Transpercer la cage thoracique pour sauver une vie !

La première saison de STAT s’est terminée, ce jeudi 20 avril 2023, par une scène d’accident avec un enfant blessé. Le Dr Alain Vadeboncœur nous en dit plus sur le pneumothorax, et sur la façon de le traiter.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de l’émission STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran. 

Alerte au divulgâcheur : ne lisez pas ce texte si vous n’avez pas encore regardé l’épisode final de la première saison de STAT !

Je vous ai déjà parlé de la tamponnade cardiaque, qui compromet la circulation parce que le liquide présent dans le péricarde écrase alors le cœur.

Mais de l’air sous pression peut aussi comprimer le cœur, imaginez ! Suffisamment pour aboutir à la même conséquence dramatique : un arrêt cardiaque.

Dans l’épisode final de la première saison de STAT, ce jeudi, on observe avec inquiétude un jeune enfant éprouver une difficulté graduelle à respirer, puis perdre conscience à l’intérieur d’un autobus.

Cette situation, extrêmement urgente, s’appelle un « pneumothorax sous tension ». Et cette fois, c’est l’air qui empêche le cœur de se remplir.

Représentation schématique de la cage thoracique. Les deux poumons entourent le cœur de chaque côté. Ils sont enveloppés de muscles : le diaphragme en dessous, et tout autour, les muscles qui tapissent l’intérieur de la cage thoracique. Les côtes (représentées ici en coupe) assurent l’armature. (Tous les schémas sont de l’auteur.)

Une cage thoracique fermée

En vous expliquant le mécanisme de la tamponnade cardiaque, je vous ai mentionné que le péricarde, un tissu qui entoure et protège le cœur, était peu extensible. De sorte que si le sang s’y accumule, il comprime le cœur, au point de l’empêcher de se remplir et de mener rapidement à l’arrêt cardiaque.

Mais comment peut-on aboutir au même résultat avec un poumon ? Si l’air sort d’un des poumons tout en restant autour de ce poumon dans la cage thoracique, ce dernier se dégonfle d’abord. Si la pression augmente ensuite, il s’écrase sur lui-même. 

Et si la pression s’accroît encore, tout ce qui se trouve dans la cage thoracique est affecté, y compris le cœur, parce que la cage thoracique ne peut se dilater davantage. 

Vous noterez que le jeune personnage a subi un traumatisme thoracique lors d’un accident de la route. Dans certains cas, sous l’impact, le poumon se perfore, laissant échapper son air à l’intérieur de la cage thoracique.

Si cet air, qui se trouve entre le poumon et la paroi de la cage thoracique, cesse de s’amasser ou si la perforation continue de laisser entrer et sortir l’air, c’est douloureux et la respiration devient un peu ardue, mais ça reste sans danger immédiat.

Pneumothorax léger. Spontanément ou à la suite d’un traumatisme externe, l’enveloppe du poumon (en bleu) peut se perforer. L’air contenu dans le poumon fuit et se retrouve autour de l’organe.

Par contre, la déchirure du poumon forme parfois une sorte de clapet unidirectionnel, permettant à l’air de sortir du poumon, mais l’empêchant d’y revenir. Vous imaginez sans doute déjà le tableau : l’air commence à s’accumuler autour de ce poumon et le comprime de plus en plus.

Poumons et cœur compressés

Dans une telle situation, c’est d’abord ce poumon qui écope. Ne disposant d’aucune structure propre lui permettant de maintenir sa forme, il s’écrase graduellement sous la pression de l’air environnant, comme un ballon qui se dégonfle, jusqu’à s’aplatir complètement.

Pneumothorax complet. Si la fuite d’air se poursuit, le poumon se retrouve complètement écrasé et n’est plus fonctionnel. L’autre poumon assure alors les échanges gazeux. Le cœur n’éprouve jusque-là aucun problème.

Évidemment, la respiration sera alors plus difficile, mais comme l’autre poumon est intact, il peut compenser, et assurer suffisamment d’échanges gazeux (O2 et CO2) pour favoriser sans difficulté l’oxygénation des tissus, alors que le cœur continue tout bonnement son travail de pompe.

Le vrai problème — dramatique — survient quand l’effet de valve se poursuit : non seulement le poumon atteint est alors écrasé, mais la pression qui l’entoure ne s’équilibre plus et augmente progressivement.

C’est un pneumothorax sous tension… et vous allez voir qu’on ne badine pas avec ça, même quelques secondes !

