide s’accumule. C’est aussi vrai lorsque le muscle est affaibli qu’en cas de trouble de remplissage.
Reste à préciser « où » est l’amont du cœur. En fait, le cœur ayant deux côtés, le gauche et le droit, on lui trouve deux « amonts », si vous me passez l’expression, un pour chacun.
Du côté droit, qui reçoit le sang de l’ensemble du corps, l’amont se situe au sous-sol, c’est-à-dire sous le cœur, soit dans l’abdomen et surtout dans les jambes. De sorte que l’accumulation de liquide provoque un gonflement des jambes et parfois même du ventre.
Quant à l’amont du cœur gauche, il s’agit malheureusement des poumons. En cas d’insuffisance cardiaque, ils se remplissent de liquide ; on parle alors d’œdème pulmonaire. Cet œdème entraîne un essoufflement de plus en plus marqué, pire en position couchée.
Devant gérer tout ce liquide, le cœur se dilate graduellement. Dans un premier temps, la dilatation améliore sa capacité d’éjection, un peu comme un élastique étiré développe plus de tension. Cela finit toutefois par nuire, car quand un cœur est trop dilaté, sa capacité de pomper peut s’effondrer.

Les effets en aval d’une baisse de débit
L’aval du cœur n’est pas en reste. La baisse de débit que j’ai mentionnée a plusieurs conséquences graves, en particulier du côté gauche.
Moins de débit signifie avant tout moins de sang et donc d’oxygène livrés aux tissus, ce qui compromet l’activité normale de tous les organes : le cœur lui-même, le cerveau, les bras, tout ce que nous avons dans le ventre, les deux jambes. Le corps entier, finalement.
Ces organes perdent ainsi une partie de leur fonction, ce qui cause de la fatigue, de la confusion, une baisse de la capacité musculaire, des troubles de digestion, etc. La personne verra sa capacité d’effort limitée, en plus d’être de plus en plus essoufflée.
Nos organes possèdent toutefois des mécanismes pour s’adapter à cette baisse de débit. Mais deux d’entre eux, qui n’entendent pas à rire, auront des réactions directement nuisibles au cœur, ce qui contribuera à aggraver les choses dans un cercle vicieux de détérioration graduelle. La vidéo suivante illustre bien tous ces phénomènes.
Des partenaires peu coopératifs
Le cerveau, qui gère avec beaucoup de précision le débit sanguin et d’oxygène reçu, essaie de contrer la baisse de débit en fouettant le cœur. Il commande à cette fin — de manière despotique — une décharge d’hormones stimulantes à ses fidèles glandes surrénales (situées au-dessus des reins). Cela permet temporairement d’augmenter le débit cardiaque, mais le cœur fatigué s’en passerait bien.
Quant aux reins, percevant une baisse de débit, ils ferment la sortie afin de retenir le plus de liquide possible. Sauf que plus haut, le cœur a déjà de la difficulté à gérer les liquides sanguins. Cette réaction des reins contribue à le dilater davantage, souvent à son détriment.
Nos sympathiques reins déclenchent aussi une réponse hormonale complexe pour augmenter la pression artérielle, notamment en contractant les muscles des artères, ce qui complique encore plus le travail du cœur.
Abaisser le niveau d’eau
Une fois le diagnostic soupçonné à l’évaluation clinique puis confirmé à l’aide de prises de sang, d’une radiographie pulmonaire et d’une échographie cardiaque, il est possible d’inverser le cours des choses, d’abord par l’usage de la médication.
Le premier objectif est de contrecarrer le travail délétère des reins en forçant la sortie du liquide. Les médicaments diurétiques administrés dans un premier temps permettent d’uriner plusieurs litres dans les heures qui suivent.
Ce traitement décongestionne tout le corps, y compris les poumons, et améliore d’autant leur fonction et l’oxygénation. Les jambes, qui contiennent parfois plus de 10 litres en excès, ne demandent pas mieux.
Améliorer le fonctionnement du cœur
D’autres médicaments s’ajoutent ensuite pour aider le cœur à mieux travailler à plus long terme.
Il s’agit d’abord de permettre au cœur de se relaxer en le ralentissant à l’aide de médicaments de la classe des bêtabloqueurs. Dans un second temps, on combat l’ensemble de la cascade hormonale néfaste avec d’autres médicaments. Tous ces traitements se poursuivent à long terme.
Comme dans la série, il arrive parfois qu’en raison de la gravité de l’atteinte cardiaque, des limites des traitements ou encore des complications associées, l’insuffisance cardiaque s’aggrave, jusqu’à ce que les meilleurs soins ne puissent plus inverser le cours des choses.
Mais la bonne nouvelle, c’est que malgré la gravité de la condition de base, les symptômes peuvent en général être bien contrôlés, au moins pendant plusieurs années.
À cette fin, le suivi serré par des équipes multidisciplinaires, l’ajustement des médicaments et les différentes approches de prévention jouent un rôle majeur dans la prise en charge de ces patients.
À plus long terme, le cœur se stabilise et on voit même fréquemment l’état du patient s’améliorer, ce qui lui permet de reprendre ses activités afin de continuer à profiter de la vie !
Bienvenue je suis dans la même situation que vous.
Cher Dr. Vadeboncoeur, votre explication de l’insuffisante cardiaque est claire et imagée. Elle devrait être disponible à chaque patient qui reçoit un tel diagnostic. Bravo pour votre apport à l’émission Stat.
Suzanne Lavoie ( infirmière ICM à la retraite)
Merci à vous. Et c’est d’autant plus important que l’implication de la personne malade dans la prise en charge de ce problème est vraiment cruciale. Bonne semaine!
Merci Docteur! Très intéressant. Cela nous aide à mieux comprendre les fonctions du coeur.❤️
Merci du commentaire. C’est le but! 👍