Trop de soins, c’est comme pas assez !

On pense parfois que réaliser plus de tests diagnostiques améliore nécessairement la santé des gens. La mesure des effets du surdiagnostic nous indique plutôt le contraire. Explications du Dr Alain Vadeboncoeur.

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Le titre de cet article récent du Devoir en a fait sursauter certains : «Un examen d’imagerie sur quatre n’apporterait aucun bénéfice au patient». C’est pourtant la vérité. Certaines données montrent même qu’il s’agit même de 30%. Bref, au moins une fois sur quatre, un test diagnostique est inutile.

Cela ouvre la porte à ce qu’on appelle le surdiagnostic, une notion encore mal connue, mais sur laquelle j’ai longuement écrit dans mon ouvrage Désordonnances et dont il faudrait davantage discuter publiquement. Pourquoi? Parce qu’il s’agit d’un des enjeux — ou problèmes — les plus importants de la médecine contemporaine.

En réaction à cet article, une amie Facebook m’a écrit la phrase suivante : «En santé, vaux mieux trop que pas assez». Mais est-ce bien exact? J’en doute.

La question du surdiagnostic

On a souvent l’impression qu’il est plus grave en santé de ne pas en faire assez que d’en faire trop. Il est vrai que d’oublier de faire un examen, ne pas examiner un patient, ne pas évoquer un diagnostic, bref, n’en faire «pas assez», c’est parfois dommageable pour le patient.

Mais de plus en plus de données scientifiques montrent qu’en «faire trop» peut être tout aussi néfaste. Notamment, lorsqu’en «faire trop» correspond à ce qu’on appelle du surdiagnostic.

Le mot ne vous dit rien? Ne vous en faites pas, ce n’est pas surprenant. Le concept est en effet assez récent. Si dans la littérature scientifique publiée en anglais il a fait son apparition grosso modo durant les années 1970, ce n’est qu’à partir des années 2000 que le terme surdiagnostic s’est répandu en français. Les études plus formelles visant à mesurer son étendue ne remontent qu’à une vingtaine d’années, soit à partir des années 1990.

Le champ de recherche est d’ailleurs encore assez limité. La moitié des données proviennent des recherches portant sur le dépistage du cancer (sein, prostate et poumon), alors qu’environ 10% concernent les maladies mentales, 8% les maladies infectieuses et 6% les maladies cardiovasculaires, notamment l’embolie pulmonaire.

De quoi parle-t-on exactement? La définition stricte la plus acceptée du surdiagnostic est la suivante : «Recevoir un diagnostic pour une condition qui ne serait jamais devenue symptomatique avant la fin de la vie».

Autrement dit, il s’agit d’un diagnostic inutile, selon les meilleurs standards de la médecine, puisque la maladie détectée ne se serait jamais manifestée. Cela peut vous sembler étrange, mais il y a plusieurs exemples clairs, le plus significatif et le plus troublant étant celui du cancer de la prostate.

Pourquoi le surdiagnostic?

On distingue deux causes de surdiagnostic. La première est ce qu’on appelle la «surdétection». Cette surdétection résulte avant tout de l’amélioration des technologies d’imagerie. Elles sont en effet de plus en plus efficaces, permettant de déceler les «anomalies» qui ne correspondent pas nécessairement à la définition classique des «maladies». La frontière entre maladie et normalité devient ainsi de plus en plus floue.

La seconde cause est la «surdéfinition». Il faut savoir qu’un diagnostic est avant tout un consensus scientifique. À un diagnostic donné est associé une définition assez standardisée, correspondant aux connaissances du moment et permettant de catégoriser des problèmes de façon à mieux pouvoir les étudier.

Or, ces définitions évoluent, et dans bien des cas, les définitions changeantes font que de plus en plus de patients sont englobés dans les diagnostics. Un bon exemple est le changement graduel dans la définition de l’hypertension, qui a abouti il y a quelque temps à abaisser la limite supérieure à 130 (pression «systolique», premier chiffre de la pression).

Or, près de 50% des Nord-Américains sont dorénavant catégorisés comme étant hypertendus pour cette raison. On pourrait discuter des effets bénéfiques et nuisibles de tels changements de définition, remis en question par certains experts, mais je souhaite ici simplement montrer comment, en modifiant une définition, on aboutit potentiellement à du surdiagnostic.

Le cas de la prostate

Pour ce qui est du cancer de la prostate, un sujet sur lequel j’ai souvent écrit, j’aimerais rappeler un certain nombre de faits importants.

D’abord, depuis la disponibilité au milieu des années 1990 du test de dépistage sanguin de l’APS (antigène prosthétique spécifique), le taux de diagnostic du cancer de la prostate a explosé, alors que la mortalité a à peine diminué, selon les données américaines. On se serait pourtant attendu à voir chuter la mortalité, puisqu’on trouve ainsi bien des cancers à des stades plus précoces.

Évolution du diagnostic du cancer de la prostate et de la mortalité par cancer de la prostate aux États-Unis. Source: Hoffman RM. Clinical practice. Screening for prostate cancer. N Engl J Med. 2011;365(21):2015.

