Qui sont les guerriers de la pandémie ?

La peur du coronavirus a poussé de nombreux travailleurs de la santé à rester à la maison pendant la crise, tandis que d’autres sont allés au front. Bruno Pilote, chercheur en sciences infirmières à l’Université Laval, veut comprendre ce qui les différencie.

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Vous menez une étude qui, à votre connaissance, n’a encore jamais été faite en Amérique du Nord. En quoi consiste-t-elle ?

Mon équipe veut déterminer, à l’aide de questionnaires et d’entrevues, le profil type des gens prêts à intervenir dans les zones chaudes, là où on traite des cas de COVID-19, dans tous les corps de métier de la santé — pharmaciens, infirmières, etc. — et chez les préposés à l’entretien. Certains n’hésitent pas à s’exposer à des situations chaotiques, c’est même ce qui les anime ! Il est très utile, pendant une crise, de les mettre à l’avant-plan, parce qu’on sait qu’ils seront capables d’absorber la charge émotive.

Cela réduit donc le taux de désistement ?

Oui, et le risque de conséquences psychologiques graves. C’est ça qui m’inquiète. À la suite de la crise du SRAS à Toronto, en 2003, un rapport avait établi que la moitié du personnel en santé avait souffert de choc post-traumatique et de dépression. Une hécatombe !

Au Québec, plus de 10 000 professionnels en soins se sont absentés pendant la crise, entre autres parce qu’ils avaient peur du virus. Cette désertion est-elle surprenante ?

Bruno Pilote. Photo : D.R.

Ces travailleurs sont formés pour agir comme des Casques bleus, et non comme des militaires du rang — ils sont là pour faire régner la santé, pour que les gens guérissent. Une approche qui a bien répondu à nos besoins ces 100 dernières années. Mais du jour au lendemain, on leur a dit : « Maintenant, vous allez en zone de guerre, des patients vont dépérir et mourir, et peut-être aussi certains d’entre vous. » Plusieurs ont été profondément troublés de ne pouvoir apporter les soins appropriés en CHSLD, par exemple.

Qu’est-ce qui caractérise ceux qui restent au front ?

On vient de commencer l’analyse des données. Mais j’observe qu’en proportion, la mobilisation semble plus marquée parmi les professionnels dont la formation prépare aux situations d’urgence — ambulanciers, urgentistes, inhalothérapeutes… J’essaie néanmoins de trouver, en entrevue, quelles conditions pourraient faire qu’ils quittent le navire — la rareté des masques de protection, par exemple. Et ce qui pourrait inciter les « désengagés » à revenir au travail. Lors d’une prochaine vague d’éclosion, ça aidera les autorités à mieux rallier les troupes.

La peur de contaminer sa famille joue-t-elle un rôle dans l’absentéisme actuel ?

J’avais émis l’hypothèse que les plus engagés seraient des jeunes célibataires sans enfant, mais jusqu’ici, ça ne se confirme pas. Si pour une personne aider les autres est une valeur primordiale, ça va l’emporter sur tout le reste. C’est donc une question de priorités. Cela dit, on n’a pas encore fini la collecte de données, notre étude se poursuit. Les professionnels de la santé peuvent y participer sur le site recherche-covid-19.com.

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10 000 absents! J’ai bien hâte de connaître les résultats de Monsieur Pilote sur qu’est-ce qui a bien pu empêcher 10 000 « guerriers » de la santé d’être au poste pendant une crise de la santé d’une telle envergure.

10 000 personnes absentes et ce au pire moment de l’épidémie n’est pas rien . Chaque personnes additionnelles,présentes au travail auraient jouée un rôle essentielle , important et significatif. Heureux de voir que Monsieur Pilote s’intéresse aux causes de ces nombreuses absences , surtout hâte de voir le résultat . Loin de moi l’idée de juger ses nombreuses absences mais la désignation d’anges gardiens a l’ensemble du personnel de la sante me semble exagéré ,méritent d’être analysée de plus près et surtout plus nuancée.

Je crois que M. Pilote a déjà une grande partie de la réponse. Dans un de ses constats il affirme ceci: « Si pour une personne aider les autres est une valeur primordiale, ça va l’emporter sur tout le reste. » Ayant eu, en 1998, à gérer une situation d’urgence, je peux confirmer que cet élément s’est avéré le plus déterminant quant aux personnes qui ont donné généreusement de leur temps et de leurs efforts pour rendre service à des citoyens démunis. On est ici carrément sur le terrain des valeurs et malheureusement, une observation attentive des comportements humains nous apprend que l’on ne peut reprogrammer l’échelle de valeurs d’un être humain adulte.