Quand prévenir, dépister ou diagnostiquer ?

Mieux vaut prévenir que guérir. Mais le dépistage, c’est bon aussi? Et le diagnostic, ça arrive quand? Dr Alain Vadeboncoeur clarifie plusieurs questions pour vous aider à mieux comprendre comment la maladie peut être évitée, dépistée et diagnostiquée.

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Dans la vie, on peut demeurer longtemps en bonne santé, c’est tant mieux. On tombe aussi parfois malade, ce qui est dommage. Même si on pratique la prévention et même si on subit des dépistages, on reçoit parfois un diagnostic.

Pour aider à préciser les notions importantes de prévention, dépistage et diagnostic, pourquoi ne pas les mettre en relation temporelle avec la maladie et ses symptômes? Le plus simple étant de placer le tout sur une ligne du temps.

Dans ce petit graphique, la ligne blanche du haut représente le temps, qui s’écoule de gauche à droite:

Sur la seconde ligne, la case rose représente la santé, et en rouge, la maladie.

Sur la troisième ligne, j’ai représenté les symptômes qui, pour simplifier, sont soit absents (bleu ciel), soit présents (bleu foncé) ou améliorés éventuellement par le traitement (bleu pâle).

Sur la quatrième, j’ai placé la prévention, primaire en vert pâle et secondaire/tertiaire en vert foncé. Je reviendrai sur ces notions.

Enfin, sur la cinquième ligne, j’ai indiqué le dépistage (en jaune), la démarche diagnostique (qui suit, en jaune foncé), le diagnostic (en brun pâle) et le traitement (en brun foncé), qui surviennent généralement dans cet ordre.

Allons-y étape par étape, en commençant par définir la prévention.

Prévenir d’abord

La prévention (du moins ce qu’on appelle la prévention primaire) concerne des actions posées avant l’apparition de la maladie. Elle existe dans le but de la prévenir et donc de ne pas tomber malade, ce qui est une bonne idée.

Sur mon graphique, j’ai indiqué un premier temps (ligne noire épaisse verticale) qui correspond généralement à celui de la prévention. La personne qui n’est alors pas malade (et n’a pas non plus de symptôme) est la candidate parfaite pour la prévention, qu’on appelle « primaire » ici.

Au fait, la prévention, ça fonctionne. Le saviez-vous? Il existe quantité de données portant sur l’efficacité de la prévention. Une bonne alimentation, de l’exercice physique régulier et ne pas fumer, par exemple, retardent notablement l’apparition de maladies.

Aussi bien dire que ces actions permettent d’allonger la vie et d’améliorer la qualité de vie, des effets bien mesurés. On pourrait également inclure dans cette catégorie les vaccins.

L’arrêt du tabac est par exemple un facteur-clé pour allonger l’espérance de vie, les fumeurs vivant en moyenne 10 ans de moins que les non-fumeurs. On risque non seulement de raccourcir la vie, mais de vivre cette vie raccourcie dans un état pitoyable, à la suite d’infarctus, d’AVC, de problèmes circulatoires aux membres et bien sûr de maladies pulmonaires graves.

Des données presque aussi favorables existent pour l’alimentation. Par exemple, les alimentations méditerranéenne, végétarienne ou végane permettent toutes de diminuer les risques de cancer, de maladies cardiovasculaires et même d’allonger la vie à des degrés variables.

Pour ce qui est de l’exercice physique, on connaît son effet positif sur une foule de systèmes du corps humain. Il prévient non seulement les maladies cardiovasculaires, mais aussi les cancers et plusieurs problèmes psychologiques. De manière générale, il permet d’allonger la vie et, comme les deux autres mesures, d’améliorer la qualité de la vie.

L’effet global de ces outils de prévention primaire est de retarder l’apparition des maladies. La prévention primaire se situe donc généralement, dans le temps, avant la maladie.

Toutefois, la personne continuera peut-être à pratiquer des mesures de prévention une fois malade. Or, dans ce cas, la prévention « n’a pas fonctionné », même si cette formulation peut être abusive. Il y aura toujours des avantages à la prévention, même une fois malade.

