Pâques étant maintenant derrière nous, parlons un peu de réanimation, à ne pas confondre avec la résurrection. C’est qu’on en a beaucoup jasé ces derniers jours, en lien avec les patients en hébergement atteints par la COVID-19. Souvent en mélangeant les deux.
Il faut donc avant tout clarifier les faits entourant la réanimation, qui ne produisent malheureusement pas de miracles. Il s’agit même, dans ce contexte, de soins futiles, comportant des risques pour ceux et celles qui les prodiguent.
C’est triste, je sais. Peut-être pas facile à lire. On aimerait que nos proches plus âgés ne soient pas malades ; que leurs maladies ne soient pas trop graves ; que si ça devient grave, ils nous reviennent vite. Même en cas d’arrêt cardiaque.
On imagine la scène : notre grand-mère tombe inconsciente, massage cardiaque, choc avec un défibrillateur, l’instant d’après elle ouvre les yeux et nous sourit. Sauf qu’il s’agit d’une scène, justement, trop souvent galvaudée dans les fictions, ce qui contribue à entretenir des mythes délétères.
La réalité n’est pas comme ça du tout. Dans le contexte des personnes âgées hébergées, le mieux qu’on puisse faire pour ces gens qu’on aime trop, c’est de ne pas recourir à des traitements qui ne mèneront à rien, sauf d’inutiles souffrances.
J’ai lu plusieurs commentaires outrés quand on a appris la directive ministérielle proposant de ne pas effectuer de massage cardiaque chez les patients affectés (ou potentiellement affectés) par la COVID.
Beaucoup ont alors protesté : où sont leurs droits ? Comment leur refuser les soins de la dernière chance ? Pourquoi les condamner ?
D’abord, il faut remarquer que dans la directives, on peut tout de même tenter une certaine forme de réanimation, la plus importante, soit l’utilisation du défibrillateur. On demande d’éviter la RCR ensuite, surtout parce qu’elle expose les soignants aux aérosols du patient pouvant contenir le virus.

Mais surtout, au-delà des techniques employées, tout ce qu’on pourrait obtenir, au mieux, en réanimant ces patients, c’est un séjour plus ou moins long aux soins intensifs qui implique de la souffrance, sans parler des faux espoirs entretenus dans les familles.
Subir un arrêt cardiaque
Il est vrai que certains arrêts cardiaques sont à « bon » pronostic. Exemple classique : j’ai 56 ans, en bonne santé, douleur soudaine dans la poitrine (un infarctus), mon coeur s’emballe en arythmie grave, arrêt cardiaque, je perds conscience, ma fille appelle le 911 et débute le massage cardiaque, l’ambulance arrive en trois minutes, une décharge électrique est donnée, mon coeur repart, je reprends connaissance, on me transporte à l’hôpital, on traite mon infarctus, et voilà ! Ça semble simple non ?
On note d’abord que la partie « choc » est toujours permise dans la directive. Mais le plus important, c’est que ce scénario, où tout se passe idéalement, concerne une minorité de patients, à qui on permet d’espérer du positif, une chance significative de se rendre à l’hôpital, d’y être soigné puis d’en ressortir avec toute sa tête et autonome. Même dans ces circonstances favorables, seulement le tiers vont survivre.
Ce scénario « idéal » n’a donc rien à voir avec celui d’une personne hébergée dans un centre de soins de longue durée, pour plusieurs raisons, qui compromettront considérablement le pronostic.
Elle est généralement (pas toujours) âgée, souffre souvent de maladies chroniques majeures (démence, insuffisance cardiaque, maladie pulmonaire chronique, cancer, trouble de la démarche, AVC, chutes, etc.), qui ont conduit à une condition générale plutôt « lourde » ayant requis son transfert dans un CHSLD. Les patients actuellement admis survivent moins de deux ans.
On sait déjà que pour les patients de plus de 65 ans (âge moyen de 75 ans dans cette étude australienne, dans un système de santé comparable au nôtre) en centre d’hébergement, la survie à un arrêt cardiaque reste marginale, de l’ordre de 2 sur 100, et qu’aucun d’entre eux ne retrouve ses capacités antérieures.
Le résultat est nul 98 fois sur 100. Pour les deux survivants, la perte supplémentaire des capacités fonctionnelles est peu enviable.
