Texte mis à jour le 1er octobre 2020.
À plusieurs endroits, récemment, des files interminables attendaient les personnes venues se faire tester pour la COVID-19. Celles-ci ont ensuite dû rester plus d’une semaine confinées à la maison, dans l’attente de leurs résultats. Le nouveau chef conservateur Erin O’Toole a reproché au Parti libéral du Canada de ne pas encore avoir approuvé de tests plus rapides et moins effractifs. Mais le problème est-il vraiment là ?
On entend beaucoup parler des tests salivaires que le Québec, comme d’autres juridictions, pourrait bientôt utiliser. Ne rêvons pas : ces tests ne donneront pas de résultats plus vite que les examens actuels. Ils pourraient même accroître les délais.
Depuis le début de la pandémie, les tests de diagnostic de la COVID-19 sont réalisés avec des écouvillons insérés dans le nez. L’échantillon est prélevé dans le nasopharynx, tout au fond des fosses nasales, puis il est conservé dans une glacière jusqu’à ce qu’il arrive dans un laboratoire d’analyse. Là, il est traité par PCR — un acronyme qui signifie « réaction en chaîne par polymérase » — pour multiplier le matériel génétique du virus (son ARN) jusqu’à ce qu’il devienne détectable. L’ARN est alors décodé et, si sa séquence est identique à celle du coronavirus SARS-CoV-2, le test est positif.
Le test de salive utilise aussi la technique de la PCR. L’échantillon est plus simple à collecter, et la procédure, moins désagréable : il suffit de cracher au moins deux millilitres de salive dans un tube en plastique, qui peut ensuite être conservé à la température ambiante.
Gros avantage des tests salivaires : chacun pourrait prendre son propre échantillon à la maison, et on diminuerait ainsi le recours aux professionnels de la santé qui font actuellement les prélèvements. Les tubes en plastique étant bien plus faciles à produire que les écouvillons, les risques de rupture de stock seraient aussi nettement moindres.
« On aura toujours besoin par contre d’avoir des gens qui identifient les échantillons avec le numéro d’assurance maladie et les coordonnées de chaque personne, ce qui prend aussi un peu de temps », prévient la Dre Julie Bestman-Smith, microbiologiste au CHU de Québec.
Les files d’attente dans les centres de dépistage diminueront-elles nettement ? Ça reste à voir, car il est possible que la demande pour des tests augmente si ceux-ci sont moins pénibles, croit le Dr Michel Roger, directeur du Laboratoire de santé publique du Québec.
Une fois au laboratoire, qui plus est, l’analyse de la salive est un peu plus longue que celle de l’écouvillon. Il faut ajouter une étape de centrifugation pour rendre l’échantillon moins visqueux avant la PCR. Les étapes suivantes sont identiques.
Même si les tests salivaires se généralisent, les laboratoires vont devoir continuer d’analyser des écouvillons en parallèle. En effet, les personnes âgées ou malades sont souvent incapables de produire assez de salive pour que celle-ci puisse être analysée. Le grand âge, plusieurs maladies, dont la COVID-19, et d’innombrables médicaments peuvent rendre la bouche sèche. « Dans les CHSLD ou à l’hôpital, on a très peu de chance de pouvoir faire des tests de salive », croit Julie Bestman-Smith.
L’introduction d’un second type de test « forcerait donc les laboratoires à se réorganiser, ce qui pourrait aussi accroître les délais », prévient Michel Roger.
C’est déjà là que le bât blesse : faute de personnel suffisant, les laboratoires peinent à tenir la cadence et prennent progressivement du retard dans les analyses.
À Québec seulement, il faudrait une cinquantaine de techniciens supplémentaires pour exploiter à fond les instruments d’analyse dans les labos qui desservent le CIUSSS de la Capitale-Nationale, estime Julie Bestman-Smith. La microbiologiste craint l’épuisement des équipes en place, qui, en plus de leur horaire régulier, travaillent déjà une fin de semaine sur deux depuis mars. Son équipe ne parvient pas à atteindre la cible de 4 000 analyses par jour fixée par le ministère de la Santé, même en confiant une partie des tests à des chercheurs et à des entreprises privées, et les retards s’accumulent. Des automates pouvant s’acquitter de certaines tâches, qui permettraient d’accélérer la cadence, ont été commandés, mais n’ont pas encore été livrés. Les pénuries de réactifs ajoutent aussi des délais.
Les tests antigéniques sont-ils la solution ? Ces examens donnent des résultats en quelques minutes en détectant non pas l’ARN, mais un fragment d’une protéine à la surface du virus, sur le même principe que les tests de grossesse. Santé Canada vient tout juste d’approuver un premier test antigénique, le test ID Now produit par la compagnie Abbott Diagnostics, qui comprend les écouvillons nécessaires aux prélèvements et une petite machine portative qui les analyse en 15 minutes.