Prévention secondaire et tertiaire

Pour sa part, la prévention secondaire est appliquée après le diagnostic de la maladie. Par exemple, elle peut être utilisée chez un patient qui a déjà eu un infarctus, puisqu’elle permet de diminuer le risque de récidive. On sait que cette prévention secondaire est également efficace pour prévenir les récidives de cancers.

Les mêmes facteurs — exercice physique, alimentation, cessation du tabac — sont efficaces en prévention secondaire, autant pour les maladies cardiaques que pour les cancers.

Il existe même une notion appelée « prévention tertiaire ». Dans ce cas, il s’agit d’atténuer les complications liées à une maladie présente s’étant déjà manifestée. Par exemple, si on pousse les cardiaques à faire plus d’exercice, on diminue non seulement le risque de récidive d’infarctus (prévention secondaire), mais également le risque de complications de l’infarctus. J’ai représenté ces moments sur le schéma suivant:

Dépister les maladies

Les gens confondent parfois le dépistage et la prévention. Or, ce n’est pas la même chose. La relation entre le dépistage et l’apparition de la maladie n’est pas la même que pour la prévention. Ici, c’est l’absence de symptôme qui est le critère.

Le dépistage se situe avant l’apparition des symptômes de la maladie, soit chez une personne en bonne santé (ligne 1) soit chez une personne déjà malade (ligne 2), sans qu’on sache où l’on se trouve sur la ligne du temps.

Le dépistage n’est donc pas de la prévention. Pourtant, certaines personnes croient qu’elles font de la prévention lorsqu’elles se font passer des tests de dépistage tels qu’une mammographie, un test sanguin pour le cancer de la prostate ou encore une coloscopie. Il s’agit plutôt de trouver des maladies déjà présentes.

Par exemple, si on trouve un petit cancer du côlon avec un dépistage par une recherche dans les selles puis par une coloscopie, alors que le patient n’a aucun symptôme, il s’agit d’un dépistage. Le dépistage est donc réalisé soit avant l’apparition de la maladie, où il est dans ce cas inutile; soit après, ce qui est plus logique, son objectif étant justement d’attraper une vraie maladie qui ne donne pas encore de symptômes.

Pour ce qui est des résultats réels du dépistage, il faut savoir qu’ils sont souvent moins impressionnants que ceux de la prévention. Par exemple, si on parle d’allonger la vie (le but ultime de la médecine, pourvu qu’il s’agisse d’une vie de qualité), aucun dépistage du cancer n’a à ma connaissance démontré clairement qu’il permettait d’allonger la vie en général — c’est-à-dire de repousser la date du décès. C’est surprenant (voire déprimant), mais c’est la réalité.

Plusieurs dépistages, il est vrai, diminuent sans aucun doute le risque de mortalité spécifique par le cancer dépisté, c’est-à-dire qu’ils empêchent spécifiquement ce cancer d’abréger la vie. Mais cela n’est pas équivalent à dire qu’ils permettent d’allonger la vie par ailleurs.

Cela peut être parce que les études n’ont pas assez de puissance pour le démontrer, mais, plus probablement, c’est parce que les effets favorables de ces dépistages sont de moindre amplitude que ce qu’on en pense.

Le pire exemple est le dépistage du cancer de la prostate. Quand on dépiste ce cancer, on en trouve beaucoup, surtout chez les hommes plus âgés. Par contre, on ne réussit pas à allonger la vie des hommes en général quand on effectue un dépistage pour ce cancer.

D’autres dépistages

Il existe d’autres dépistages importants, notamment pour les ITSS ou pour des maladies comme le diabète ou l’hypertension, qui généralement ne causent pas de symptômes. De manière générale, ces dépistages ont des effets bénéfiques, permettant de traiter plus rapidement ces maladies, bien qu’ils ne permettent pas toujours de prolonger la vie.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus se faire dépister, mais peut-être qu’on mise trop là-dessus et qu’on dépiste bien trop fréquemment. Le Collège des médecins du Québec recommande dans sa Fiche de prévention clinique les dépistages jugés utiles, qu’on peut effectuer en fonction des visites chez le médecin. Il me semble que tout le monde devrait l’imprimer pour savoir à quoi s’en tenir.

