Vous avez déposé, en novembre 2022, un projet pour réviser la Loi sur les aliments et drogues. De quoi s’agit-il ?
Le projet de loi S-254 vise à modifier les étiquettes des bouteilles de vin, de bière et de spiritueux afin qu’elles indiquent le lien établi entre l’alcool et plusieurs types de cancers, dont ceux de l’œsophage, du pancréas et du côlon. Ce serait le même genre d’avertissement que sur les paquets de cigarettes — d’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé classe l’alcool dans la même catégorie de cancérigènes que le tabac et l’amiante. Or, seulement 25 % de la population canadienne est consciente de ce risque, selon une étude universitaire.
La loi obligerait aussi les entreprises à mentionner ce qu’est un verre standard selon les normes canadiennes, et combien en contient chaque bouteille. On nous répète de boire avec modération, mais encore faut-il savoir ce que ça signifie concrètement.
Je suis fier que le Sénat ait accepté d’étudier ce projet de loi. Reste à voir quand il le fera ! Si je dois consacrer les 25 prochaines années à cette cause, je le ferai. Je m’attends à beaucoup de résistance de la part de l’industrie. Mais cette année, l’Irlande a réussi à faire adopter une réglementation semblable, qui entrera en vigueur en 2026.
Qu’est-ce qui a déclenché votre combat ?
Ma réflexion s’est amorcée après ma deuxième tentative de suicide, en 2016. Je buvais beaucoup dans le passé, surtout pendant mes années de suspension du Sénat. [NDLR : En 2013, il a été accusé de fraude et d’abus de confiance, avant d’être blanchi en 2016.] Ensuite, j’ai eu de graves problèmes intestinaux, ce qui m’a amené à faire beaucoup de lectures sur le sujet. Les travaux de chercheurs de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, montrent des liens entre l’alcool et plusieurs types de cancers. Je me suis dit : « Mais pourquoi personne ne les écoute ! » Ça me touche comme citoyen des Premières Nations ; l’alcool est un problème important dans nos communautés. À l’été 2022, j’ai contacté ces experts, et ils ont collaboré au projet de loi, avec d’autres scientifiques participant à l’Évaluation des politiques canadiennes sur l’alcool (EPCA), une recherche financée par le gouvernement fédéral.
La population semble-t-elle réceptive à vos démarches ?
Je reçois beaucoup de lettres d’appui et je sens que le timing est bon pour lancer une discussion. En juillet dernier, deux demandes d’action collective ont été déposées au Québec contre la Société des alcools du Québec et les brasseurs Labatt, Sleeman et Molson, sur la base que les gens ne sont pas suffisamment informés des risques de cancers et de cirrhose liés à la consommation de leurs produits.
Quelques mois après le dépôt de mon projet de loi, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances [NDLR : un organisme créé en 1988 par le Parlement] a aussi publié de nouvelles recommandations. Selon son évaluation, à partir de deux verres par semaine, les dangers pour la santé augmentent. [NDLR : La rigueur du rapport Repères canadiens sur l’alcool et la santé a toutefois été remise en question par d’autres scientifiques, et à ce jour, ses recommandations n’ont pas été entérinées par Santé Canada.] Cela dit, mon objectif n’est pas de revenir à l’époque de la prohibition ! Il faut laisser aux gens le temps d’intégrer les mises en garde et de faire les choix qui leur conviennent.
Cet article a été publié dans le numéro d’octobre 2023 de L’actualité.
Dans nos sociétés, l’alcool est presque toujours présenté comme une bonne chose, un facteur de plaisir et de détente. Bien sûr, nous avons sous les yeux des exemples de gens qui perdent le contrôle de leur vie à cause d’une dépendance à l’alcool. Ils sont classés dans la catégorie des «alcooliques» et tous déplorent leur triste sort. Mais tous ceux qui réussissent à travailler et à vivre normalement tout en consommant régulièrement de l’alcool n’ont pas vraiment l’impression que ce si bon vin ou cette si rafraîchissante bière nuisent à leur santé. C’est pourtant le cas, c’est pourtant mon cas. Si j’avais vraiment compris les effets délétères irréversibles que l’alcool pouvait avoir sur mon corps, j’aurais fait un autre choix de style de vie, ou au moins j’aurais changé ma façon de faire plus jeune.
Il est grand temps que le discours sur l’alcool change, sans le diaboliser, nous devons cesser d’occulter le fait qu’il s’agit d’une drogue parmi les autres et rendre plus évident que ses effets nocifs croissent avec l’usage.
En terminant j’ai un message pour le sénateur Brazeau : bravo monsieur! Comme bien d’autres je suppose, je vous ai cru fini quand, après la victoire sur le ring de Justin Trudeau, vous avez semblé vous mettre à descendre la côte à vitesse grand V. Mais vous êtes revenu de belle façon et vous êtes maintenant un représentant encore plus crédible et admirable des Premières Nations.