Quand le climat rend malade

Les changements climatiques représentent la prochaine crise sanitaire majeure qui aura des conséquences sur le réseau de la santé. Mais nous manquons de préparation pour l’affronter, déplorent médecins et environnementalistes.

Photo : James MacDonald / Bloomberg Creative / Getty Images

Vagues de chaleur, feux de forêt, expansion des maladies infectieuses telles que la maladie de Lyme… Les impacts des changements climatiques sur la santé s’intensifient dans le monde, confirme le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), présenté le 28 février dernier. Et le Canada n’y échappe pas. Santé Canada vient d’ailleurs de publier un rapport de près de 900 pages qui documente concrètement la façon dont ces changements affectent la santé, en plus de chiffrer les coûts qu’ils engendrent. 

Les phénomènes climatiques extrêmes, comme les vagues de chaleur et les feux de forêt dans l’Ouest canadien en 2021, ont bien montré la pression qu’ils exercent sur les systèmes de santé. Pour Céline Campagna, responsable scientifique du programme Changements climatiques et santé à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et coautrice du rapport, la crise climatique est avant tout une crise sanitaire. « Si l’on continue sur cette trajectoire avec un réseau mal financé, mal préparé aux changements climatiques, avec une population vieillissante, on va se retrouver avec ce qu’on vit avec la COVID-19, c’est-à-dire une surcharge du réseau », affirme-t-elle. 

Les autorités régionales n’étaient « nullement préparées à l’ampleur de la crise », raconte Céline Campagna, à la suite de témoignages reçus de ses homologues des autres provinces. Des plans d’urgence avaient été élaborés, mais pas pour des catastrophes de cette envergure. En plus des hospitalisations et des décès dus à la chaleur, les lignes d’urgence ont été saturées et des établissements de soins ont dû évacuer les patients dans des conditions difficiles devant l’arrivée des flammes et de la fumée des incendies. L’intensification et la multiplication des phénomènes météorologiques forcent le réseau de la santé à revoir ses plans, et ce, à l’échelle du pays, conclut le rapport. Sans compter qu’il faudra limiter les impacts des changements climatiques en amont. 

La seule stabilisation des émissions permettrait en 2050 d’éviter 5 200 décès liés aux changements climatiques durant l’été.

Peu d’établissements au Canada ont fait l’évaluation des risques et de la vulnérabilité de leurs bâtiments en cas de phénomènes climatiques extrêmes. Or, ces « mesures d’adaptation » permettent de garder une longueur d’avance sur les répercussions croissantes des changements climatiques sur la santé. Cela passe par la résilience des infrastructures, la préparation du personnel, la mise à jour des plans d’urgence ainsi que des systèmes d’alerte et de surveillance des catastrophes météorologiques. 

Le rapport ne s’attarde pas qu’aux établissements de soins. Il montre que l’aménagement du territoire, la planification du transport et la réduction des gaz à effet de serre (GES) ont une incidence directe sur la santé. La seule stabilisation des émissions d’ici 2100 permettrait en 2050 d’éviter 5 200 décès liés aux changements climatiques durant l’été. Le réseau de la santé lui-même a d’ailleurs tout intérêt à donner l’exemple en misant sur des sources d’énergie renouvelables : il est responsable de 4,6 % à 5,1 % des émissions nationales de GES. 

Le verdissement urbain est couramment cité par les environnementalistes comme mesure d’adaptation accessible et efficace. En plus d’éliminer les îlots de chaleur, la création d’espaces verts permet d’accroître la qualité de l’air, rend souvent la pratique d’activités physiques plus attrayante dans un quartier et peut améliorer la santé mentale des gens qui y habitent. Le rapport mentionne que les coûts de l’application de telles mesures pourraient être compensés par l’atténuation de l’escalade des coûts des soins de santé attribuables aux changements climatiques. Les vagues de chaleur, par exemple, représentent un fardeau économique de 370 millions de dollars par année au Québec.

Les gouvernements ont tout de même déployé des initiatives ces dernières années, comme les systèmes d’alerte lors d’épisodes de chaleur accablante. Le Québec fait d’ailleurs bonne figure sur ce plan avec le Système de surveillance et de prévention des impacts sanitaires des événements météorologiques extrêmes (SUPREME), instauré en 2010. À Montréal, un plan d’action comprenant des campagnes de sensibilisation dans les quartiers les plus à risque, la mise à disposition d’espaces climatisés ainsi que des opérations de porte-à-porte a permis de diviser par cinq le nombre de décès lors de vagues de chaleur. D’autres systèmes, par exemple la prévision de la trajectoire des nuages de fumée causés par les feux de forêt, s’avèrent aussi efficaces, tout comme les indices de la qualité de l’air et la prévention des infections telles que la maladie de Lyme. 

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Les professionnels de la santé sont de plus en plus nombreux à prendre conscience du rôle important de celle-ci dans la mise en œuvre d’actions pour lutter contre les changements climatiques. C’est le cas de la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers. Cette dernière a fait des changements climatiques son cheval de bataille dès le début de ses études en médecine familiale, après avoir lu dans la prestigieuse revue The Lancet que le réchauffement planétaire était la première menace pour la santé du XXIe siècle. Aujourd’hui présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), qui compte plus de 500 membres, elle tente de vulgariser auprès du grand public et de la communauté médicale les enjeux en santé liés au climat et prend position dans certains dossiers. « La majorité des problèmes environnementaux, ce n’est pas à coups de pilules que je vais les régler. Mon rôle de médecin ne s’arrête pas à ce que je fais dans mon bureau », dit-elle en parlant de son implication.

Dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, où elle pratique la médecine familiale, les changements climatiques représentent un risque pour la santé de beaucoup de ses patients. Les aînés, les populations racisées, les personnes à faible revenu, celles souffrant de problèmes de santé physique ou mentale, celles en situation de handicap et les communautés autochtones sont souvent plus vulnérables que les autres personnes. La pandémie l’a d’ailleurs prouvé, selon la médecin de 29 ans. Les actions en environnement doivent donc tenir compte des iniquités en santé. 

Divers groupes écologistes parlent ainsi d’une justice climatique. Olivier Kölmel, porte-parole de Greenpeace Canada, a observé les impacts des changements climatiques sur la santé des Autochtones. « Leur territoire se dégrade, ils perdent les façons traditionnelles de se nourrir. Ça a un effet sur leur régime alimentaire. On voit plus de problèmes d’obésité, de diabète, de maladies cardiovasculaires », explique-t-il. Le Canada a un gros retard à rattraper sur le plan de l’adaptation, selon lui. « Malgré l’évidence du lien étroit entre la santé et l’environnement, tant au provincial qu’au fédéral, on traîne la patte à le comprendre et à se mettre en action », déplore-t-il. 

Le porte-parole de Greenpeace espère néanmoins qu’avec ce rapport, une oreille plus attentive sera prêtée à l’enjeu sanitaire. Il sent déjà une plus grande sensibilité à ce sujet dans la population et chez les professionnels de la santé, notamment en raison de la pandémie et de la multiplication des phénomènes climatiques. Plusieurs sont aussi conscients des bienfaits de la nature sur la santé humaine.

Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique, croit pour sa part que parler de santé permettra d’humaniser la science climatique. « Quand on met trop l’accent sur la réduction des GES, les gens ne voient pas comment ça les affecte personnellement. C’est un grand défi pour tous les organismes de trouver la bonne façon d’éclairer les gens sur ces enjeux. Et la santé est assurément un vecteur intéressant pour le faire. »

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Besoin de climatisation adéquate dans tous les établissements de santé et les résidences pour personnes âgées et ça presse!!!