Par contre, il est clair que les bilans de santé complexes, les prises de sang annuelles et beaucoup d’autres tests de dépistage pratiqués dans certains contextes n’ont aucun effet sur la durée ou la qualité de vie des personnes en bonne santé et devraient être évités, ne serait-ce que pour éviter les dépenses et surtout, ce qu’on appelle les faux positifs: quand le test est anormal mais qu’il n’y a pas de maladie.

Diagnostiquer

Qu’en est-il du diagnostic? Même si le dépistage peut mener à un diagnostic, je pense ici davantage à ce qui est au coeur de la médecine: la démarche diagnostique, qu’on pratique chez un patient présentant certains symptômes, dont il s’agit dès lors de trouver la cause. Cela est bien différent que de dépister une maladie chez une personne asymptomatique.

Sur mon schéma, la démarche diagnostique arrive au moment où les symptômes (souvent liés à une maladie) sont apparus.

Quand je travaille à l’urgence, les patients se présentent pour différents symptômes. Certains évoquent des maladies sérieuses comme l’infarctus, l’insuffisance cardiaque ou encore la fibrillation auriculaire; d’autres sont moins critiques, comme l’anxiété, les problèmes digestifs comme le reflux acide ou encore les préoccupations somatiques.

Le plus important est de bien questionner et d’examiner les patients, pour éviter de partir dans toutes les directions diagnostiques comme une poule pas de tête. Mon but à l’urgence est de m’assurer que je ne me trouve pas d’une part en face d’un problème grave et urgent et, d’autre part, de préciser un diagnostic plus ou moins grave avec des tests spécifiques. Dans d’autres disciplines, c’est aboutir à un diagnostic très précis et parfois complexe.

J’effectue ensuite parfois certains tests, qui doivent être ciblés en fonction du questionnaire et de l’examen physique. L’ensemble de cette démarche diagnostique vise à préciser la cause des symptômes. Dans ce cas, on ne parle donc plus de dépistage, réalisé chez les patients sans symptômes.

Par exemple, lorsqu’un patient présente des douleurs abdominales et qu’on aboutit éventuellement à un diagnostic d’appendicite ou de cancer du côlon, il s’agit d’une démarche diagnostique ayant permis de poser un diagnostic. Il se peut également qu’on éprouve des symptômes, mais qu’il n’y ait aucun diagnostic clair associé.

Et le traitement?

Qu’une maladie ait été dépistée ou découverte à la suite d’une démarche diagnostique, il faut ensuite parler traitement, si un tel traitement existe et s’il est indiqué. On ne traite pas nécessairement toutes les maladies.

Quand on traite, c’est pour éviter des symptômes (améliorer la qualité de vie) ou allonger sa vie (éviter une mort précoce). Les décisions de traiter ou non et de la façon dont on traite sont complexes et demandent beaucoup d’expertise.

Quoi qu’il en soit, je ne vous souhaite aucune maladie. J’espère au moins avoir clarifié les notions entourant la prévention, le dépistage et la démarche diagnostique. Vous comprendrez peut-être mieux de quoi on parle lorsqu’on utilise les mots « prévention », « dépistage » et « démarche diagnostique ». C’est déjà ça de pris.

Mais je constate que vous vous débrouillez déjà bien, comme en fait foi mon sondage Twitter, où vous avez largement trouvé la bonne réponse : comme on l’a vu, la prévention se situe généralement avant la maladie.

Je dois admettre, comme je l’ai mentionné dans ce texte, que ma question était imprécise et laissait place à interprétation. C’est qu’on continue parfois à prévenir après le début de la maladie (ce n’est plus de la prévention efficace, mais bon) ou même après le diagnostic (mais c’est alors autre chose, de la prévention secondaire ou tertiaire). Mon sondage prêtait donc le flanc à la critique, puisqu’on peut prévenir après le début de la maladie.

Pour ce qui est du dépistage, j’étais aussi un peu imprécis: on peut aussi dépister avant la maladie, mais le but du dépistage, c’est d’attraper une maladie déjà présente, donc après le début de cette maladie. La prochaine fois, je tenterai d’être plus précis dans mon quiz! Par contre, la démarche diagnostique, qu’engendre l’apparition des symptômes, se situe bien après le début de la maladie.