C’est un problème, parce que c’est avant tout par son impact sur la mortalité que d’établir un diagnostic précoce est important. Mais si un diagnostic précoce (ou un diagnostic tout court) n’améliore la mortalité (ou la qualité de vie), on peut le considérer comme étant inutile.

Comparer pour comprendre

La publication récente de Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) portant sur le dépistage cancer de la prostate explique fort bien ce phénomène troublant, surtout grâce à deux images simples qui permettent justement d’expliquer aux patients les avantages et inconvénients d’un tel dépistage.

Situation pour 1000 hommes non dépistés pour le cancer de la prostate. Source: INESSS

La première image montre la situation des hommes âgés de 55 à 69 ans quand aucun dépistage du cancer de la prostate n’est fait. Environ 60 hommes reçoivent alors un diagnostic du cancer de la prostate et 6 hommes vont éventuellement décéder spécifiquement du cancer de la prostate. Par ailleurs, 940 hommes n’auront jamais de diagnostic de cancer de la prostate. Dans ce cas, on n’observe aucun surdiagnostic ni ce qu’on appelle des faux positifs.

Situation pour 1000 hommes dépistés pour le cancer de la prostate. Source:  INESSS

La seconde image illustre la même situation, mais lorsqu’on a dépisté le cancer de la prostate chez les hommes sans symptômes. En ce cas, parmi les 1 000 hommes dépistés, 760 (plutôt que 940) n’auront jamais de diagnostic de cancer de la prostate ni intervention, les tests étant normaux. Mais examinons ce qui se passe avec les 240 hommes qui auront un résultat anormal

Pour ce groupe (le quart des hommes dépistés), on observe d’abord le problème des inévitables faux positifs : des résultats anormaux sans jamais aboutir à un diagnostic de cancer. Cela représente 140 hommes, qui auront un test d’APS anormal, mais finiront donc sans diagnostic de cancer. Parmi ces 140 hommes, 120 (la majorité) subiront une biopsie, associée pour 30 d’entre eux à une complication parfois grave découlant de la biopsie.

Ces faux positifs ne représentent pas du surdiagnostic, puisque le diagnostic final est négatif : pas de cancer. Ils ne «bénéficient» évidemment pas personnellement du test de dépistage et ne subissent donc que les complications des mesures prises, incluant les problèmes d’anxiété liés à une possibilité de souffrir du cancer un certain temps.

Le surdiagnostic se situe plutôt en bas de l’image, les points en rouge ajoutés. Au total, environ une centaine d’hommes dépistés (plutôt que 60) recevront un diagnostic de cancer de la prostate. Et à la fin, on retrouve cette fois 6 décès par cancer de la prostate, qui sont illustrés par les points noirs et blancs.

Et ce point blanc, c’est l’unique décès spécifiquement évité par cancer de la prostate, lorsqu’on procède au dépistage.

Enfin, plutôt que les 54 hommes qui seront diagnostiqués avec en cancer de la prostate mais n’en mourront pas sans dépistage (première image), on retrouve maintenant 95 hommes qui seront diagnostiqués mais n’en mourront pas. Pour eux, il n’y a aucun gain de mortalité lié à ce dépistage.

En résumé, si vous choisissez de vous faire dépister, vous avez 180 «chances» sur 1000 que cela vous nuise (impacts psychologiques et physiques des 140 faux positifs et des 40 diagnostics inutiles) comparativement à 1 chance sur 1000 que ça vous aide (en évitant un décès par cancer de la prostate). Mais dans les deux cas, vous mourrez sans doute au même âge d’une autre cause. Voilà.

Dépister ou pas?

Si on compare les deux situations, avec et sans dépistage, on voit donc que l’impact réel du dépistage est d’éviter à terme un décès par cancer de la prostate sur 1 000 hommes dépistés. On peut trouver que c’est un bon résultat. On peut aussi trouver que c’est peu.

Il faut à tout le moins le mettre en balance d’une part avec les 140 hommes qui auront eu un faux positif et auront vécu avec ses impacts, notamment les complications des biopsies; et d’autre part, avec les 40 hommes qui vivront jusqu’à la fin de leurs jours avec un diagnostic de cancer de la prostate.

Mais le point le plus troublant, qui n’est pas mentionné dans ce tableau, c’est que les données portant sur ce dépistage montrent qu’au bout du compte, les hommes dépistés ne vivent pas plus vieux que les hommes non dépistés. Apparemment, le décès par cancer de la prostate évité survient tout de même, et au même âge, mais par une autre cause. Bref, la démonstration qu’on allonge la vie des hommes en les dépistant… n’a jamais été faite.

Bien informer !

En conséquence, la recommandation principale de l’INESSS, comme de différentes instances de santé publique, est capitale :

« Les avantages à long terme du dépistage du cancer de la prostate par le dosage de l’APS, soit la baisse de la mortalité par cancer de la prostate et la diminution du nombre des diagnostics de cancer à un stade avancé, sont compensés par des inconvénients à court terme issus de la prise en charge de la maladie lors du diagnostic et du traitement.

