J’ai découvert un piège d’un nouveau genre sur les réseaux sociaux. Alors que je discutais sur Twitter avec des chercheurs universitaires qui me posaient beaucoup de questions, parfois avec insistance, brusquant même les choses, je me suis fait prendre à mon propre jeu.
C’est vrai que j’ai tendance à répondre aux questions et à défendre mes positions, pourvu que mes interlocuteurs soient ouverts à discuter. Mais un beau jour, un contact de confiance m’a fait remarquer, au beau milieu d’un échange passionné et aussi un peu tumultueux, que le professeur Ho n’était en réalité qu’un faux compte.

Deux « personnes », dont l’identité réelle n’est toujours pas dévoilée, avaient emprunté de faux noms et un faux titre avant de s’engager dans de multiples discussions à propos, bien entendu, de la pandémie actuelle et des dérives de la science à son égard. Je suis plutôt déçu d’avoir baissé stupidement ma garde. La Dre Colella était tout aussi imaginaire.

C’est quand j’ai demandé à l’un de mes interlocuteurs quels étaient ses sujets de recherche, à quel endroit je pouvais trouver ses publications et s’il ne s’était vraiment inscrit sur Twitter qu’en septembre 2020, que j’ai constaté un arrêt immédiat des interactions. Un faux compte! Banni plus tard par Twitter.

