L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.
Comme un peu tout le monde, je suis saturé de la pandémie. Je n’ai plus le goût d’en parler ni même d’en entendre parler. Ce qui ne la fera pas disparaître, j’en conviens. Mais ce que j’avais à dire et à écrire, je l’ai dit et écrit maintes fois. Pourquoi me répéter ? Si je le fais encore, c’est avec effort.
Un des aspects pénibles de la situation actuelle est la façon dont les opinions se cristallisent à force de redondance, un phénomène troublant que je constate en particulier sur les réseaux sociaux. Lire les mêmes personnes ressasser les mêmes propos selon un même point de vue très affirmé est au mieux un peu lassant, au pire plutôt irritant.
Du côté des adeptes de la prévention minimaliste, attirer l’attention sur des faits pourtant évidents implique de se faire bombarder d’arguments plus ou moins tirés par les cheveux et souvent sortis de nulle part, sans parler des insultes récurrentes. Du côté des plus inquiets, cela m’achale d’en voir autant grimper dans les rideaux devant des phénomènes auparavant peu soulignés, notamment liés à d’autres infections que la COVID-19, mais qui aujourd’hui semblent chaque fois des indices de l’apocalypse à venir. Essayer de conserver un sens de la mesure par rapport à certains de ces propos apporte aussi son lot de remontrances, croyez-moi.
Aborder publiquement et avec une approche nuancée les sujets pandémiques conduit donc à recevoir constamment des volées de bois vert de tous les côtés. Les tracasseries qui entourent ces discussions sont plus qu’un simple exemple de clivage : c’est un signe manifeste de notre incapacité actuelle d’échanger de manière constructive. Il faut pourtant garder un sens de la mesure, ne serait-ce que pour préserver l’efficacité des messages plus alarmants requis par certaines situations.
Toute cette émotion qui baigne les positions défendues est par elle-même dérangeante. L’époque est difficile, personne ne le contestera. Oui, le système de santé a un genou à terre, ce qui a des conséquences pour tout le monde. Sauf que la meilleure façon d’affronter ces défis n’est pas de mener une guerre de mots, mais plutôt d’essayer de garder la tête froide.
Le plus étonnant, c’est de voir les gens de plus en plus imperméables aux remises en question, signe que chacun se concentre sur les informations qui confirment ses convictions. Assister à ce feu roulant d’interprétations brandies comme autant d’étendards est pour le moins déconcertant.
On peut douter de la portée de ces approches : l’adoption de mesures strictes a bien eu lieu malgré les manifestations et les camions dans les rues, non ? Le relâchement total de ces mesures s’est accompli (ici comme partout dans le monde) malgré les cris d’orfraie des partisans d’une ligne plus prudente, n’est-ce pas ?
Au fait, pourquoi ces visions si opposées ? Probablement parce que nous avons du mal à demeurer objectifs, ce qui est à la source d’une foule de problèmes plus ou moins insolubles, surtout quand on persiste à ignorer ce phénomène profondément humain des biais cognitifs.
Face à la plus grave pandémie de l’histoire récente, nous avons bien peu changé.
Selon qu’on soit jeune ou vieux, riche ou pauvre, en santé ou malade, optimiste ou pessimiste, accommodant ou paranoïaque, inquiet ou enjoué, ou que sais-je encore, chaque personne est touchée de manière différente par la pandémie. Et chacune en comprend les enjeux à travers le prisme de sa propre personnalité. Composer avec cet imbroglio est une énorme tâche, à laquelle nous avons collectivement échoué.
Je regrette aussi les difficultés manifestes des représentants de la science et de nos gouvernements à diffuser une vision cohérente et consensuelle des phénomènes observés en pandémie, même si je reconnais la complexité de la besogne. Comment harmoniser les décisions publiques et espérer une meilleure compréhension des gens dans ce contexte ?
Je ne sais pas si nous réussirons un jour à dresser un tableau clair de tout ce qui s’est passé durant cette pandémie. Lire à propos de la grippe espagnole ou relire La peste, de Camus, permet déjà de constater que nous en sommes à peu près, comme société, au même point qu’un siècle plus tôt. Il n’y a pas de quoi être fiers : face à la plus grave pandémie de l’histoire récente, nous avons bien peu changé.
Les questions auxquelles nous devrons répondre touchent des réalités fondamentales. Comment recevoir dans l’espace public des points de vue divergents sans tomber dans la cacophonie ? Comment reconstruire notre culture scientifique pour dégager plus de cohérence ? Voilà les défis majeurs qu’il faudra relever. Sinon, je crains que nous ne soyons pas mieux préparés la prochaine fois.
Je ne sais pas pour vous, mais ça m’a fait du bien de vous écrire, alors merci de m’avoir lu. Peut-être que je vous parlerai de la pandémie encore une fois ou deux, après tout.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de décembre 2022 de L’actualité.
