Rêver mieux

Commencer les classes à l’heure des poules, même au collégial, est une erreur pédagogique largement sous-estimée. 

Photo : Antoine Bordeleau pour L’actualité

J’entre dans la classe et me dirige vers le podium pour connecter mon ordinateur à l’écran géant, sur lequel je montrerai à mes étudiants des images et animations de l’Univers. Je lève les yeux et que vois-je ? De jeunes adultes avachis sur leur siège, certains rivés à leur téléphone et d’autres, paupières baissées, bouche ouverte et tête penchée vers l’arrière, offerts aux bras de Morphée. 

J’ai la tâche ingrate de les réveiller pour leur dire que le cours débute. « Bonjour, tout le monde ! » Certains sursautent, les autres ne bronchent pas, la classe reste silencieuse. Je me répète en fermant la porte et j’entends alors quelques réponses, émises non sans effort. Le local est à moitié vide.

J’essaie de faire participer les étudiants en échangeant avec eux, en leur posant des questions, en commençant mes cours par les nouvelles du ciel les plus récentes (le télescope spatial James Webb, la mission DART, les plans de missions vers la Lune et vers Mars, etc.), mais la classe réagit peu. 

Le simple fait de constater qu’il y a autant d’absents et d’endormis bouffe une grande partie de mon énergie et de mon enthousiasme. Cette apathie me frappe encore plus depuis le retour en classe postpandémique. La plupart de mes étudiants ont passé la deuxième moitié de leurs études secondaires sous mesures sanitaires : cours à distance, classes isolées, absence (ou presque) d’activités parascolaires… rien pour encourager la participation. Quand j’ai moi-même été forcé d’enseigner par visioconférence, je me suis rendu compte que plusieurs cégépiens suivaient mes cours de la même façon qu’ils auraient regardé un documentaire sur Netflix : en spectateurs passifs. Depuis, malgré l’essai de nouvelles techniques au fil des semaines, les résultats demeurent mitigés. 

Même une personne généralement matinale et bien caféinée comme moi trouve ça trop tôt. Pédagogiquement, c’est un désastre.

Peu avant un examen, une étudiante, parmi les personnes qui n’émettent jamais un son en classe, m’a rendu visite à mon bureau pour me poser des questions. J’ai entrevu ses notes de cours. Apathique peut-être, mais assurément préparée, organisée et studieuse. Je lui ai donc demandé ce qu’elle pensait de mon cours d’astronomie. Sourire en coin, elle m’a répondu qu’il s’agissait pourtant d’un des meilleurs moments de sa semaine. Mais à 8 h, ça lui pesait lourd. « Votre cours est le seul à cette heure que je n’ai pas annulé cette session. C’est juste impossible d’être réveillée et alerte à cette heure-là. »

Ça fait des années que je l’entends, celle-là. Et je sympathise avec cette jeune femme, et tous les autres étudiants. Même une personne généralement matinale et bien caféinée comme moi trouve ça trop tôt. Pédagogiquement, c’est un désastre.

Ces cours trop matinaux sont en partie perdus ou gaspillés, car les étudiants n’y sont pas prêts mentalement. Force est toutefois d’admettre que le problème ne se réglera pas de lui-même, particulièrement dans les villes où la mobilité durant les heures de pointe constitue un enjeu majeur. Pour beaucoup de jeunes qui n’habitent pas dans le quartier où se trouve leur cégep, un cours qui débute à 8 h les oblige à démarrer leur journée parfois bien avant le lever du soleil. Et c’est un problème reconnu par la médecine depuis longtemps.

Selon un rapport des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis, le manque de sommeil est fréquent chez les étudiants et est associé à divers risques pour la santé, notamment le surpoids et la consommation d’alcool, de tabac et de drogues, ainsi qu’à de mauvais résultats scolaires. « L’une des raisons pour lesquelles les adolescents ne dorment pas suffisamment est l’heure matinale de début des cours. » 

En effet, à cause des changements de leur rythme biologique, le sommeil vient plus tard le soir chez les adolescents et les jeunes adultes. Ils doivent donc compenser en dormant davantage le matin. Les études sur ce sujet ne sont pas nouvelles et vont toutes dans le même sens. Elles démontrent que des débuts de classes plus tardifs sont directement associés à un meilleur taux d’attention, à une meilleure rétention des élèves et à une amélioration de leur humeur en général. 

Or, si la réussite de nos élèves nous tenait à cœur, les classes débuteraient à 9 h. Cette petite heure de plus favoriserait énormément l’apprentissage et la productivité.

Certains liront cela et penseront d’emblée : « Encore des jeunes qui chialent. » Ils auront tort. C’est moi ici, le prof, qui chiale, car nous devrions collectivement faire des choix pour optimiser l’apprentissage des jeunes. La réussite de mes étudiants me motive. La science du sommeil est là, écoutons-la. Il n’y a pas de raison de dormir sur ses conclusions.

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Si les jeunes ne se couchaient pas le soir avec leur portable scotché dans la main, ils dormiraient plus tôt et mieux. Je suis d’accord en partie avec votre chronique mais le phénomène des appareils mobiles et de leurs effets pervers est aussi amplement en cause.

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