Quand la tête et le corps vieillissent « d’un coup »

De nombreux aînés heureux, actifs et en bonne santé ont vu leur état général décliner fortement au cours des deux dernières années. Le Dr Quoc Dinh Nguyen, gériatre, explique comment se manifeste ce phénomène appelé « déconditionnement », qu’il a souvent reconnu depuis le début de la pandémie.

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L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Depuis le début de la pandémie, je reçois de nombreux patients dont le fonctionnement quotidien s’est détérioré. À la suite de l’évaluation médicale, il m’arrive régulièrement de ne pas trouver de nouvelles maladies qui puissent expliquer cette détérioration. Pourtant, le patient et ses proches jurent dur comme fer qu’il a changé. Alors que, il y a quelques mois, papa faisait des promenades dans le quartier et tenait des conversations sans peine, dernièrement, il semble avoir perdu ses capacités physiques et ses repères cognitifs.

On a beaucoup parlé de déconditionnement avec la prolongation des mesures contre la pandémie, surtout dans les milieux de vie pour aînés comme les CHSLD et les résidences privées. Examinons de plus près de quoi il s’agit.

Distinguer le déconditionnement des maladies « usuelles »

Bien qu’il n’existe pas de définition unique du déconditionnement, celle du site quebec.ca décrit bien le phénomène : « Le déconditionnement est l’ensemble des conséquences physiques, mentales et sociales liées à l’inactivité, à une période de sédentarité ou à la sous-stimulation intellectuelle et sociale. »

L’absence de maladie courante peut aussi signaler que l’on est devant un cas de déconditionnement. Lorsqu’une personne consulte, la plupart du temps, c’est parce que des symptômes l’incommodent et qu’elle cherche le diagnostic qui peut les expliquer. Ainsi, un essoufflement peut être le signe d’une pneumonie, d’une insuffisance cardiaque ou encore d’une anémie. Ces maladies ont habituellement une cause et un traitement précis.

Quand il est question de déconditionnement, le symptôme ou le problème de santé ne trouvent pas leur origine dans une maladie particulière. Ainsi, si après quelques semaines de confinement papa n’arrive plus à faire le tour du quartier comme avant sans que l’on décèle un problème physique qui l’en empêcherait, on parlera de déconditionnement. Si toutefois on constate que son arthrose s’est aggravée, on ne fera pas forcément ce diagnostic. À moins que, à cause de la douleur, la personne soit devenue moins active et que son état général en ait souffert.

Six facettes du déconditionnement

On imagine aisément l’effet de la sédentarité et de la sous-stimulation sur nos muscles. Toutefois, le déconditionnement peut toucher toutes les sphères du fonctionnement. En considérant chacun des domaines gériatriques suivants, il est plus facile de le diagnostiquer, de le prévenir et d’y faire face.

La mobilité

Les gériatres considèrent qu’un jour passé dans un lit d’hôpital requiert trois jours de récupération en réadaptation. Les systèmes cardiorespiratoire et musculaire sont dotés d’une capacité d’adaptation importante : lorsqu’on s’en sert, ils se renforcent, mais lorsqu’on ralentit, ils ralentissent à leur tour. La vitesse de marche, l’équilibre, l’endurance, la force physique (pour se lever d’un lit ou d’une chaise) s’amenuisent rapidement en période d’inactivité.

La cognition

Le cerveau a beau ne pas être un muscle, quand il est sous-stimulé, il répond de la même façon. On ne s’en rend pas compte, mais toutes nos interactions avec nos proches et notre environnement au quotidien gardent nos neurones actifs. Avec les isolements et la distanciation, plusieurs patients signalaient des pertes cognitives, alors que les tests ne montraient que peu de changements objectifs. Comme si les neurones étaient rouillés, mais prêts à l’action si on les stimule.

Le fonctionnement quotidien

Préserver son autonomie requiert la réalisation d’activités de la vie quotidienne (s’alimenter, s’occuper de son hygiène, etc.) et domestique (cuisiner, faire ses courses, etc.). Celles-ci sont souvent faites avec une telle régularité qu’elles deviennent des automatismes. Cependant, une fois la routine interrompue, et surtout si la cassure perdure, reprendre certaines de ces activités essentielles pourra être ardu, en particulier si on a des troubles cognitifs.

