Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran.
Alerte au divulgâcheur : ne pas lire ce qui suit avant d’écouter l’épisode du jeudi 26 janvier !
Dans un triste épisode de l’émission STAT diffusé aujourd’hui, on assiste au décès du personnage de Mélodie, emportée par une grave tumeur au cerveau. Rien ne pouvait la sauver, son cancer n’étant pas opérable.
Dans une telle situation, l’état de conscience s’abaisse graduellement, jusqu’au coma et à la mort par arrêt respiratoire. C’est notamment en raison de la pression qu’exercent la tumeur et l’enflure qui l’accompagne sur les fragiles tissus cérébraux.
Un coma correspond en fait à une atteinte diffuse au fonctionnement du cerveau. Mais comme tout ce qui le menace, ces cancers peuvent auparavant avoir causé n’importe quel déficit neurologique spécifique, selon leur localisation, en plus d’entraîner des symptômes généraux.
Ainsi, avant de sombrer dans le coma, le personnage de Mélodie a des maux de tête, probablement dus à l’élévation graduelle de la pression dans le cerveau, des vomissements pour la même raison, et des crises de convulsions résultant de l’irritation du cerveau causée par la tumeur.
L’aphasie : un trouble du langage
Mais au-delà de ces manifestations générales, Mélodie était plus précisément affectée par un trouble du langage évident, d’ailleurs bien rendu par la comédienne : une aphasie, du grec ancien aphasia, « incapacité à parler ».
Selon le cas, l’aphasie compromet en effet la « capacité de parler », mais également celle de comprendre le langage, ou même les deux à la fois, et le trouble peut aussi bien toucher la langue parlée que le langage écrit.
Le personnage de Mélodie éprouvait une difficulté progressive à converser, il s’agissait donc d’une aphasie d’expression, qui se traduit dans la production des mots et des phrases. Elle semblait toutefois saisir adéquatement les phrases prononcées par d’autres.
Si, dans son cas, le problème était causé par sa tumeur, n’importe quelle lésion peut en être à l’origine : l’AVC est l’exemple le plus courant, mais aussi des saignements, des traumatismes ou même une infection.
Les problèmes affectent alors les structures du cerveau impliquées dans la construction du langage, qui sont situées à un endroit bien précis, généralement dans l’hémisphère gauche.
La latéralisation du langage
Chez la plupart des gens, les régions du cerveau associées aux mots sont en effet habituellement situées du côté gauche du cerveau. L’aphasie résulte donc aussi, généralement, d’une atteinte de l’hémisphère cérébral gauche.
Cette forme de « dominance » est connue sous le nom de « latéralisation cérébrale », qui se manifeste par la concentration de certaines fonctions d’un côté ou de l’autre du cerveau.

Cette latéralité n’est toutefois pas absolue. Des variations individuelles font que des personnes ont plutôt une dominance de l’hémisphère droit plus ou moins complète pour certaines des fonctions du langage.
La latéralisation cérébrale est due à des différences propres entre les deux hémisphères, qui influencent leur capacité à réaliser certaines activités, comme la genèse du langage. On trouve aussi des disparités dans la façon dont les deux hémisphères traitent l’information et interagissent avec le monde extérieur.
Selon l’ampleur des lésions ou des dommages, une lésion située à gauche causera souvent des troubles (motricité ou sensibilité) du côté opposé du corps. Ainsi, une aphasie (lésion à gauche) s’accompagne fréquemment d’une atteinte du mouvement à droite (que n’éprouvait toutefois pas Mélodie).
Aphasie expressive ou de compréhension ?
Plus précisément, une aphasie de type « expressive » est habituellement liée à une lésion située dans la zone de Broca, du côté gauche. On l’appelle donc aussi aphasie de Broca.

