L’auteure est médecin vétérinaire et éthicienne. Ex-présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, elle travaille au Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique, offre des formations et intervient régulièrement sur les relations humains-animaux et l’approche « Une seule santé ».
Une vétérinaire de la grande région de Montréal m’a raconté avoir soigné, il y a quelques mois, un chiot dont le système digestif était infesté par des vers. Il n’y a là rien d’exceptionnel. Les jeunes animaux étant particulièrement sensibles aux parasites, sans médication préventive, ils sont souvent infestés par le ver rond du chien, un parasite dont le nom scientifique est Toxocara canis.
La médecin vétérinaire a eu la bonne idée de faire identifier officiellement le parasite par un laboratoire spécialisé, simplement pour confirmer qu’il s’agissait bien de Toxocara canis. Surprise ! Au lieu de ce parasite, c’était plutôt un autre qui lui ressemble beaucoup, mais qui infecte généralement les ratons laveurs : Baylisascaris procyonis.
Il arrive que ce parasite du raton infecte le système digestif d’autres espèces animales, comme les chiens et les chats. Il peut aussi se transmettre à l’humain (par l’intermédiaire des excréments de l’animal dont le système digestif est infesté) et causer alors une infection très rare (heureusement), mais potentiellement mortelle. Chez l’humain, la larve a en effet tendance à effectuer une migration vers le système nerveux, en s’attaquant au cerveau et aux yeux, ce qui peut entraîner des séquelles neurologiques sérieuses.
La vétérinaire a pu amorcer le bon traitement. Sans sa vigilance et sans l’accord du propriétaire du chiot pour faire faire — et payer — le test d’une centaine de dollars, cette maladie ayant le potentiel d’infecter des gens serait passée inaperçue.
Mieux connaître les zoonoses
Cette anecdote illustre bien que, pour les animaux de compagnie, nous avons peu de mécanismes de surveillance au Québec et ailleurs au Canada en ce qui concerne plusieurs maladies ayant le potentiel de se transmettre des animaux aux humains et vice-versa, ce qu’on appelle des zoonoses. Quelques programmes existent pour les animaux de production et les bêtes sauvages, et de solides programmes sont en place pour les produits alimentaires animaux, mais pour les petites bêtes qui vivent dans nos maisons, tout repose sur la bonne volonté des propriétaires et des vétérinaires. Il n’y a pas de réseau officiel de surveillance.
Elles sont pourtant très nombreuses, ces zoonoses : 75 % des maladies infectieuses émergentes des humains sont d’origine animale. Les connaissons-nous toutes ? Non. Les connaissons-nous bien ? Non plus.
D’où l’importance de poursuivre les recherches et d’être à l’affût de toute situation nouvelle. Au début de la pandémie de COVID-19, lorsque j’étais présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, quelques médecins vétérinaires m’ont informée qu’ils recevaient en consultation des chats avec des symptômes respiratoires. Or, bien souvent, ces chats vivaient avec une personne atteinte de la COVID et symptomatique. Cela suscitait des questionnements auxquels on ne savait pas comment répondre. Aucune instance n’était prête à prendre en charge une telle situation. Tout ce que j’ai pu faire a été d’informer des chercheurs et des autorités de santé animale et de santé publique de ces observations anecdotiques.
Nous n’avions alors aucune preuve scientifique d’un lien entre l’infection des propriétaires et les symptômes des chats. À plusieurs endroits dans le monde, on a commencé à étudier le phénomène, et c’est seulement quelques mois plus tard qu’il a été démontré que des chats pouvaient souffrir d’une infection à ce virus. Heureusement, les chats, comme la plupart des animaux, se contaminent peu entre eux, et l’infection est rarement revenue vers les humains.
L’exemple de la COVID-19, qui était alors un nouveau virus en circulation, est loin d’être unique. La Dre Hélène Carabin, professeure à la fois à la Faculté de médecine vétérinaire et à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, une chercheuse avec qui je travaille, s’intéresse présentement aux zoonoses qu’on qualifie de « négligées ». Elle cherche notamment à déterminer leur fréquence. Car on sait qu’elles existent, mais on ne connaît pas bien leur prévalence dans la population canadienne. Son équipe tente d’estimer la prévalence des anticorps contre plusieurs parasites dans un échantillon de la population canadienne, ce qui permettra de connaître l’exposition réelle de la population à ces parasites et de mieux intervenir.
Surveiller les zoonoses
Mieux connaître les zoonoses est une étape nécessaire. Mieux les surveiller en est une autre.
Afin de prévenir une future pandémie ou, dans le pire des cas, de mieux y faire face, nous devons nous préparer, et une meilleure surveillance des zoonoses est un des moyens pour y parvenir. Nos autorités (l’Agence de la santé publique du Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’Institut national de santé publique du Québec, par exemple) en sont de plus en plus conscientes. Que peuvent-elles faire de plus ? Il y a lieu d’améliorer la surveillance de la circulation de ces maladies dans les populations animales et même humaines. On ne voit pas ce qu’on ne cherche pas.
Comme je le disais plus haut, des programmes existent pour les animaux d’élevage et les animaux sauvages. Mais plusieurs sont ponctuels et les liens avec la santé publique sont faits au cas par cas. Un réseau large et stable devrait donc être mis en place pour faciliter la surveillance de la santé de tous les animaux (qu’ils soient d’élevage, de compagnie ou sauvages) et favoriser la collaboration de tous les acteurs, agences gouvernementales, scientifiques et ministères. Ces liens doivent être établis à l’avance au sein d’une structure permanente pour être efficaces lors d’une future pandémie, et ils concernent à la fois le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial dans leurs responsabilités respectives touchant l’agriculture, la faune, l’environnement, la santé publique, la santé animale, etc.
Un rôle pour chacun
En tant que citoyens, des gestes simples sont à notre portée pour limiter les risques de propagation des zoonoses. Cela peut être de signaler, quand c’est indiqué, au ministère de la Faune la présence d’animaux sauvages morts ou malades, lorsque nous en apercevons. Ou encore de suivre les recommandations du vétérinaire telles que faire vermifuger son animal de compagnie, si nous en avons un ; de nettoyer chaque jour la litière des chats et de ramasser les selles des chiens. Sans oublier de se laver les mains après avoir touché un animal et de surveiller les jeunes enfants, qui ont tendance à tout toucher et à porter n’importe quoi à leur bouche.
Collectivement, nous pouvons aussi travailler à préserver nos milieux naturels, parce qu’un environnement dégradé diminue en effet les barrières entre les animaux sauvages porteurs de maladies et les humains. Protéger les écosystèmes est donc un excellent moyen de réduire l’émergence et la circulation d’agents infectieux entre humains et animaux.
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