Seul hic : ces tests antigéniques sont beaucoup moins fiables que les tests par PCR. « Les meilleures trousses qu’on a analysées détectent environ 60 % des cas », précise Michel Roger. Près d’une personne infectée sur deux pourrait donc ne pas être repérée avec ce type de test. Pour ne pas échapper de cas, il faut donc réanalyser les échantillons négatifs par PCR, pour confirmer qu’ils sont vraiment négatifs.
Les tests sérologiques, eux, recherchent les anticorps qu’une personne infectée va produire. Ils sont inutiles pour le diagnostic initial, car la production des anticorps commence bien après le début de la maladie et de la période de contagion. On ne sait pas non plus à quel point ces anticorps sont efficaces pour neutraliser l’infection ni si les personnes ayant eu peu de symptômes, ou n’en ayant pas eu du tout, ont vraiment produit des anticorps. Ces tests sont donc plutôt utiles pour surveiller la progression de la pandémie, car ils donnent une idée du nombre de personnes ayant déjà été infectées.
Dans ces conditions, comment aller plus vite ? Plusieurs solutions sont envisagées, car la situation actuelle n’est pas tenable.
D’abord, compte tenu des limites du système, il faudrait mieux prioriser les tests en fonction du risque de contagion. Actuellement, certaines catégories de personnes ont la priorité, comme les travailleurs de la santé, mais il faut aller plus loin.
Par exemple, Québec demande aux parents d’un enfant de moins de cinq ans dont le nez coule depuis plus de 24 heures et qui a de la fièvre d’aller le faire tester, même s’il ne fréquente pas de service de garde. Un élève d’une école secondaire qui commence à tousser doit aussi se faire tester. Son cas devrait cependant avoir préséance sur celui de l’enfant, car il court des risques plus importants de transmettre la maladie, par exemple à ses amis à la sortie de l’école ou à ses coéquipiers de sport. Actuellement, ce n’est pas le cas. Bref, faute d’établir une hiérarchie plus fine dans les tests à réaliser, on ne préviendra pas la contagion de manière optimale.
Il faut aussi bien expliquer la stratégie de dépistage à la population pour éviter les tests peu pertinents. On doit notamment marteler le message que se faire tester juste pour se rassurer ou en prévision d’un rassemblement de famille, quitte à s’inventer des symptômes, est très nuisible.
Ensuite, on devrait réexaminer la pertinence d’intégrer des tests antigéniques à la stratégie de dépistage, malgré leur faible sensibilité. Cette semaine, le gouvernement Trudeau a annoncé avoir passé une entente avec la compagnie Abbott Diagnostics pour acheter 7,9 millions d’exemplaires du test ID Now, ainsi que 3800 machines pour en analyser les écouvillons. Aux États-Unis, trois autres tests antigéniques ont été approuvés par la FDA depuis la mi-juillet, mais aucun test à faire à la maison n’est autorisé.
Pour l’instant, rien ne prouve que les tests antigéniques permettront de gagner du temps, puisqu’en moyenne, plus de 95 % des échantillons analysés chaque jour au Québec ne contiennent pas le virus. Le peu de temps gagné en évitant de réanalyser par PCR les échantillons positifs au test antigénique pourrait facilement être perdu au cours de la manutention.
Cela dit, dans le contexte actuel, il faudrait vérifier si un éventuel gain de temps serait possible. Ces tests antigéniques pourraient par exemple être déployés dans des lieux à fort risque d’éclosion, comme dans des résidences pour personnes âgées ou à n’importe quel endroit où plusieurs personnes ont déjà été contaminées, où on serait susceptible de retrouver une plus grande proportion de résultats positifs au test antigénique que dans la population générale.
Autre stratégie à considérer : l’analyse groupée des échantillons, qui a aussi des avantages et des inconvénients. Sachant que plus de 95 % des échantillons donneront un résultat négatif, on pourrait, plutôt que de les tester un par un, les mélanger pour les analyser par lots, par exemple 20 par 20. Ainsi, on gagnerait du temps. On n’aurait ensuite qu’à tester un par un les échantillons ayant donné un résultat positif. Sur le plan statistique, on aurait ainsi toutes les chances de réduire le nombre d’analyses à faire. Par contre, on multiplierait les procédures administratives et on complexifierait la manutention. Il n’est pas dit qu’on gagnerait du temps de cette manière. Là aussi, c’est à vérifier.
Surtout, il est urgent de regarnir les rangs dans les laboratoires d’analyse, croit la Dre Bestman-Smith. « Nos techniciennes [ce sont surtout des femmes qui réalisent les analyses] font aussi des tâches qui ne demandent pas de qualification en biologie moléculaire, comme vider des glacières. Actuellement, on tente de recruter des chercheurs ou même des étudiants pour nous aider, mais je pense qu’on pourrait donner une formation rapide à bien des gens, comme on l’a fait avec les préposés aux bénéficiaires, pour optimiser le dépistage. »
Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