
Dans sa première proposition budgétaire, le président des États-Unis, Donald Trump, n’y va pas de main morte dans les compressions, prévoyant notamment de diminuer de 31 % le budget de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et de supprimer le financement de la Great Lakes Restoration Initiative.
L’EPA est notamment chargée de mettre en application de multiples lois fédérales américaines sur la protection de l’eau, de l’air, des espèces menacées et de certains habitats fragiles, sur la gestion des déchets et l’usage des pesticides. Dans la région des Grands Lacs, elle est la principale responsable du côté américain des ententes qui lient le Canada et les États-Unis depuis la signature du Traité sur les eaux limitrophes, en 1909. Au total, l’EPA intervient dans la mise en œuvre d’une quarantaine de traités entre le Canada et les États-Unis.
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Même si le Québec n’est pas directement sur les rives des Grands Lacs, cette énorme masse d’eau a une influence considérable sur les conditions de vie des Québécois. Tous les polluants, déchets et espèces envahissantes qui s’y retrouvent sont susceptibles de se propager dans le Saint-Laurent et dans ses tributaires. La quantité d’eau qui s’évapore chaque année des Grands Lacs, supérieure à celle qui s’écoule dans le Saint-Laurent, agit aussi largement sur le climat du Québec.
En 2016, l’EPA disposait d’un budget de 8,1 milliards de dollars et employait environ 15 300 personnes. En comparaison, le ministère canadien de l’Environnement et du changement climatique compte 6 800 employés pour un budget de 980 millions de dollars. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, lui, a 1 739 employés et un budget de 165 millions de dollars.
Réduire du tiers le budget de l’EPA — soit d’environ 2,7 milliards de dollars — engendrerait un fouillis tellement énorme qu’il est difficile d’en prévoir les conséquences. De deux choses l’une: soit il faudrait abroger les nombreuses lois dont l’EPA est responsable, afin que les fonctionnaires restants en aient moins à faire appliquer, soit il faudrait accepter que tous les dossiers entre les mains de l’Agence avancent à pas de tortue. On peut déjà prévoir que l’une comme l’autre de ces solutions générerait un très grand nombre de poursuites judiciaires. Difficile d’imaginer que le Congrès puisse accepter une proposition aussi radicale.
L’administration américaine risque donc d’amputer en priorité les programmes scientifiques de l’EPA dans lesquels n’intervient pas l’application des lois. Pas étonnant, donc, que le président Trump ait dans son collimateur la Great Lakes Restoration Initiative (GLRI), un programme de recherche doté d’un budget de 300 millions de dollars qu’il entend tout bonnement abolir. Les compressions du gouvernement Harper avaient fait très mal à l’environnement et aux Grands Lacs, mais ce n’est rien en comparaison du plan de Donald Trump.
La GLRI a été mise sur pied par l’administration Obama en 2010, à la suite, notamment, d’un avis de 2007 de la Brookings Institution, un laboratoire d’idées respecté à Washington, qui avait calculé que la restauration des Grands Lacs rapporterait aux États-Unis au moins deux fois plus que ce qu’elle pourrait coûter. Cette initiative vise à faciliter le financement par 16 agences fédérales américaines de projets locaux, menés par des États, des municipalités ou d’autres organisations, pour améliorer la qualité de l’eau.
Elle est considérée comme l’action la plus sérieuse des États-Unis depuis 20 ans pour tenter de sauver cet écosystème qui ne cesse de se dégrader.
Depuis ses débuts, la GLRI a financé près de 3 000 projets du côté américain des Grands Lacs, dans quatre domaines prioritaires: la restauration des secteurs préoccupants, la lutte contre les espèces envahissantes, la diminution des émissions de phosphore et la protection des habitats et des espèces.
Son abolition, si elle est acceptée par le Congrès, ne se fera pas sans heurt. Les sénateurs républicains de l’Ohio et du Wisconsin ont déjà annoncé qu’ils étaient opposés à cette proposition, et dans toute la région de nombreuses voix se sont élevées pour défendre les travaux en cours. Les maires de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, présidée par le maire de Montréal, Denis Coderre, sont aussi prêts à en découdre. Le jour même de l’annonce du plan budgétaire de Donald Trump, la ministre de l’Environnement du Canada, Catherine McKenna, était à Washington, où elle a rencontré plusieurs membres du Congrès ainsi que Scott Pruitt, le nouveau directeur de l’EPA.
Les Grands Lacs ont énormément souffert au cours du dernier siècle. L’industrialisation, le développement du commerce maritime et l’urbanisation ont complètement bouleversé cet écosystème, qui doit maintenant composer en outre avec les changements climatiques.
Au fil des ans, des gains importants dans la qualité de l’eau ont été réalisés, mais ils demeurent fragiles. Les niveaux de mercure présent dans les poissons sont bien inférieurs à ceux enregistrés dans les années 1970, et la contamination par des métaux lourds et des polluants organiques persistants comme le DDT a beaucoup diminué. Mais plusieurs contaminants émergents, comme les retardateurs de flamme, semblent en croissance, tout comme les microplastiques, une pollution dont on s’inquiète seulement depuis une dizaine d’années. Les terres humides adjacentes aux Grands Lacs, qui les aident à épurer l’eau, ont fondu comme neige au soleil en un siècle. En Ohio, par exemple, 95 % des milieux humides ont disparu! Mais, petit à petit, ils commencent à prendre du mieux, au gré de programmes de protection.
La pollution par le phosphore, en revanche, est de plus en plus grave. Elle est principalement due au ruissellement des engrais en provenance des terres agricoles, qui fait proliférer les algues et les cyanobactéries. Le problème est particulièrement critique dans le lac Érié.
Mais ce sont les espèces envahissantes qui constituent la plus grande menace: la lamproie marine, les moules zébrées et quaggas et les fameuses carpes asiatiques constituent de véritables bombes écologiques qui risquent de complètement détruire l’écosystème en l’espace de quelques décennies!
Dans les dernières années, le taux de découverte de nouvelles espèces envahissantes a ralenti alors que le Canada et les États-Unis ont resserré la gestion des eaux de ballast des navires provenant de l’extérieur de la région. Dans ses priorités scientifiques pour 2017-2019, la Commission mixte internationale, organisme binational qui gère l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs signé en 1972, prévoyait se pencher sur la gestion des eaux de ballast des navires qui ne sortent pas des Grands Lacs, mais qui peuvent toutefois faciliter les déplacements des envahisseurs.
Il y a également fort à faire pour ralentir la progression des espèces envahissantes déjà présentes dans les Grands Lacs. Or, dans ce domaine, chaque année compte, et les compressions envisagées à l’EPA risquent de faire très mal.
Elles vont aussi se faire sentir dans les travaux de la Commission mixte internationale menés bien loin des Grands Lacs, jusque dans les régions du Québec. En septembre dernier, par exemple, la Commission a lancé une nouvelle étude sur le risque d’inondation dans le bassin du lac Champlain et de la rivière Richelieu. Objectif: déterminer les mesures qui pourraient diminuer les conséquences d’inondations catastrophiques, comme celles qui avaient frappé la région en 2011. Environ 3 000 foyers de la Montérégie avaient alors été touchés.
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