Réanimer en cas de COVID-19
Il faut aussi comprendre que chez les patients assez affectés par la COVID-19 pour être hospitalisés, le mécanisme menant (parfois) à un arrêt cardiaque n’a rien à voir avec mon cas hypothétique décrit plus haut.
La COVID-19 attaque d’abord les poumons, engendrant une réaction inflammatoire compromettant pour les plus graves cas l’oxygénation. Cette perturbation de l’activité pulmonaire conduit les patients aux soins intensifs, notamment parce qu’il faut lutter contre la baisse d’oxygène causée par l’atteinte pulmonaire.
Quand le problème progresse, on doit souvent « intuber », c’est-à-dire placer un tube dans la trachée et le brancher sur un respirateur pour suppléer à la respiration défaillante, un traitement qui dure généralement une semaine à 10 jours quand tout va bien.
L’atteinte inflammatoire peut aussi toucher le muscle cardiaque. On retrouve également des thromboses (blocages circulatoires) touchant plusieurs organes. Comme pour toutes les maladies sévères de ce type, on observe parfois une atteinte en spirale de la plupart des organes vitaux, dont le fonctionnement est fortement perturbé, par ce qui est décrit comme une « tempête inflammatoire » causée par une décharge de protéines bien particulière, les cytokines.
On parle d’une attaque simultanée de plusieurs systèmes vitaux, poussant potentiellement les patients à l’arrêt cardiaque, par une mécanique alors beaucoup plus complexe que le « simple » arrêt engendré par un infarctus. L’arrêt survient en fin de course (ou encore par une atteinte cardiaque directe).
Bien peu de patients s’en sortent, encore moins dans un état neurologique satisfaisant. Dans une série de cas publiée, on a observé que pour 136 de ces arrêts cardiaques causés par la COVID-19, seulement 4 avaient survécu 30 jours, un seul avec un état neurologique adéquat — soit moins de 1 %. Et il s’agissait de tous les patients, pas seulement les plus âgés, le groupe le plus à risque de complications.
La conclusion est évidente : subir un arrêt cardiaque dans la suite des soins pour la COVID-19 est généralement fatal, peu importe l’âge et la condition de base. C’est tout aussi triste, mais c’est la réalité.
Combiner deux pronostics sombres
Si on combine le facteur de l’hébergement et celui de la COVID-19, du surcroît lors d’une infection assez grave pour causer un arrêt cardiaque, cela ne laisse aucune chance. Qu’en est-il d’une tentative de réanimation dans ce contexte de pronostic nul ?
C’est tout simplement un traitement futile, qui ne devrait pas être offert aux patients dans cette condition, pas plus qu’on envisagerait de leur proposer, je ne sais pas, un antibiotique ou un remplacement de hanche.
Ce traitement, la réanimation, qui ne fonctionne pas dans ce contexte, pourrait entrainer des souffrances inutiles si la personne retrouve temporairement, pour quelques heures ou quelques jours, une activité cardiaque et un semblant de vie. Il s’agit d’une forme d’acharnement thérapeutique, ce que personne ne souhaite pour soi-même ou ses proches.
Pratiquer une telle réanimation, une situation propice à la propagation du virus dans l’environnement, c’est aussi exposer les soignants à un risque indu de contamination, surtout quand on est moins habitué et surtout quand on ne dispose pas de tout le matériel de protection requis.
Tous les soignants doivent se protéger eux-mêmes avant d’entreprendre des manœuvres de réanimation, ce qui prolonge les délais.
Niveaux de soins
Toutes ces considérations devraient avoir été discutées à l’avance avec la personne (ou sa famille si elle est inapte) et les décisions de réanimer ou non prises à l’avance. C’est le cas pour la majorité des patients en CHSLD, pour lesquels la conduite acceptée est de ne pas tenter de réanimer.
Il s’agit d’offrir ce qui est le plus important, des soins de confort de qualité et une présence rassurante dans les circonstances. Il faut s’en parler et en parler à nos proches.
Quand une personne est hébergée, les soignants établissent habituellement ce qu’on appelle les niveaux de soins, qui correspondent aux traitements que la personne souhaite recevoir si le pire survint. Deux collègues à moi ayant produit une vidéo bien faite pour en expliquer ce sujet difficile et clarifier les choses, je vous invite à l’écouter :
Je pense qu’on ne devrait pas proposer, dans cette discussion nécessaire avec les patients, des soins n’ayant aucune chance de réussir, comme la réanimation dans un contexte de l’hébergement des personnes âgées en CHSLD, que le patient soit ou non atteint de COVID-19. Même si ça demeure un sujet sensible, certaines personnes se sentant « condamnées » s’il n’y a pas de tentative de réanimation.