L’aphasie de Broca se caractérise par des difficultés à trouver les mots justes et à formuler des phrases correctement. La personne éprouve des problèmes à produire du langage, qu’elle ne peut surmonter aisément.
Le trouble peut se manifester par le manque de mots appropriés pour verbaliser une idée ou par l’utilisation de mots inappropriés ou qui n’ont pas de sens dans le contexte. Le discours peut être plus ou moins ardu à comprendre. Il arrive fréquemment que l’on pense que ces personnes sont confuses alors que dans leur esprit, les idées peuvent être tout à fait claires.
D’autres personnes atteintes d’aphasie expressive peuvent surtout avoir du mal à articuler des phrases cohérentes, inversant des mots ou des syllabes, commettant des erreurs de grammaire ou générant des énoncés qui n’ont pas de signification claire.
Si le trouble se caractérise donc par une construction verbale ardue, la compréhension de la langue peut être relativement préservée.
Aphasie de compréhension
Quand il s’agit plutôt d’un trouble de compréhension, on parle aussi d’aphasie de type « Wernicke », qui se traduit par un problème à décoder le langage, sans nécessairement être associée à une perturbation de son expression, bien que les deux puissent être présents.

C’est alors la zone de Wernicke, également située à gauche, mais davantage vers l’arrière, qui est en cause. Même si la personne entend distinctement les sons eux-mêmes, elle ne peut en décoder aisément le sens.
Les personnes atteintes d’aphasie de compréhension peuvent donc avoir du mal à suivre une conversation ou à saisir ce qu’on leur dit, même si leur propre discours est cohérent et correct. Ce n’était apparemment pas le cas de Mélodie.
Aphasie de conduction
Une autre zone du cerveau peut aussi être touchée en cas d’aphasie, celle qui relie les zones de Broca et de Wernicke : il s’agit du faisceau arqué, qui joue un rôle crucial en tant que lien privilégié entre la zone de compréhension et la zone de production. On parle alors souvent d’« aphasie de conduction ».

Une aphasie de conduction peut se manifester par une incapacité à répéter les mots, la zone de Wernicke ne pouvant transmettre l’information reçue à la zone expressive. Le faisceau arqué est aussi impliqué dans la reconnaissance des mots et leur signification, ainsi que dans l’analyse de la syntaxe et de la grammaire d’une phrase.
La zone joue également un rôle dans la production de la parole et la formulation de phrases, éléments clés du langage.
Un problème complexe
Comme on le voit, la production et la compréhension du langage représentent des fonctions complexes du cerveau, qui peuvent donc être affectées de diverses manières, plusiers zones aux fonctions distinctes étant impliquées.
Dans tous les cas de trouble du langage, c’est l’imagerie cérébrale, le scan ou encore mieux la résonance magnétique qui donneront la réponse quant à la localisation exacte des lésions, leur cause et les traitements potentiels.
Un trouble du langage aigu doit conduire à une visite immédiate à l’urgence, car il s’agit peut-être d’un AVC, qui demande souvent une intervention sans délai. La prise en charge visera à corriger le problème de base, par exemple retirer une tumeur ou limiter les dommages d’un AVC.
Par la suite, selon les séquelles retrouvées, on entreprendra la réhabilitation du langage, grâce à l’implication des orthophonistes, afin de récupérer le maximum de fonctions, un peu comme on réapprend à marcher aux personnes qui ont souffert d’un AVC entraînant une paralysie.
Dans le meilleur des cas, le cerveau nous surprend par sa capacité de réapprendre, il est donc envisageable de se réentraîner au langage, qu’on parle d’expression ou de compréhension, bien que ce travail essentiel puisse être aussi long et ardu que le retour à la marche ou à l’utilisation d’une main pour les tâches fines.
Il en vaut évidemment la peine, parce qu’après tout, c’est par le langage que nous communiquons le mieux.
Bonjour
Ma requête s’adresse au Dr. Alain Vadeboncoeur.
J’apprécie votre façon de vulgariser et d’expliquer ce que moi, qui n’est pas médecin, me permette de comprendre si bien les problème de santé qui peuvent nous arriver.
Vous est-il possible dans vos prochains sujets, de parler du « tremblement essentiel » en comparaison avec le « Parkinson ». Je crois ne pas être la seule personne qui est au prise avec le tremblement essentiel et ce qu’on trouve sur internet n’est pas suffisant.
Si ce sujet faisait un de vos éditoriaux, je suis certaine que vous auriez un nombre important de lecteur.
Merci d’avance et bonne journée
Murielle Julien
Bonne idée. Merci!