Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de l’émission STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran.
Alerte au divulgâcheur : ne lisez pas ce texte si vous n’avez pas encore regardé les épisodes de cette semaine de l’émission STAT !
Le cœur est une pompe, soit. Mais pour pomper, encore faut-il qu’il y ait quelque chose à propulser. Et visiblement, il n’y avait plus de sang à faire circuler dans le cœur du personnage de Gabriel Lemaire dans STAT ce jeudi, parce que celui-ci souffrait de ce qu’on appelle une « tamponnade ».
Ce problème représente une urgence grave, mais rare, qui requiert toujours une intervention rapide réalisée d’une main experte. Voyons de quoi il en retourne, ou plutôt ce qui a retourné ainsi le cœur de Gabriel.
L’histoire du pompage
Que le cœur pompe du sang est une notion bien connue, même si on a longtemps hésité sur le circuit réel de la circulation sanguine. C’est par deux médecins célèbres en leur temps que le phénomène a jadis été confirmé.
D’abord par un remarquable médecin syrien, Ibn al-Nafis (1213-1288), qui a rejeté les hypothèses erronées perdurant depuis le début du millénaire précédent, notamment celles du médecin gréco-romain Galien. Sauf que son œuvre allait sombrer plus ou moins dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte, en 1924.
Du côté occidental, c’est en 1616 que le grand médecin anglais William Harvey a décrit avec justesse la circulation complète et, surtout, démontré le rôle déterminant du cœur dans cet immense travail de recevoir le sang, puis de le propulser — de le faire circuler, donc. Sauf que pour propulser, le cœur doit d’abord se remplir, ce qui n’est pas garanti !
Un problème en amont
À la base, le remplissage du cœur est une phase aussi importante que l’éjection du sang, une pompe ne pouvant offrir que ce qu’elle reçoit.
Après les arrêts cardiaques par arythmie, qui réclament un choc pour redémarrer le cœur, et les problèmes de pompe qui rendent inopérante la propulsion, la cause la plus fréquente d’arrêt cardiaque reste un problème critique de remplissage, qui peut être dû à des facteurs très variés.
Même si Gabriel ne souffrait a priori ni d’arythmie ni d’aucune maladie du cœur, qui aurait pu en interrompre les battements, son état s’est aggravé subitement, parce que son cœur ne recevait plus assez de sang.
En pareil cas, plusieurs causes sont possibles. Par exemple, s’il n’y a plus assez de sang dans le corps pour que le cœur se gonfle, celui-ci n’aura rien à faire circuler.
C’est ce qui arrive en situation d’hémorragie majeure, qu’elle soit interne, comme lors d’un traumatisme, ou externe, en cas de blessure menant à un saignement visible : hémorragie du système digestif, des poumons ou, rarement, de la vessie. Une déshydratation extrême pourrait aussi conduire à un tel état de choc.
Dans ces cas, le traitement est « simple », lorsque l’on dispose des ressources nécessaires : remplacer le liquide ou le sang perdu et régler le problème à la source.
Un obstacle au remplissage
Pour envoyer du sang dans les poumons dans la « petite circulation », le cœur droit doit se remplir. Pour irriguer le corps entier, via la « grande circulation », c’est du côté gauche du cœur que le remplissage est important.
Outre les situations où c’est le liquide de « remplissage » (le sang) qui vient à manquer, d’autres contextes graves expliquent que le cœur ne peut se remplir, même s’il y a assez de sang en circulation, en particulier du côté gauche.
La tamponnade est un bon exemple de ces situations dramatiques où la partie gauche du cœur ne parvient plus à propulser du sang parce qu’il n’y en a plus. C’est exactement ce qui est arrivé au personnage de STAT.
Il faut comprendre que le cœur n’est pas libre dans le thorax. Il est plutôt très bien entouré d’une membrane épaisse, résistante et assez peu élastique, appelée le péricarde, qui assure sa stabilité et le protège. Entre le péricarde et le cœur qu’il contient se trouve un peu de liquide facilitant le mouvement du cœur, comme s’il s’agissait d’un lubrifiant.
Sauf que notre péricarde a aussi les défauts de ses qualités : sa paroi fibreuse ne peut se distendre aisément et si du liquide s’y accumule rapidement, il ne pourra l’accommoder sans comprimer le cœur, l’écraser en quelque sorte. D’où le terme de tamponnade.
Comment le péricarde se remplit-il ainsi ? Cela peut être dû à différentes causes. Dans le cas du personnage de Gabriel, le saignement dans le péricarde a été provoqué (à retardement) par le traumatisme.
Une telle situation découle parfois d’une complication à la suite d’une opération cardiaque. Dans d’autres cas, le liquide est sécrété par une métastase se trouvant dans le péricarde.
En d’autres contextes, plus courants, le liquide ainsi accumulé n’est pas du sang, mais plutôt un liquide inflammatoire, comme on en voit fréquemment en cas de péricardite, une inflammation habituellement virale de l’enveloppe du cœur.
Décomprimer le cœur
Plus le liquide s’accumule rapidement dans le péricarde, comme lors d’un saignement subit, plus le risque de tamponnade s’élève, et plus la situation devient urgente. Le tout peut débouler.
Si le liquide s’accumule, la pression dans cette cavité augmente promptement, puis dépasse la pression de remplissage normal du cœur, ce qui y compromet l’arrivée du sang. Le cœur pompe ensuite plus ou moins dans le vide, même si le cerveau lui commande d’accélérer au possible pour compenser.
La quantité de sang éjecté à chaque battement s’effondre alors, donc le débit cardiaque, qui ne permet plus d’irriguer le cerveau et les autres organes ainsi touchés. Le résultat est une baisse de l’état de conscience et un état de choc, voire un arrêt cardiaque.
Rendu à cette extrémité, une seule solution : retirer le liquide coupable du péricarde et l’empêcher d’y revenir. Si la situation est moins urgente, cela peut se faire à l’aide d’une simple aiguille. En cas de tamponnade aiguë liée à un saignement traumatique, comme dans l’épisode de STAT, ouvrir le thorax devient l’unique option, et c’est parfois une question de minutes qui oblige à agir sur place.
Tout finit bien
La chirurgienne Isabelle a donc pratiqué une thoracotomie, réalisée ici au chevet du patient. Elle a ouvert le thorax au scalpel, inséré un « écarteur », puis a fait de même avec le péricarde, afin d’évacuer le sang qui s’y trouvait.
Elle a aussi pu remédier à la cause en effectuant un point sur un vaisseau qui saignait. Dans la vie, même en situation urgente, le patient est généralement transféré au bloc opératoire pour qu’on puisse ensuite installer un drain afin de permettre la sortie continue du sang, avant de refermer le tout.
Au fait, cet épisode bien contemporain nous replonge dans l’histoire, quand en 1893 le chirurgien américain Daniel Hale Williams (1858-1931) a choisi d’explorer une plaie au couteau menaçant la vie d’un dénommé James Cornish.
Le couteau ayant touché le péricarde, le chirurgien a aussi ouvert le thorax et a réussi à interrompre le saignement en posant un point, celui-là dans le péricarde. Cet événement est considéré comme rien de moins que la toute première opération cardiaque de l’histoire de la médecine.
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