
Difficile d’imaginer personnalités plus opposées que Peter MacLeod et Rémi Quirion, tous deux natifs du petit village de Lac-Drolet, en Estrie, non loin de la Beauce. Le premier, humoriste baveux et grande gueule, se demande dans son dernier spectacle s’il parviendra un jour à s’assagir. Le second, plutôt réservé, semble être tombé tout petit dans la marmite de la sagesse.
Chercheur en neurosciences de réputation mondiale, spécialiste à la fois de la maladie d’Alzheimer, de la schizophrénie et de la douleur, Rémi Quirion est devenu, en septembre 2011, le tout premier scientifique en chef du Québec, chargé de gérer les investissements de l’État et de conseiller les politiciens en matière de science. Du sérieux.
À LIRE AUSSI SUR LACTUALITE.COM
Montréal : la science au sommet — Rémi Quirion et la Rencontre internationale des scientifiques en chef et conseillers scientifiques >>
Contrairement à celui de son compatriote, le show de Rémi Quirion se déroule en coulisses. Mais l’homme de 59 ans a quand même soulevé les applaudissements quand, en octobre dernier, Québec a annoncé sa nouvelle Politique nationale de la recherche et de l’innovation. Pour une rare fois, universitaires et représentants des entreprises ont été quasi unanimes à saluer la stratégie que le gouvernement de Pauline Marois entendait appliquer pour tirer le meilleur parti de la science et de l’innovation. Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie de l’époque, Pierre Duchesne, avait prévu des investissements de 3,7 milliards de dollars sur cinq ans, bien plus que les gouvernements précédents. Pour choisir où et comment dépenser cet argent, il s’est beaucoup reposé sur le travail de Rémi Quirion. Le nouveau gouvernement libéral gardera-t-il le cap ?
Seule une poignée de pays et de régions dans le monde comptent un scientifique en chef, dont le Royaume-Uni, l’Europe et la Nouvelle-Zélande. L’idée de créer ce poste au Québec est venue de Clément Gignac, ministre libéral du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE) de 2009 à 2011, à la suite d’une mission économique en Israël. Dans ce pays, qui figure dans le peloton de tête mondial pour ses investissements en science, chaque ministère a son propre patron de la recherche pour coordonner les efforts de recherche dans son domaine et faire le lien avec les politiciens.
Québec finance la recherche au moyen de trois organismes — les fonds Nature et technologies, Société et culture, et Santé, qui dépendaient du MDEIE jusqu’en 2012 et sont aujourd’hui rattachés à l’Enseignement supérieur. Plusieurs ministères emploient aussi des scientifiques, par exemple en environnement, santé ou agriculture. « Monsieur Gignac trouvait que tout ce petit monde ne se parlait pas beaucoup et que chacun défendait avant tout ses intérêts. Il voulait un seul porteur de ballon comme interlocuteur », raconte Jean-Louis Legault, membre du comité qui a examiné les candidatures à ce nouveau poste, et PDG de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec, qui veille aux intérêts du privé. En juillet 2011, le projet de loi 130 regroupe les trois fonds de recherche en une seule nouvelle entité, le Fonds de recherche Québec, dont le scientifique en chef deviendra le patron.
Rémi Quirion est vite apparu comme un candidat de choix avec son CV qui donne le vertige. Professeur au Département de psychiatrie de l’Université McGill et au Centre McGill d’études sur le vieillissement, directeur scientifique du Centre de recherche de l’Institut Douglas et de l’Institut canadien des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, fondateur du Réseau en santé mentale du Québec, membre de la Société royale du Canada, il est l’un des chercheurs québécois les plus réputés au monde, tous domaines confondus, et l’un des plus prolifiques avec plus de 650 publications scientifiques à son actif ! « J’ai eu beaucoup de chance », résume-t-il humblement, invoquant avant tout la grande capacité de travail que lui a inculquée son père.
À sept ans, Rémi Quirion servait aux tables dans le restaurant familial de Lac-Drolet, avec ses huit frères et sœurs. « C’était le parfait enfant sage qui ne parlait pas pour rien, travaillait dur et impressionnait tout le monde à l’école », raconte Marielle Fecteau, amie de la famille et mairesse de Lac-Drolet. Entré au collège avec deux ans d’avance, le futur scientifique en chef est le seul enfant de la famille à fréquenter l’université. Il obtient son doctorat à 25 ans, puis passe trois ans à l’Institut national de santé mentale, à Bethesda, au Maryland. Là, il plonge dans le monde hypercompétitif de la recherche à l’américaine, aux côtés de celle qui deviendra sa conjointe, la neuroendocrinologue Pierrette Gaudreau, aujourd’hui professeure à l’Université de Montréal et spécialiste du vieillissement.
À 28 ans, Rémi Quirion se fait offrir par l’hôpital Douglas de Montréal (aujourd’hui nommé Institut Douglas) d’y construire de toutes pièces un centre de recherche en neurosciences et en santé mentale. Il y passera près de 30 ans, à multiplier les percées scientifiques, s’impliquer dans l’administration de la recherche et à encadrer plus de 70 étudiants de doctorat, une activité qu’il apprécie plus que tout. Bourreau de travail, il siège aussi au conseil d’administration des Impatients, un organisme qui aide les personnes atteintes de maladies mentales à s’exprimer par l’art.
« J’aurais pu continuer, mais j’aime bien bâtir des choses nouvelles. Comme scientifique en chef, j’espère aider les chercheurs à devenir encore plus performants, faciliter le transfert de leurs connaissances vers les entreprises et les organismes publics, et soutenir la relève », explique Rémi Quirion. Pour faire entendre ses idées, il préfère ce travail d’organisateur à la voie politique qu’a choisie son ami et ancien confrère, le Dr Réjean Hébert, ex-ministre de la Santé.