Il s’agit d’une stratégie visant à promouvoir ces comptes (et surtout les idées véhiculées) en augmentant leur visibilité par la manipulation des algorithmes. Bref, chacune de mes réponses l’aidait et aidait ses idées à se propager.
Perplexe, je me suis retiré quelques jours des réseaux sociaux, comme je le fais plus régulièrement que vous ne le pensez, pour prendre une pause. Et je me suis promis que dorénavant, avant de m’engager dans de tels débats « scientifiques » avec de tels « scientifiques », je commencerais par vérifier leur identité.
La science en temps de pandémie
Je demeure un partisan de l’échange et de la confrontation des points de vue, en science comme en tout. Par contre, il ne faut pas que ça reste une pure perte de temps.
Cette mésaventure m’a aussi fait réfléchir à propos de la difficulté actuelle de diffuser du contenu scientifique – et même à faire de la science. Surtout quand il s’agit de science à propos de cette pandémie. Les connaissances à ce sujet s’acquièrent au fur et à mesure et demeurent fragiles en cette phase de développement accéléré.
Certes, la pandémie a causé une explosion de la recherche tous azimuts à propos de la COVID-19; tant mieux, nous avons ainsi franchi des pas de géants dans sa compréhension. Mais parfois de manière un peu précipitée, en tournant souvent les coins ronds, loin de la patience habituelle requise.
Un exemple : le nombre particulièrement élevé de « prépublications » sur le Web, rapportant des résultats de recherche pertinents, mais avant toute validation par les pairs, donc sans avoir franchi cette étape cruciale de la révision qui permet de s’assurer de la qualité des travaux. La diffusion de cette science encore en construction est difficile, avec ses hypothèses contradictoires et ses résultats divergents. Normalement, tout cela se passe loin du regard du grand public.
Pourtant, dans tous les domaines, quand les résultats pointent dans diverses directions, il y a un patient élagage des contenus, puis on fait une synthèse des connaissances; c’est dans l’ordre des choses.
C’est tout un art de réaliser de telles synthèses, pour élaborer par exemple ce qu’on appelle des « méta-analyses », de riches mises en commun d’études permettant d’arriver aux conclusions les plus solides.
Des organisations comme Cochrane se donnent pour mandat de faire de telles synthèses. Elles représentent, pour un médecin, mais aussi pour le vulgarisateur scientifique que je suis, une mine d’or de connaissances. Plus près de nous, l’INSPQ et l’INESSS produisent aussi de très utiles synthèses.
Apprendre en continu
Pour améliorer ma pratique clinique en médecine d’urgence et ma compréhension des enjeux dans le domaine de la santé, je lis des articles dont j’évalue la qualité et l’impact, je parcours des synthèses bien faites et je consulte régulièrement les meilleurs experts.
Dans une autre partie de ma vie de médecin, je travaille aussi à me muscler un peu le cerveau : je m’implique auprès de chercheurs autrement plus chevronnés que moi, je collabore à l’élaboration de protocoles, je valide les résultats, je corrige des manuscrits, je révise des propositions pour les concours scientifiques ou je participe aux comités de pairs des journaux scientifiques.
Bien entendu, comme on me le rappelle parfois, même si je ne suis ni microbiologiste, ni pneumologue, ni intensiviste, j’ai appris au fil des ans à intégrer ces connaissances dans ma pratique comme dans mes écrits. Je pense aussi faire œuvre utile en profitant de mon expérience au sein du réseau de la santé pour les mettre en perspective.
Mais plusieurs des publications traitant de la COVID-19 vont au-delà de mon savoir propre. Alors, quand je m’éloigne de mon champ de pratique, je suis encore plus prudent, je me prépare davantage et je me fie aux travaux des organisations réputées pour leur rigueur.
Une prudence nécessaire
Si on se trouve en position d’influence, il faut être d’autant plus prudent en situation de crise afin de ne pas alimenter des débats futiles, lancer les gens sur de fausses pistes et ouvrir la porte à des idées insuffisamment mûries. Parce que la cohérence des communications publiques demeure une des clefs de la réussite face aux menaces de cette ampleur.
Vulgariser les connaissances pour le public représente alors un défi, puisqu’il faut adapter des contenus scientifiques encore flous dans une langue compréhensible tout en étant rigoureux.
Et quand il existe, comme actuellement, des clivages majeurs d’opinion, entraînant des réactions d’une intensité inhabituelle, le risque de dérapage est accru. C’est de bonne guerre, je suis toujours prêt à engager le dialogue, parce que les idées contraires doivent non seulement être exprimées, il faut même les considérer avec attention, d’abord pour les confronter aux nôtres.
Mais les scientifiques qui portent la science, ceux et celles qui diffusent l’information au grand public ou encore les décideurs qui s’en inspirent, s’offrent alors en pâture aux bourreaux.
C’est qu’on ne parle pas ici du traitement de l’infarctus ou du cholestérol, ou du dépistage du cancer de la prostate, qui touche une petite partie de la population, à propos desquels les connaissances évoluent lentement, sur des décennies. On parle plutôt aujourd’hui d’une pandémie, où les nouvelles connaissances mènent à des décisions qui ont des effets immédiats sur toute une population et sont acquises en situation d’urgence : il faut arriver rapidement aux conclusions pour mieux orienter les décisions.
Des discussions émotives
Les discussions deviennent d’autant plus complexes qu’elles suscitent parfois d’intenses réactions, qui altèrent notre relation avec ces savoirs, qui s’imprègnent alors de croyances, conduisent parfois à des jugements lapidaires et inspirent des attaques injustifiées. On est bien loin d’une discussion tranquille entre collègues ou de l’analyse froide d’un article d’un journal scientifique comme j’en fais régulièrement.
C’est que nos émotions modifient notre compréhension des choses lorsqu’elles nous mènent, parfois par le bout du nez, à des conclusions pas toujours justifiées par les faits. En pleine confrontation, alors que le clivage des opinions prend beaucoup (trop) de place, essayer de tenir un discours simple, basé (autant que possible) sur les faits et influencé (le moins possible) par les anecdotes est alors un tour de force.
Ce n’est pas que de telles croyances (souvent irrationnelles) soient absurdes en soi. Elles fondent souvent au contraire une bonne partie de notre compréhension du monde. C’est même grâce à ces « outils » efficaces que nous avons survécu au fil de l’évolution de notre espèce.
Mais on perd aussi parfois beaucoup trop d’énergie à s’obstiner, à s’engueuler, sans avancer. Sur les réseaux sociaux, le phénomène est amplifié à un point tel qu’il est facile de se camper sur des positions sans vraiment s’engager. Si les insultes me dérangent assez peu, la perte de temps et d’énergie qu’elles suscitent finit par fatiguer. J’ai alors tendance à bloquer les gens qui se limitent à m’injurier.
Cela ne veut pas dire qu’il faut cesser d’échanger. Mais il faut proposer de vrais arguments, divulguer son identité, accepter la discussion, en amenant des faits et des données validées. Et non en polluant l’espace public avec de l’information biaisée. Il en va de notre capacité à faire évoluer collectivement les connaissances de la population à propos de la COVID-19.
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Elle est bien bonne ! Comment n’avez-vous pas allumé avec ce »J.L. Ho (researcher) » vous étiez pourtant en plein dans le JELLO ?!?
Vous avez un point, là. 😁
« Des chercheurs qui cherchent, on en trouve mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche » Ch de Gaulle
Les incompétents sont sur d’eux, les compétents le sont moins. (de moi)
« Je ne cherche pas, je trouve. »
– Pablo Picasso
Science en temps de crise
Règle no 2 : vérifier ses sources
Merci de nous le rappeler!
Les sources, sûrement. Mais aussi les gens avec qui on engage des échanges. D’ailleurs, dans le cas de « Ho », c’est justement en remontant une citation douteuse que j’ai commencé à douter. Un vrai chercheur n’aurait pas cité une source aussi faible. 🙄 Bonne journée à vous.
Attention aussi à ne pas confondre synthèse et META analyse, ce n’est pas la même chose et l’objectif n’est pas le même.
bel article! Actuellement, on a tendance à se laisser aller au gré des émotions. Il existe une pression sociale à devoir se radicaliser, d’un côté ou de l’autre, sous cette pression caractéristique de cette nouvelle société envahie par la technologie où tout s’obtient sans attendre, en appuyant sur un bouton. Ce qui est hautement improductif etparticulièrement dangereux. La connaissance prend de la patience. Rien n’est tout noir ni tout blanc, tout est nuance de gris. La société aurait bien besoin de prendre un peu de recul sur ses réactions, ses valeurs, avant d’engendrer de plus grands dommages que ce que le virus peut faire, d’un côté comme de l’autre!
Moi je pense que vous vous êtes laissé prendre à la joliesse de la « docteure » Colella! 🙂
Mais non, je blague. Merci nous faire humblement part de votre erreur. Votre crédibilité ne s’en trouve qu’accrue.