Sur Terre comme au ciel

Ce que nous gagnons le plus en explorant l’espace, c’est de la diplomatie. La négociation pacifique pour résoudre les conflits. La croyance que nos objectifs communs doivent dépasser nos différences.

Photo : Antoine Bordeleau pour L’actualité

Sur l’écran de la classe, je projette des images de la Terre vue de la Station spatiale internationale (SSI). Des astronautes flottent à côté de l’engin et, sous leurs pieds, cette splendide boule bleue partiellement ennuagée nous transporte dans notre périple autour de la Voie lactée. Bien des astronautes qui ont habité la SSI la décrivent comme le bolide d’où l’on peut admirer à la fois toute la beauté et toute la fragilité de la Terre.

Même si la SSI n’est pas si loin dans le ciel (environ 400 km d’altitude en moyenne, c’est-à-dire moins que la distance entre Québec et Ottawa), elle se trouve bel et bien dans « l’espace », au-delà du ciel azur, là où il n’y a virtuellement plus d’atmosphère. Guidée presque entièrement par la gravitation, elle voyage à plus de 27 000 km/h et accomplit une révolution en à peine 93 minutes. 

À bord de la Station, les astronautes contemplent donc 16 levers et 16 couchers du Soleil chaque jour.

La SSI est une collaboration scientifique internationale sans précédent : cinq agences spatiales (l’Agence spatiale canadienne en fait partie) et 15 pays participent activement au programme, dont l’une des missions principales est de servir de laboratoire de recherche dans le but de préparer l’humanité à l’exploration spatiale de longue durée.

Je montre à l’écran de courtes vidéos d’astronautes exécutant toutes sortes de tâches anodines : boire, manger et, surtout, faire de l’exercice. L’activité physique est un aspect crucial de la routine de l’équipage de la SSI. En moyenne, chaque passager doit en faire au total deux heures par jour afin de limiter les effets néfastes de la microgravité, tels que la réduction des masses musculaire et osseuse. La santé des astronautes est suivie en continu pour documenter comment le corps réagit à un tel environnement.

Mais il n’y a pas qu’en science et en technologie que nous avons dû innover afin de créer cet extraordinaire habitacle. C’est moins connu, mais il a aussi fallu élaborer une nouvelle branche du droit : le droit international de l’espace.

Alors que la guerre froide paralysait toute la géopolitique et que scientifiques et ingénieurs des deux côtés du rideau de fer travaillaient à conquérir l’espace, la peur bien réelle que des engins de guerre puissent être envoyés en orbite a forcé les gouvernements du monde à négocier de nouveaux traités. Sans quoi, avec des superpuissances dotées d’armes nucléaires campées en orbite, un prochain conflit militaire aurait pu avoir des conséquences inimaginables.

Ce que nous gagnons le plus en explorant l’espace, c’est la diplomatie. La croyance que nos objectifs communs doivent dépasser nos différences.

L’article I du Droit international de l’espace des Nations unies commence ainsi : « L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays […] » Qu’en est-il de la colonisation de l’espace ? L’article II affirme : « L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté […] » Et que dire de l’article V : « Les États parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique et leur prêteront toute l’assistance possible en cas d’accident […] »

Pas des Américains, des Russes ou des Chinois, mais bien « des envoyés de l’humanité ». Ça, c’est inspirant.

Les étudiants m’ont souvent demandé pourquoi nous allions dans l’espace. Ma réponse a changé avec le temps. À une époque où j’étais plus naïf, j’expliquais que nous explorions l’espace parce que l’espace est là. Nous explorons les montagnes, les déserts, les fonds marins et les pôles, peu importe les défis qu’ils représentent, car nous voulons tout savoir. Je pense à mon père qui aimait citer l’introduction de Star Trek : « Espace. Frontière de l’infini vers laquelle voyage notre vaisseau spatial. Sa mission : explorer de nouveaux mondes étranges […] »

Je crois encore à cette réponse, mais j’y ajoute aujourd’hui une microdose de sagesse. Si des séries comme Star Trek peuvent nous divertir et nous faire rêver, elles demeurent hautement irréalistes à propos des lois de la physique. Oubliez la propulsion exponentielle ou, plus grossière encore, la téléportation d’êtres vivants. C’est impossible. Mais Jules Verne avec son véhicule sous-marin dans Vingt mille lieues sous les mers en 1869 ? Ne pensait-on pas à l’époque que c’était impossible ? C’est vrai, mais c’était technologiquement impossible à ce moment-là. Pas physiquement impossible. Il y a un monde entre les deux.

Ce que nous gagnons le plus en explorant l’espace, c’est la diplomatie. La négociation pacifique pour résoudre les conflits. La croyance que nos objectifs communs doivent dépasser nos différences. Peut-être explorons-nous l’espace dans le but inconscient de mieux nous comprendre et d’apprendre à protéger ce que nous avons de plus précieux : ce grain de poussière mouillé sur lequel nous errons.

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