Ce n’est pas faux : en cas d’arrêt cardiaque, si on ne réanime pas, la personne ne survivra pas. Mais comme on l’a vu, même s’il y a réanimation, on ne pourra obtenir qu’une survie temporaire ou encore (rarement) un congé de l’hôpital sans avoir récupéré ses capacités. Ce genre de pronostic doit être abordé quand on décide avec le patient du niveau de soins souhaité.
Demander qu’on ne pratique pas de gestes de réanimation en cas d’arrêt cardiaque chez une personne en CHSLD souffrant de COVID-19 peut sembler a priori inhumain, mais agir autrement ne rendrait service à personne, et surtout pas à la personne visée. Reste à mieux soulager les gens en fin de vie, ce qui constitue des soins vraiment humanisés à cette l’étape ultime d’une longue vie.
Merci au docteur Alexis Cournoyer, urgentologue et chercheur, et Claudie Roussy, infirmière praticienne en cardiologie, pour m’avoir pointé certaines données portant sur les taux de réanimation.
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Bonjour,
J’aimerais savoir vous ne mentionnez pas qu’on peut aller sur le site de la RAMQ et compléter le formulaire de «Directives médicales anticipées» ?
J’aimerais également savoir si effectivement les médecins de l’urgence consultent le site de la RAMQ pour savoir s’il y a effectivement le formulaire a été complété et transmis à la RAMQ ?
Merci à l’avance pour les réponses et bonne fin de journée.
J’ai remplie se formulaire et je me pose la même question que vous. Sera-t’il consulté?
Merci pour ces précisions. Cela répond à certaines questions que je me pose vu mon âge avancé.
Voilà, c’est la première fois que je fais un commentaire. J’ai 73 ans et suis en accord avec les commentaires et informations que voua avez faits. En règle général, les soins donnés aux personnes en CHSLD sont de qualité. Ce sont les exceptions que l’on doit trouver et régler. J’ai oeuvré 5 ans dans un Centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes, après 15 ans dans le milieu hospitalier, presqu’autant à l’OPHQ, et près de huit ans à la RAMQ. J’ai une bonne idée du réseau et il ne faudrait pas que le journalisme tombe dans la bêtise d’un bon os à gruger . Viser les exceptions, soit. Mais éviter les généralités sur la situation des CHSLD. Il y a des améliorations à apporter et je crois que ce gouvernement semble bien en saisir la portée. Merci De nous faire comprendre que nous demeurons ces êtres mortels rêvant de vie éternelle.
Je suis entièrement d’accord avec vous m. Monette. Je suis membre d’un comité de résidents d’un CHSLD et je peux vous dire qu’avant cette expérience enréchissante j’avais la même perception que bien des gens. Mon avis était basée sur le oui dire des gens et surtout sur la désinformation souvent diffusée par les journalistes. Mon père est dans un CHSLD et je peux vous dire qu’il reçoit ainsi que les autres résidents de très bons soins.C’est loin d’ être parfait mais les cas sont tellement lourds que ça nécessiterait une préposé dédiée à chacun d’entre eux. Il ne faut pas oublier que ces résidents sont très souvent en fin de vie . Bref je pense que la covid19 va certes contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des résidents malheureusement certains journalistes vont encore continuer à frapper sur les exceptions qui font vendre leurs journaux. Triste mais c’est la réalité.
Bref il ne faut pas oublier que plusieurs résidents ne veulent pas être réanimés car ils veulent mettre fin à leur souffrance !! Je pense qu’il faut respecter leur droits, c’est leur vie et non la nôtre.
Merci pour cet article. Il est important de diffuser de genre d’information.
Merci au Dr Vadeboncoeur pour cette excellente mise en contexte.
Une partie du problème réside probablement dans les avancées médicales des dernières décennies. On en vient de plus en plus à considérer les médecins comme infaillibles et on ne comprends pas qu’ils n’aient pas toutes les réponses à nos problèmes de santé. On peut saluer les progrès de la médecine moderne, mais collectivement, il faut réapprendre à accepter notre mortalité.
La pratique de la médecine n’est pas devenue trop prétentieuse ?