Bloquer le retour du sang au cœur

L’une des deux conséquences majeures d’un pneumothorax sous tension, c’est la compression graduelle de l’autre poumon, viable, parce que l’air qui entoure le poumon blessé prend de l’expansion, pousse sur le cœur, qui à son tour appuie de plus en plus sur le poumon sain, au point que les échanges gazeux sont rapidement compromis.

Mais le problème ne se limite pas à la respiration : il touche le cœur et l’effet est alors dramatique !

Pneumothorax sous tension avec compression cardiaque. Si la pression continue d’augmenter autour du poumon perforé en raison d’un phénomène de clapet, la pression augmente, ce qui écrase complètement le poumon et le déplace dans le sens opposé, le tout ayant pour conséquence d’écraser à la fois le cœur et le poumon restant.

Pour que le cœur se remplisse, le sang qui circule doit revenir du corps vers l’oreillette droite, où la pression environnante est habituellement de moins de 10 mm de mercure. Pour vous donner un point de comparaison, une pression artérielle normale est de 120 mm de mercure.

C’est donc un système à très basse pression, qui profite d’ailleurs en partie des pressions négatives (« aspiration ») engendrées par l’inspiration dans toute la cage thoracique pour se remplir.

Vous comprenez que si la pression autour du poumon et dans le thorax dépasse celle de l’oreillette droite, le remplissage s’interrompt. Ce qui est évidemment un énorme problème, parce que cela mène rapidement à l’arrêt circulatoire.

Deux complications incompatibles avec la vie !

Laisser sortir l’air

Dans l’épisode, le contexte (l’accident), les symptômes (la difficulté respiratoire) et l’auscultation (une absence d’entrée d’air du côté pulmonaire atteint), informations couplées à la perte de conscience et à la décoloration de l’enfant, suffisent pour poser le diagnostic.

Évidemment, sur les lieux d’un accident, sans matériel spécialisé, le défi est de taille ! Le problème, c’est qu’il est impossible d’attendre.

Les deux urgentologues se retrouvent devant un dilemme : au moment où la décompression du pneumothorax s’impose, il faut décider avec quoi intervenir, alors qu’on ne dispose que d’une petite trousse de premiers soins.

Trouver la solution

Il est certes improbable qu’une telle situation survienne. Mais c’est possible, et le défi est d’imaginer alors quelles actions plutôt héroïques devraient être entreprises pour sauver la personne.

Soit, l’urgence immédiate est clairement établie. Les médecins ne disposent que de quelques secondes pour agir. Le matériel disponible est limité.

Lors des discussions autour de cette scène, je me suis placé mentalement dans une telle situation : qu’est-ce que je pourrais faire comme urgentologue ? Dans la trousse, il y a certainement de petits ciseaux pointus, servant à couper des fils. Ce sera l’outil choisi !

Revenons au pneumothorax pour comprendre le choix fait dans l’émission. Le traitement du pneumothorax sous tension est la décompression immédiate. Et la seule manière d’y arriver, c’est de percer la cage thoracique afin de laisser ressortir suffisamment d’air pour permettre au sang de retourner au cœur.

À l’hôpital, le bon outil serait un gros cathéter, qui serait enfoncé entre deux côtes en technique stérile, si possible après avoir procédé à une anesthésie locale. La chirurgienne Isabelle a d’ailleurs déjà procédé ainsi pour un de ses patients.

Les moyens du bord

Dans l’autobus, on ne trouve que de petits ciseaux… alors que l’enfant se meurt. Aucune hésitation : gants, désinfection, action !

C’est un peu intense, mais les ciseaux sont plantés entre deux côtes afin de rejoindre la plèvre. Puis leurs branches sont écartées pour laisser sortir l’air. Un pansement sera apposé pour protéger la zone de ponction, le reste se déroulera à l’hôpital.

Décompression d’urgence du pneumothorax. Dans la scène, des ciseaux pointus sont utilisés in extremis pour perforer la cage thoracique entre deux côtes, ce qui permet à l’air de s’échapper et à la pression intrathoracique de diminuer un peu. Le cœur reprend sa position, est alors décomprimé et recommence à recevoir du sang, tandis que le poumon sain reprend de l’expansion.

Le pire est alors évité. Parce que cette « simple » manœuvre permet le retour du sang et sauve la vie. Réussie avec les moyens du bord, elle était ici une vraie question de vie ou de mort, comme cela arrive assez régulièrement dans notre petite vie d’urgentologue ! En passant, n’essayez pas cela à la maison !

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