L’alcool abondant vous fera rigoler le soir du party de bureau, mais bougonner le lendemain. Maudite boisson !
On se dira qu’on aurait dû faire plus attention et c’est peut-être là un début de sagesse. Mais pour cette fois, il est trop tard : vous passerez votre journée misérable à endurer une gueule de bois.
Accessoirement, vous pourrez en profiter pour apprendre quelques trucs, pour la prochaine fois.
D’abord, pour le prochain cinq à sept, retenez le nom scientifique de la gueule de bois: «veisalgie», néologisme créé en l’an 2000 à partir du mot norvégien kveis («malaise qui suit la débauche») et de la racine grecque algia («douleur»). Ce qui explique tout et se glisse bien dans la conversation (1).
Parlant de boisson, ce n’est pas tant l’alcool qui est si toxique, mais surtout un de ses produits de dégradation, l’acétaldéhyde, cancérigène reconnu et vrai responsable de plusieurs des effets secondaires qui suivent en effet la débauche : maux de tête, mal de cœur, vomissements, diarrhée, manque d’appétit, tremblements, fatigue, palpitations, baisse de pression artérielle (avec étourdissements en position debout), trouble de concentration, confusion visuelle et spatiale.
Bref, une méchante brosse, comme on dit — d’ailleurs aussi douloureuse pour les cheveux que désagréable pour le moral.
La transformation subséquente de l’acétaldéhyde en acétate beaucoup moins toxique peut durer jusqu’à 24 heures et demande un énorme travail du foie, qui en développera parfois une certaine inflammation, véritable hépatite toxique (et non infectieuse, comme celle causée par les virus, par exemple).
D’ailleurs, si vous passez à l’urgence parce que vous ne teniez plus sur vos pieds et que vous avez fait connaissance avec le trottoir, une prise de sang montrera une élévation anormale et caractéristique des enzymes du foie. Sur des décennies, cette inflammation conduira — parmi d’autres facteurs — à la cirrhose, état terminal d’un foie ayant abusé des choses de la vie. Mais c’est une toute autre histoire, restons optimistes.
De l’eau et du gras
La prise d’alcool cause aussi une déshydratation qui peut contribuer aux symptômes, notamment une appétissante bouche pâteuse et la baisse de votre pression artérielle. On risque d’autant plus de manquer d’eau que tout alcool possède un pouvoir diurétique — c’est-à-dire qu’il fait pisser, comme on dit.
Une bonne raison de prévenir la déshydratation en buvant de l’eau, entre chaque consommation d’alcool, et en poursuivant ensuite, avec un grand verre au coucher. Et le lendemain matin, si vous n’avez pas trop mal au cœur, tentez d’enfiler deux autres grands verres d’eau : tout cela contribuera à rétablir un équilibre hydrique qui jouera nettement en votre faveur.
Vous connaissez sûrement aussi les conséquences de la boisson sur un estomac vide. Manger permet en effet de ralentir l’absorption de l’alcool, alors un estomac plein avant de l’arroser d’alcool n’est pas une mauvaise idée. Comme on recommande surtout les matières grasses, les vertus d’une grosse poutine seront plus évidentes en prévention qu’au déjeuner le lendemain.
Boire clair
L’effet toxique de l’alcool varie aussi en fonction de ce qui est bu : les alcools colorés produiraient plus de substances néfastes. Alors si vous avez le choix, favorisez les alcools à travers lesquels vous pouvez lire la carte des vins.
Par ailleurs, vous connaissez la comptine : «blanc sur rouge, rien ne bouge ; rouge sur blanc, tout fout le camp». Apparemment, c’est un mythe (2). Mais la question plus large demeure un objet de débats : quel vin cause le moins d’effets secondaires ?
Certes, le vin rouge contiendrait plus d’histamine, substance naturellement produite et causant plusieurs effets, dont cette dilatation des vaisseaux sanguins qui vous donnera de belles pommettes rouges.
Mais le lien avec le mal de tête et la migraine est moins certain : on le sait maintenant, elles sont plutôt liées à certaines substances chimiques du cerveau (comme la sérotonine) et non à la dilatation des vaisseaux, comme on le croyait auparavant. De même, le rôle des sulfites et tannins présents dans certains vins n’est toujours pas clair.
Boire moins
Il faut savoir que la tolérance à l’alcool, socialement valorisée, reflète avant tout la capacité du foie à réaliser efficacement son travail complexe de dégradation.
Or, cette capacité varie grandement d’une personne à l’autre : certains rouleront sous la table (ou danseront dessus) après quelques verres, alors que d’autres seront solides sur leurs jambes (et dans leur tête) au terme d’une enfilade effectivement impressionnante de «shooters».
N’y voir cependant aucun signe de virilité : un bagage génétique plus ou moins efficace pour dégrader l’alcool est plutôt en cause. La faible présence de certaines enzymes expliquerait d’ailleurs la vulnérabilité de certaines populations à l’alcool, comme les Amérindiens et les Asiatiques, qui ne peuvent transformer efficacement l’acétaldéhyde toxique en acétate inoffensif. Quant au sexe, la plus faible tolérance avérée des femmes s’explique surtout par la masse corporelle, mais aussi par le composition biologique (moins d’eau) et par une moindre quantité des enzymes permettant de dégrader l’alcool.
