Recyclage des produits électroniques : bulletin de santé

Le recyclage des appareils électroniques se développe au Québec. Les entreprises respectent les normes, révèle une étude. Mais ces normes sont-elles assez sévères ? La réponse de la coauteure du rapport.

Darren Calabrese / La Presse Canadienne

En 2022, pour ses 10 ans d’existence, l’Association pour le recyclage des produits électroniques du Québec (ARPE-Québec) annonçait fièrement avoir récolté plus de 175 000 tonnes d’ordinateurs désuets, de vieilles imprimantes et autres Serpuariens dans des centaines de points de dépôt, et en avoir assuré un recyclage responsable par l’intermédiaire d’un réseau de sept entreprises qualifiées. C’est à cela que servent les écofrais que nous payons à l’achat d’appareils électroniques.

Diverses études dans le monde ont montré que les travailleurs du recyclage des produits électroniques, y compris dans des pays riches, sont souvent exposés à des doses importantes de produits toxiques. Aucune étude n’avait été faite au Québec jusqu’ici. En avril 2022, un rapport de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a révélé que les travailleurs du recyclage respirent de faibles quantités de contaminants, qui ne dépassent pas les normes mais qui pourraient s’avérer néfastes pour la santé.

L’actualité a demandé à Sabrina Gravel, chercheuse en prévention des risques chimiques et biologiques à l’IRSST, et coauteure de l’étude, d’en partager les grandes lignes.

La chercheuse s’est penchée sur les entreprises qui reçoivent les appareils et les démantèlent pour constituer des ballots de plastique, de métaux, de cartes électroniques et autres, qui sont ensuite envoyés à d’autres recycleurs plus spécialisés. Elle a sélectionné un échantillon de six entreprises de tailles variables, avec ou sans but lucratif, présentant divers degrés de mécanisation et membres ou non de l’ARPE, laquelle a pour mission de coordonner la gestion responsable des déchets électroniques. 

« Sur les six entreprises de l’échantillon, certaines n’étaient pas qualifiées, mais nous n’avons pas observé que la qualification avait une quelconque incidence sur la qualité des pratiques relatives à la santé au travail », explique Sabrina Gravel, qui estime que cet échantillon est représentatif du recyclage primaire au Québec. « On a visité une très grosse entreprise à but lucratif où il n’y avait pas vraiment de mécanisation. Dans une petite entreprise, le plastique et les métaux étaient séparés manuellement et un équipement réduisait les boîtiers de plastique en granules. Ailleurs, il y avait une machine pour dégainer les fils électriques, séparer le métal et réduire la gaine de plastique en poudre », décrit-elle.

Dans ces six entreprises, la chercheuse et son équipe ont mesuré les concentrations de 12 métaux et de 40 retardateurs de flammes dans le sang et l’urine de 85 travailleurs et dans l’air qu’ils respirent.

Un cocktail de métaux

Pour chaque métal, le Règlement sur la santé et la sécurité du travail indique une concentration dans l’air à ne pas dépasser. C’est la VEMP (valeur d’exposition moyenne pondérée). A priori, tout va bien pour les 85 travailleurs, aucun métal n’excède la VEMP dans l’air autour d’eux.

Ils en respirent tout de même en faibles concentrations, puisque Sabrina Gravel a détecté du plomb, du cadmium, de l’arsenic, du nickel et d’autres métaux dans leur sang et leur urine. Mais là encore, pour chaque métal, les concentrations mesurées sont en dessous des indices biologiques d’exposition (IBE), c’est-à-dire les valeurs à ne pas dépasser dans les liquides biologiques comme le sang et l’urine. Les IBE proviennent du Guide de surveillance biologique de l’exposition publié par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

Le problème est que des métaux différents peuvent avoir le même effet néfaste sur la santé. Par exemple, on connaît les effets sur les reins du cadmium et du plomb. En outre, le manganèse et le plomb affectent les organes reproducteurs masculins. C’est l’effet cocktail.

Sabrina Gravel a évalué cet effet cocktail. Ses calculs révèlent que les concentrations combinées de cadmium et de plomb sont suffisantes pour être dommageables pour les reins.

« Si on examine chaque substance isolément, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Mais si on regarde par combinaisons de substances, on s’aperçoit qu’il y a quand même un risque pour la santé des travailleurs », estime la chercheuse.

Des hormones perturbées

Les appareils électroniques contiennent également des retardateurs de flammes, qui se retrouvent dans l’air. Sabrina Gravel les a aussi détectés dans le sang ou l’urine.

Les retardateurs de flammes sont reconnus pour être des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils altèrent le fonctionnement des hormones. De fait, Sabrina Gravel a mesuré le taux de quelques hormones chez les travailleurs et trouvé, par exemple, une baisse de testostérone chez les hommes et une diminution des hormones thyroïdiennes chez les femmes.

Contrairement aux métaux, il n’y a pas encore de VEMP ou d’IBE pour les retardateurs de flammes, parce qu’on ne sait toujours pas précisément quels problèmes de santé découlent d’une variation du taux d’hormones. « Les effets néfastes associés aux variations d’hormones sont difficiles à quantifier. On n’en connaît pas encore beaucoup sur les doses qui peuvent entraîner des problèmes de fertilité ou des cancers chez les adultes, par exemple », explique Sabrina Gravel. On n’a pas encore ce recul.

C’est le temps d’agir

Sabrina Gravel ne prétend pas avoir un portrait complet de la situation, mais elle estime qu’il n’y a pas lieu d’attendre d’en savoir plus pour agir. « Ce qui nous préoccupe, c’est le grand potentiel d’exposition à de nombreuses substances, et pour moi, c’est suffisant pour dire qu’il faut réduire l’exposition des travailleurs », s’inquiète-t-elle.

Au Canada, c’est le Bureau de la qualification des recycleurs (BQR), une initiative de l’industrie, qui s’assure que les entreprises appliquent les normes fédérales et provinciales ayant trait à la santé et la sécurité. À l’ARPE-Québec, tout recycleur doit être contrôlé et approuvé par le BQR. « Les contrôles réguliers effectués par le BQR chez les transformateurs travaillant avec l’ARPE viennent confirmer leur conformité à l’ensemble des réglementations locales en matière de santé et sécurité », précise Jacinthe Guy, directrice des communications et du marketing. 

Sabrina Gravel a tout de même remarqué que les mesures de protection des travailleurs sont parfois insuffisantes. Ils ne portent pas toujours de masque, et les centres de recyclage ne disposent pas toujours d’un système d’aspiration des poussières, ce qui serait mieux que des masques, souligne la chercheuse. « C’est le temps de mettre en place de bonnes pratiques pour ne pas se retrouver dans 20 ans avec une cohorte de travailleurs malades et se dire qu’on aurait dû faire plus attention. »

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