Votre article me rejoint totalement. Le manque d’écoute associé à la difficulté d’exprimer ses idées de façon claire et nuancée nous conduit vers une radicalisation des points de vue. Chacun derrière son écran se défoule et au diable ceux qui ne pense pas comme eux. Le fossé se creuse entre la gauche et la droite, les riches et les pauvres, les vieux et les jeunes, chacun enfermé dans l’algorithme qu’il s’est constitué dans la chambre d’écho dont il n’est malheureusement pas conscient. Nous n’avons plus d’agora ni de forum où débattre. Nous avons perdu le sens de la mesure et du juste milieu. Nous avons perdu le nord. Merci de vos articles qui font réfléchir!
Je vous lirai toujours, quoi que vous écriviez… Vous êtes une boussole éclairante et équilibrée dans nos tempêtes. Merci.
Très bon article, nous devons apprendre collectivement à développer le sens de la nuance, de l’écoute. Cet article du Devoir présentant le dernier livre du philosophe A Deneault, me semble approprié et rejoint votre préoccupation.
https://www.ledevoir.com/societe/769214/alain-deneault-reapprendre-a-s-unir
L’humain est essentiellement un animal doté d’une certaine intelligence mais demeure un animal. On sait que dans le règne animal c’est l’instinct qui domine et les animaux peuvent aussi se mettre dans des situations périlleuses sans avoir appris de leurs erreurs. Autrement dit, l’humain souvent ne réagit qu’à la dernière minute malgré son «gros» cerveau et la procrastination est fort répandue.
Donc, en ce qui concerne la pandémie, tant que nous ne sommes pas atteints ou qu’un proche ne l’est pas, on peut tergiverser et ignorer le danger et c’est ce que nous voyons régulièrement au sujet de la covid, sans égard à ce que la science peut dire, souvent malgré ses tâtonnements. Pour certains, les scientifiques sont leurs gourous pour d’autres ce sont les négationnistes ou les complotistes et on dirait qu’on entre en «religion», souvent sans avoir vérifié les faits.
Évidemment qu’on est tannés de parler de pandémie car on voudrait bien qu’elle disparaisse et c’est la partie de notre être qui aime la procrastination. Comme vous le dîtes, l’humanité a vécu de tels événements et va en vivre d’autres, ça fait partie de l’incarnation terrestre et on a beau vouloir éradiquer les maladies, souvent elles reviennent au galop (comme la tuberculose dans l’Arctique alors qu’on croyait la maladie éradiquée).
C’est plate mais on n’a pas fini d’en parler et les gens vont demeurer dans leurs camps respectifs par besoin, soif, d’un guide, d’un gourou, qui nous indique une voie à suivre qui nous plaît. La dure réalité c’est qu’on peut ignorer la science mais on le fait à son péril.
La fatigue pandémique…
Cher Dr Vadeboncoeur, comme tout le monde, j’en ai marre des consignes sanitaires et d’une pandémie qui s’étire. Ce qui est rassurant est que les vaccins à ARN et les doses de rappel permettent d’éviter le pire et de « vivre avec le virus » malgré un allègement des consignes sanitaires. Svp, ne l’oublions pas…
Évidemment, cela se fait au détriment des personnes immunosupprimées ou dont les défenses immunitaires sont amoindries en raison de leur l’âge. Svp, ne les oublions pas…
Je vous rappelle que nous ne sommes pas vraiment en contrôle. Pour le moment, nous sommes assez chanceux, car les variants Omicron dont les effets graves sont bien atténués par les vaccins actuels occupent toute la niche virale. Cela en grande partie à cause de leur très grande contagiosité. Mais plus le virus circule, plus le temps passe et plus il y a d’hôtes humains qui répliquent le SARS-CoV-2, plus il y a d’exemplaires de virus et plus le virus a de probabilité de muter vers une forme qui résistera aux vaccins actuels. Il n’est pas impossible qu’un nouveau variant plus létal surgisse demain, dans 15 jours, dans deux mois, qui sait? Et se retrouver ici en quelques heures d’avion. Également à ne pas oublier…
Cela dit, je ne vois pas comment le raz-le-bol général, change quoi que ce soit à notre situation sanitaire. Faites-vous vacciner! Pour ceux qui peuvent « encore supporter » un petit bout de tissu dans leur visage faites-le dans les lieux intérieurs et lors des rassemblements compacts.
Enfin, sur le terrain des discussions, il faut que la raison prime sur l’émotion et sur l’égo.
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE
Merci Docteur. C’est un plaisir de vous lire à chaque fois. Vous avez raison beaucoup font comme si la pandémie était fini. Les gens ont la mémoire courte. Mais je pense que pour beaucoup de voilé la face sa sera toujours plus rassurant. Après tout pour beaucoup de gens COVID c’ est juste un rhume ..