Au fait, la recommandation canadienne pour la quantité d’alcool maximale — non pas recommandée — est de deux consommations par jour (et dix par semaine) pour les femmes et de trois par jour (et 15 par semaine) pour les hommes. On s’entend que ça ne fait pas un gros party, mais si vous respectez ça, vous risquez moins de gâcher votre lendemain de veille.
Comme un foie sain élimine plus ou moins 35 ml d’alcool pur à l’heure (l’équivalant d’une bière, d’un verre de vin ou de 50 ml de vodka), ne pas dépasser ce rythme permet au foie de reprendre son souffle. Au-delà, il ne pourra faire de miracles. Mais vous n’êtes pas obligés d’en prendre autant. Comme on sait, la modération a meilleur goût.
Alors si vous respectez votre foie, il gardera le dessus. Mais si vous buvez trop rapidement, les toxiques s’accumuleront pour cause d’incapacité de détoxification. À vous de trouver le bon rythme… et à chacun son métabolisme.
Apparemment, l’exercice pourrait aussi aider pour votre gueule de bois, en augmentant le métabolisme et en accélérant ainsi les processus de dégradation, dit-on. Alors, si le cœur vous en dit, allez courir le dimanche matin un petit cinq kilomètres bien tassé après la messe, ça pourrait aider.
Évitez… l’alcool
Certains ont plutôt comme remède d’enfiler un verre ou deux d’alcool au matin. C’est possible qu’ils se sentent mieux ensuite, mais je doute fort qu’ils s’aident vraiment. Plusieurs mécanismes peuvent être en cause.
D’abord, ils y croient, et on connaît l’efficacité de l’effet placebo, dont j’ai déjà parlé. Ensuite, l’alcool a des vertus analgésiques reconnues : c’est même tout ce qu’on avait, il y a trois cents ans à peine, pour effectuer des chirurgies comme l’amputation de la jambe.
Et si vous êtes un consommateur régulier d’alcool, vous souffrez peut-être déjà d’un sevrage matinal, que vous traitez par antidote : ici, un peu d’alcool. Il serait peut-être surtout temps de réfléchir à votre consommation d’alcool.
Des chercheurs croient que même chez celui qui consomme peu d’alcool, la veisalgie s’explique en partie par un sevrage aigu, engendré par la baisse rapide des niveaux d’alcool dans le sang.
Quelques médicaments
Les analgésiques courants comme l’acétaminophène (Tylenol) peuvent aussi être utiles. Vous pourriez en prendre au coucher — un gramme, par exemple — pour son effet préventif et répéter la dose au lever, ce qui vous aidera davantage qu’un autre verre de rhum pris avec les céréales du matin. (Mais ne pas en prendre davantage: l’acétaminophène pris en doses excessives peut aussi être toxique… pour le foie! Par ailleurs, les personnes buvant chroniquement de l’alcool, surtout si elles se nourrissent mal, devraient éviter l’acétaminophène.)
Attention aux estomacs fragiles avec les anti-inflammatoires, comme l’ibuprofène (Motrin) : l’alcool étant déjà toxique pour l’estomac, son effet aussi douloureux que désagréable pourrait ainsi être multiplié.
Pour les nausées et autres protestations gastriques, vous pouvez essayer un antinauséeux comme le dimenhydrinate (mieux connu sous le nom de Gravol), à raison de 50 à 100 milligrammes à la fois. Si vous les vomissez au fur et à mesure, vous pouvez les essayer plutôt en suppositoires, ce qui n’est nécessairement agréable le dimanche matin, mais sera tout de même plus efficace.
Et ça vous rendormira un peu… peut-être ce que vous aurez de mieux à faire pour rendre les prochaines heures moins misérables.
Et soyez patients
Il demeure que le principal traitement de la gueule de bois est le temps, qui fera son œuvre, comme toujours : confiance, votre foie réussira éventuellement à vous sortir de là, en transformant les toxiques en substances anodines. Mais soyez patients, il ne pourra pas tout régler avant 10 h le matin.
Mais si vous avez mal planifié la date de votre mémorable veillée — par exemple avant une grosse journée de travail —, reste la stratégie d’aller voir un médecin particulièrement compréhensif, qui vous remettra peut-être, si vous êtes vraiment convaincant, un billet d’absence ainsi décliné : «Ne peut travailler aujourd’hui, pour cause de veisalgie aiguë.»
Votre employeur, s’il n’a pas de dictionnaire à portée de la main, n’osera peut-être pas vous demander quelle grave maladie vous donne une si mauvaise mine.
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(1) 17 déc. 21h57. On me signale un autre joli terme: xylostomiase. De xylo: « bois ». Et « stomie: « bouche ». Encore mieux sur un billet d’absence.
(2) 2 janvier. 00h36. Simon Jodoin, du Voir, me signale que l’adage « Blanc sur rouge, rien ne bouge, rouge sur blanc, tout fout le camp, réfère non pas à des effets digestifs, mais bien à la question du goût du vin et de l’ordre dans lequel ils doivent être bus. Je le remercie pour la précision. Toutefois, il semble que même de ce point de vue, l’adage n’est pas toujours vrai. Voici le témoignage d’un expert de la SAQ à ce sujet.
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