Pour s’attaquer à des questions aussi complexes que le vieillissement de la population, les changements climatiques ou ce qui fait la richesse d’une société, le chercheur croit qu’on doit mieux conjuguer les efforts de spécialistes d’une multitude de disciplines et faire intervenir dans leurs réflexions des acteurs de la société, des groupes communautaires aux grandes entreprises.
Aussi à l’aise avec les étudiants et les politiciens qu’avec les malades et les personnes âgées, qu’il a beaucoup fréquentés comme chercheur, Rémi Quirion, qui tutoie facilement, ne regarde personne de haut derrière ses lunettes d’éternel enfant sage. Ces jours-ci, il travaille avec l’organisme de développement économique Montréal International pour tenter d’attirer dans la métropole le secrétariat du programme de recherche international Future Earth sur les changements climatiques et le développement durable, lancé au Sommet de la Terre de 2012. « Leur démarche de codesign, qui met à la même table des scientifiques, des citoyens ordinaires, des jeunes entrepreneurs ou des urbanistes pour, par exemple, parler d’agriculture urbaine est drôlement intéressante. On pourrait s’en inspirer dans bien des domaines », s’enthousiasme-t-il, l’œil pétillant.
Celui qui est arrivé aux sciences par hasard croit qu’il faut aussi encourager, beaucoup plus efficacement, les jeunes à choisir cette voie et développer la culture scientifique de la population. Revoir, également, la formation à la recherche pour mieux l’adapter aux besoins de la société et au marché de l’emploi alors qu’un tiers seulement des titulaires de doctorat se destinent aujourd’hui à une carrière universitaire.
Sa première sortie publique, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le 6 octobre 2011, suscite certaines inquiétudes : le nouveau patron de la science va-t-il chercher à assujettir la recherche libre aux besoins des entreprises ? À quelques semaines du printemps érable, beaucoup craignent qu’il ne joue qu’un rôle de façade dans un gouvernement qui serait surtout intéressé à instrumentaliser la science et à dicter leur conduite aux étudiants.
Inlassablement, Rémi Quirion répète qu’il croit dur comme fer à la recherche libre, à l’origine de la plupart des grandes découvertes. Si l’industrie pharmaceutique ne trouve plus guère de nouvelles idées, explique-t-il, c’est justement parce qu’elle a cru pouvoir tout diriger pendant 40 ans, plutôt que de laisser les chercheurs travailler au gré de leur inspiration.
À l’hiver 2012-2013, pendant que son nouveau ministre de tutelle, le péquiste Pierre Duchesne, gère le Sommet sur l’enseignement supérieur, Rémi Quirion rassemble les éléments qui constitueront l’ossature de la Politique nationale de la recherche et de l’innovation. Il entreprend une grande tournée des universités pour écouter le point de vue des professeurs et des étudiants gradués sur les défis de société auxquels le Québec doit faire face et les moyens qu’ils préconisent pour les relever. Leurs attentes sont grandes, mais il n’a pas d’argent à leur offrir ! Pire, il ne parvient pas à éviter les coupes budgétaires dans les fonds de recherche, ce qui lui vaudra notamment une levée de boucliers des chercheurs en santé.
Aux dernières élections, Rémi Quirion est passé sous la tutelle d’un quatrième ministre en moins de trois ans, en la personne du libéral Yves Bolduc, qui détient aussi le portefeuille de l’Éducation, du Loisir et du Sport. L’Innovation a été transférée à un autre ministère, celui de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, et certaines décisions du gouvernement péquiste ont été révisées, dont la création de chaires de recherche sur l’identité.
Le scientifique en chef veut maintenant s’attaquer à la recherche dans la fonction publique, éparpillée dans plusieurs ministères, en créant une première table de concertation interministérielle en la matière pour mieux guider les travaux. « On a tout à gagner à ce que nos spécialistes des Ressources naturelles, de l’Environnement et de la Santé collaborent plus étroitement », dit-il. Si les spécialistes en santé publique, en écologie, en géologie et en économie se concertaient plus souvent, le gouvernement serait bien mieux outillé pour jauger les répercussions du développement minier ou des hydrocarbures ! Mais Rémi Quirion a du pain sur la planche, car, pour l’instant, sa sphère d’influence ne déborde guère de son ministère. « Bien des fonctionnaires ne savent même pas que j’existe », dit-il en riant.
Le scientifique réfléchit aussi à une manière plus efficace de remplir son mandat. « Son poste est inconfortable, estime Louise Dandurand, présidente de l’Association francophone pour le savoir, l’Acfas, qui représente les chercheurs universitaires au Québec. Il doit à la fois conseiller le gouvernement et gérer les fonds de recherche. Il est donc juge et partie. » Le 10 juin prochain, en marge du Forum économique international des Amériques à Montréal, Rémi Quirion organise la première rencontre internationale des scientifiques en chef et conseillers scientifiques, pour apprendre des expériences des autres.
Au Canada, aucune autre province n’a de patron de la science. Ottawa non plus, depuis que, en 2008, le premier ministre, Stephen Harper, a aboli le poste de conseiller scientifique national créé en 2004 par Paul Martin. Aux États-Unis, le conseiller scientifique en chef se rapporte directement au président, depuis 1976. Mais il n’a qu’un rôle consultatif. « A-t-il vraiment le pouvoir de faire changer les choses ? Est-ce qu’on devrait plutôt aller vers le modèle israélien ? Comment nous, les scientifiques, pouvons-nous mieux nous faire comprendre des politiques ? » En bon chercheur, Rémi Quirion n’en a jamais fini avec les questions !
Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