Point de vue santé, on dit que le système français se porte beaucoup mieux que le nôtre. Que les urgences sont vides et qu’il n’y a pas d’attentes. Est-ce donc « le meilleur des mondes possibles »?
Ah… la France! Mon écrivain de père ne jurait souvent que par elle : Racine, Camus, Péguy, Cézanne… Et De Gaulle, bien sûr. Et voit chez nous des reportages inspirants, de quoi nous donner un peu honte. Celui de l’excellente émission Une heure sur terre par exemple, où le journaliste Michel Rochon demandait à des urgentologues français si tout allait bien chez eux. « Mais oui!». CQFD.
Bon, c’est vrai, la France possède un bon système de santé. Très bon, même. Mais d’abord, dans tout exercice de comparaison, il faut être prudent: il est hasardeux de comparer ces systèmes complexes, dont l’évolution s’appuie sur des décennies (sinon des siècles!) de développement, social, politique, économique.
J’ai déjà exprimé ces réserves dans Privé de soins :
« Sous d’autres régimes, en France par exemple, les mutuelles jouent un rôle important dans le financement, sauf pour l’hospitalisation. Une multitude de variantes sont possibles d’un régime à l’autre, ce qui oblige à la plus grande prudence quand il s’agit de les comparer. »
Il y a aussi ces écarts quantitatifs majeurs, ce qui influence fortement l’accès. Par exemple: en France, on compte environ 40% plus de médecins et de lits d’hôpitaux que chez nous. Ce qui a peu à voir avec les principes de fonctionnement, l’organisation ou la structure.
Pour bien comparer nos systèmes, il faudrait donc avant tout ajouter, au Québec, près de 8000 médecins et de 40 hôpitaux.
On louange donc beaucoup la France, mais on omet parfois de voir que son système de santé a, lui aussi, son lot de problèmes.
Par exemple, même si les chiffres semblent un peu améliorés par rapport à 2012, une large proportion des Français renonce à des consultations médicales en raison des coûts:
« En ce qui concerne les consultations chez un spécialiste, 31% des Français interrogés déclarent avoir dû décaler ou abandonner des soins, contre 35% en janvier 2012. En revanche, la proportion de Français déclarant avoir renoncé à une consultation chez le médecin généraliste reste stable à 15%. »
La privatisation apporte aussi son lot de problèmes, qui menacent la cohésion et la coordination, comme on l’avait déjà rapporté à un colloque sur la mixité organisé par le Collège des médecins du Québec:
« On y opère actuellement une transition vers le privé dont plusieurs dénoncent les effets délétères sur l’accès aux soins. On remarque en effet, depuis plusieurs années, des difficultés réelles de coordination entre les réseaux publics et privés. Le Dr Jackie Ahr, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’ordre des médecins de France, avait présenté en 2010 à Montréal un tableau inquiétant de la mixité, insistant sur les problèmes de cohérence et de communication entre les deux pôles – ce qui aboutissait à un « fossé » impossible à combler. »
Plusieurs rapports font d’ailleurs état de problèmes de fond croissants, qui ont aussi à voir avec des facteurs socio-économiques:
« En faisant la comparaison entre pays des inégalités relatives du taux de mortalité toutes causes confondues en fonction de la catégorie sociale chez les hommes, les inégalités de mortalité selon la catégorie sociale placent également la France dans une situation peu favorable relativement à d’autres pays européens comparables. »
Et les urgences? Nul doute qu’il y aurait moins d’attentes aux urgences. Mais ces dernières années, c’est une vraie crise de congestion qui semble poindre.
Les médecins la dénoncent d’ailleurs à répétition, comme depuis longtemps au Québec. Voir cette lettre ouverte publiée fin février:
« Attention, la crise des urgences que nous vivons est sans précédent. Jusque-là, ceux qui protestaient portaient en eux l’espoir de faire changer les choses ; aujourd’hui, ceux qui ont quitté le navire l’ont fait parce qu’ils étaient désespérés et ceux qui restent préparent un « plan B ». Attention, nous allons droit vers un mur et, sauf à engager immédiatement un plan visant à redonner une visibilité et une réelle attractivité aux métiers de l’urgence, nous n’aurons plus demain que des coquilles vides, vides de professionnels qualifiés, en lieu d’urgence… »
Les urgences font donc aussi les manchettes là-bas? Palsambleu!
On pouvait d’ailleurs lire il y a tout juste deux semaines que :
« les tensions sont vives alors même qu’un rapport doit être remis aujourd’hui au gouvernement sur l’état des urgences en France. Il y a une semaine, la chef des urgences de l’hôpital de Roubaix (Nord) démissionnait. Marie-Anne Babé dénonçait un manque de moyens face à un engorgement de ses services. Une situation qui se vérifie sur quasiment tout le territoire français. »
Alors bien d’accord, prenons des idées à la France, admirons leurs bons coups, mais restons également mesurés dans nos enthousiasmes parfois trop empressés: il y a là-bas aussi des zones de faiblesses, l’accès est de plus en plus problématique et les problèmes posés par la croissance mal coordonnée du privé sont bien réels.
Le doute méthodique est une qualité, bien française, qu’il faut mieux honorer.
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Il ne faudrait pas oublier la canicule de 2003 en France qui a fait de nombreux morts (on parle d’une surmortalité de 15000 personnes). Le rôle du système de santé dans cette catastrophe n’est pas négligeable.
Bonjour,
Je souhaite et désir un système de santé sur lequel j’ai le contrôle, qui réponde à mes besoins qui ait la souplesse nécessaire pour répondre aux réalités mouvantes de la vie. J’ai lu avec grand intérêt votre livre « Privé de soin » et je me demandais pourquoi votre discours, si près des besoins de la population n’ait pas plus d’écho.
Je vous offre une piste de solution dans cette conférence TED de Simon Sinek sur les grands leader, qu’ils se trouvent du point de vue idéologique (Luther King ou Ghandi) ou mercantil (Appel), tous ont suivi le même chemin vers le sens d’agir et de choisir… http://www.youtube.com/watch?v=qp0HIF3SfI4
Puisque comme vous le dites, le savoir nous l’avons, l’argent nous l’avons, la force du l’avons (d’autant plus celle du nombre)… que manque t’il sinon l’adhésion, la foie 😉
Au plaisir,
Jacinthe Thériault-Fortier