La nutrition

Manger est pour la plupart d’entre nous une activité sociale. C’est d’autant plus le cas pour les personnes avec une perte d’autonomie, qui comptent sur la présence de proches ou de soignants pour préparer les repas ou le cabaret, et pour compenser des difficultés à manger. Pour les plus vulnérables, une période d’inactivité peut facilement détériorer les capacités résiduelles à s’alimenter et à maintenir des apports nutritionnels suffisants.

Les domaines social et affectif

Les contacts humains sont extrêmement importants à tout âge. Les interactions nous assurent un sentiment d’appartenance, donnent un sens et une structure à notre quotidien et nous soutiennent. Le réseau social est souvent le socle sur lequel repose notre santé mentale. Le domaine affectif, c’est-à-dire l’humeur, l’anxiété et les autres symptômes psychologiques, est rapidement atteint en l’absence de stimulation.

Ces domaines sont interreliés. Pour certaines personnes qui vivent en résidence pour aînés, prendre son repas à la salle à manger fait d’une pierre quatre coups : renforcer la mobilité, agiter les neurones, combler l’appétit et, en bon français, « faire du social » ! Des activités en apparence anodines sont indispensables pour rester « conditionné ».

La réserve physiologique et le seuil d’incapacité

La pandémie et les mesures sanitaires nous auront tous déconditionnés jusqu’à un certain point, jeunes comme plus vieux. Mais pourquoi parler particulièrement des personnes âgées, surtout les plus fragilisées ? Parce qu’avec elles entre en jeu ce que les médecins appellent la réserve et le seuil fonctionnels. Avec le vieillissement et notamment l’accumulation de maladies chroniques, le corps perd une partie de sa réserve physiologique : une course de 10 km sera plus ardue pour un octogénaire typique que pour un trentenaire. C’est un peu comme si les personnes plus âgées et fragilisées fonctionnaient à plein régime en tout temps. La réduction de cette réserve leur fait plus facilement perdre des capacités fonctionnelles (par exemple, faire le tour du pâté de maisons, monter des étages). Elles sont plus près du seuil d’incapacité : une petite détérioration aura de grandes conséquences. Une même période d’immobilité sera plus délétère sur l’autonomie d’une personne se déplaçant avec un déambulateur que sur celle d’un marathonien. Pour nombre de patients, on pourrait dire qu’une semaine au lit est pire qu’un retour sur Terre après plusieurs semaines d’apesanteur pour un astronaute.

Le déconditionnement, une question de santé

Pour l’Organisation mondiale de la santé, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Pour atteindre cet état, éviter le déconditionnement dans tous les domaines de la santé est essentiel. Aristote disait que nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. Une sage vérité quand il est question de déconditionnement.

Des conseils pour éviter le déconditionnement

Il n’y a pas de solution miracle pour renverser le déconditionnement : il faut se… reconditionner. Après un séjour hospitalier ou une intervention chirurgicale, il arrive régulièrement que les personnes âgées aillent en réadaptation. Au menu, des activités qui visent, selon les besoins, à retrouver l’état de fonctionnement antérieur pour chaque facette du déconditionnement. Sans devoir se rendre en réadaptation, voici quelques conseils simples pour éviter le déconditionnement et améliorer son fonctionnement :

  • Sortir de son aire de vie habituelle. Si on ne quitte pas souvent sa chambre, son appartement ou son pâté de maisons, c’est le temps. En élargissant l’espace de vie, on pousse nos muscles comme nos neurones à en faire plus.
  • Dire oui et surpasser l’inertie initiale. Tout en respectant les précautions sanitaires, retrouver les activités que l’on avait l’habitude de faire et les gens que l’on avait l’habitude de voir. Profiter du printemps qui s’installe progressivement pour faire des activités à l’extérieur. 

Consultez le site quebec.ca, qui propose d’autres conseils et ressources provenant notamment de la Fondation AGES, de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal et du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

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Les commentaires sont fermés.

Merci beaucoup pour cet article. Je suis justement en plein déconditionnement depuis une opération au cerveau l’automne dernier. Ce que je viens de lire
m’apporte un grand réconfort et va me guider pour la suite des choses.
J’ai 69 ans, je vis seul dans un 3e étage et je combats deux cancers… voyez le portrait 😉
Au plaisir,
JB, Québec

merci pour l’info. j’ai fait un AVC il y a un an et je suis très déconditionné. ça me donne des pistes de solutions pour me reconditionner.