L’ambivalence dans l’appréciation de l’équilibre entre les avantages et les risques est responsable de l’incertitude liée à la pratique du dépistage du cancer de la prostate par le dosage de l’APS. Il est fondamental, aux termes de cette évaluation, de s’assurer que les hommes sont bien informés des avantages et des risques associés au dépistage.

Pour ceux qui voudront toujours se prévaloir de ce test, il est important de prioriser un usage judicieux du dépistage du cancer de la prostate par le dosage de l’APS. Ainsi, le dépistage de routine du cancer de la prostate par le dosage de l’APS n’est pas recommandé par l’INESSS.

En raison d’un certain nombre d’incertitudes, le dosage de l’APS doit demeurer accessible seulement aux hommes asymptomatiques âgés de 55 à 69 ans, s’ils ont une espérance de vie de plus de 10 ans. »

Notez que ces recommandations ne datent pas d’hier. Avant 2012, le dépistage était recommandé chez les hommes de 50 à 70 ans. Après 2012, le dépistage du cancer de la prostate n’était déjà plus recommandé aux États-Unis, les experts américains (puis canadiens en 2014) jugeant que les avantages n’en valaient pas les inconvénients. On pourrait penser que les médecins ont alors modifié leur approche. Ce n’est pourtant pas le cas.

Une première figure montre le nombre de tests de dépistage réalisés au fil des ans. On voit que 45% des hommes de plus de 40 ans étaient dépistés en 2011-2012. Ce nombre a légèrement diminué à 41,5% en 2014-2015.

Évolution du taux de dépistage au Québec. Source: INESSS

Où est le problème? Je vous rappelle que c’est en 2012 aux États-Unis et en 2014 au Canada que ce test a cessé d’être recommandé. Les médecins ont donc continué à prescrire ce test comme si de rien n’était malgré des recommandations contraires.

Les excès du dépistage

La figure suivante, qui provient du rapport de l’INESSS et porte sur les données québécoises, est encore pire. Elle montre que 48% des hommes de 70 à 79 ans et 33% des hommes de 80 ans et plus ont été dépistés dans la dernière année pour le cancer de la prostate. Le pourcentage monte à 60% quand on parle des hommes de plus de 80 ans dépistés dans les deux dernières années. La majorité des hommes de plus de 80 ans sont dépistés pour ce cancer, alors que cela n’a jamais fait l’objet d’une recommandation!

Dépistages récents chez les hommes du Québec selon l’âge. Source: INESSS

Ce qu’il faut savoir, c’est que de dépister le cancer à cet âge n’a aucun sens, parce qu’il est présent chez une large proportion d’hommes (on parle souvent de plus 30%), que la plupart de ces cancers n’évolueront pas assez rapidement pour causer des symptômes (surdiagnostic évident) et causer le décès. Les patients dépistés vivent donc essentiellement les aspects négatifs du stress, de l’anxiété, des dépressions, et des complications de certains traitements.

Je ne sais pas comment on peut justifier une telle conduite. Les médecins répondront peut-être que c’est le souhait des patients. Fort bien, mais leur a-t-on bien expliqué les effets essentiellement négatifs de ce dépistage à cet âge avancé?

Les patients répondront peut-être que c’est plutôt le médecin qui leur a proposé le test. En ce cas, je doute fort que ces médecins aient informé les patients des données scientifiques relatives à ce dépistage ou même soient au courant des recommandations actuelles. Sinon, comment expliquer cet excès de tests? C’est effarant et cela devrait faire l’objet d’une étude plus approfondie par le Collège des médecins du Québec.

Alors voilà pourquoi «trop ne vaut pas vraiment mieux que pas assez». Et pour certaines catégories de patients, «trop», c’est pire que «pas assez».  C’est à voir.

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« À propos de la supériorité de la clinique sur le laboratoire, Dr Mark Starr MD cite toujours une étude publiée en 1992, basée sur des autopsies. Elle révèle que l’histoire médicale du patient a conduit au bon diagnostic dans 76% des cas, l’examen physique dans 12% et les analyses de laboratoire dans seulement 11% des cas. »

extrait du livre du Dr Raul Vergini, MD, Italie: Traiter la thyroïde naturellement
« Contributions of the history, physical examination and laboratory investigation in making
medical diagnosis » West.J. Med. vol 156 1992 pages 163-165
MD Peterson, Hollbrook , Halles, Smith, Staker,

Si on voit son médecin deux fois par année, 15 minutes chaque fois, est ce qu’il connaît l’historique de son patient? BIEN SUR QUE NON!!!

Une autre cause du surdiagnostic, historique celle-là, provient des poursuites en justice initiées aux États-Unis quelque part autour des années ’80. Avec des peines pouvant parfois se compter en milliards de dollars, les médecins et services de santé américains ont eu tendance à adopter ceinture et bretelles, pratique qui aura tôt fait de traverser la frontière.