La COVID longue, ou syndrome post-COVID, inspire des craintes justifiées, en particulier pour nos enfants, ce qui constitue dès lors un argument de poids pour appuyer l’idée de mieux les protéger. Par ailleurs, la peur des effets secondaires des vaccins explique une partie de la résistance à la piqûre. Sauf que — la science le démontre — nous avons tendance à surévaluer ce genre de risques, ce qui conduit à de fortes distorsions dans notre estimation de ces phénomènes anxiogènes.
Façonner notre connaissance du monde, un outil primordial pour mieux en affronter les vraies menaces, occupe toute notre vie. En dépit de son importance et de l’attention que nous lui portons, cette connaissance nous offre pourtant bien malgré nous une vision parfois déformée de la réalité. Nos grandes capacités cérébrales se retournent ainsi contre nous plus souvent qu’on ne le croit, au point de nous tromper, sans qu’on puisse bien s’en défendre.
C’est d’autant moins à notre avantage que notre solide intelligence collective, qui élabore, transmet et cristallise dans la culture des sommes considérables de savoirs, accumule toutes ces conceptions erronées, perçues comme autant de vérités. Surtout depuis qu’elles sont si largement diffusées sur nos réseaux sociaux.
Parmi les nombreux facteurs qui influencent l’ancrage de ces savoirs dans la mémoire et dans la culture, les émotions qui leur sont associées constituent de puissants fixateurs, ce qui explique le fait que nous oublions rarement les souvenirs qui nous ont marqués et qu’ils occupent autant de place dans notre vie communautaire.
D’où l’importance de prendre de temps en temps un peu de recul, personnellement et collectivement, pour nous fier à une méthode fiable plutôt qu’à nos intuitions parfois trompeuses, ce qui n’est jamais facile parce qu’essentiellement contraire… à notre intuition. Pour y arriver, il faut harnacher nos cerveaux afin de réussir à examiner objectivement les faits.
Évaluer l’étendue des phénomènes mentionnés requiert en effet un travail bien plus complexe que de simplement réunir les témoignages récoltés, par exemple à propos des symptômes ressentis après avoir contracté la COVID ou reçu le vaccin, notamment parce que chacun peut trop aisément se tromper lui-même. En établir la fréquence réelle suppose de comparer rigoureusement les symptômes entre ceux qui ont subi l’infection ou reçu le vaccin et les autres, ce qu’on appelle des groupes témoins. Le principe est de délimiter ce qui relève de ces causes présumées et ce qui est lié à autre chose, peu importe sa nature.
Pour ce qui est des symptômes apparentés à la COVID longue, le défi est de distinguer ceux associés au virus de ceux qui s’expliquent par le travail du cerveau sur lui-même, notamment sous l’influence de l’environnement familial ou du contexte social. Des enfants n’ayant jamais eu l’infection peuvent ainsi ressentir des symptômes qui ressemblent à ceux de la COVID et qui sont bien réels, provenant peut-être du fait que de multiples sources de stress, qu’on appelle aussi des facteurs confondants, les affectent durant la pandémie.
Par cette méthode, une étude danoise, imparfaite mais intéressante, a montré que la COVID longue semblait bien moins fréquente qu’on ne l’avait d’abord cru dans ce groupe d’âge, ne touchant peut-être qu’environ 8 enfants sur 1 000, une proportion bien inférieure à celle initialement déclarée — et c’est tant mieux. Même si chaque cas est un cas de trop, on s’entend, que leurs symptômes soient une conséquence de la COVID ou non, il reste essentiel de bien les évaluer pour tenter de soulager les enfants qui en souffrent.
En ce qui a trait aux effets secondaires souvent attribués aux vaccins, d’autres recherches ont révélé que les trois quarts proviennent non du vaccin, mais de ce qu’on appelle un effet nocébo, par lequel notre cerveau se mystifie lui-même et engendre en quelque sorte sa propre souffrance. Comment a-t-on pu les distinguer ? Tout simplement parce qu’on retrouvait des symptômes semblables chez une large proportion des personnes ayant reçu le placébo dans les études comparatives, d’où l’absence évidente de lien avec le vaccin.
Durant la pandémie, source majeure et soutenue de stress, des opinions plus alarmistes ont abondamment circulé à propos du risque de COVID longue pour nos enfants et des effets secondaires des vaccins, qu’on s’imagine plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité. Puisqu’il est question de situations vécues par beaucoup d’êtres humains, il faut bien sûr leur offrir toute notre empathie, peu importe l’explication.
Parce que connaître l’origine de la souffrance ne permet pas de l’atténuer, seulement d’en préciser les mécanismes, que nous pouvons ensuite modifier. Et parce qu’il ne s’agit pas de nier, mais de mieux comprendre pour mieux aider ensuite.
Cette chronique a été publiée dans le numéro d’avril 2022 de L’actualité, sous le titre « Comprendre pour soulager ».
Cher Dr. Vadeboncoeur, Je suis d’accord avec vous que la COVID longue mérite qu’on s’y penche sérieusement, rigoureusement et scientifiquement. Par contre, en tant que patiente, je crois que mes témoignages et la description de mes symptômes doivent aussi être bien écoutés et entendus. Le phénomène d’ancrage dont vous parlez existe malheureusement aussi chez les professionnels de la santé qui sont plusieurs à nier d’emblée les symptômes de leurs patients. Surtout les symptômes qu’ils ne peuvent pas expliquer objectivement. Car, malheureusement, la science n’en est pas rendue à pouvoir tout mesurer de façon objective. Dans les zones grises, tout ce que je demande en tant que patiente est un peu plus d’écoute et d’humilité… Merci.
Je suis bien d’accord avec vous. Mon point visait surtout à illustrer le fait que pour établir la fréquence d’un problème, qu’on parle de symptômes suite à la COVID ou encore d’effets secondaires dus au vaccin, il faut avoir un large groupe et pouvoir comparer avec des gens n’ayant pas eu le COVID ou bien ayant reçu un placebo. Mais cela, c’est surtout pour connaître l’ampleur du problème, sans remettre en question les symptômes individuels, dont l’évaulation repose, comme ailleurs en médecine (ou devrait reposer), sur l’histoire médicale attentive de la personne. Bref, il s’agit de deux points de vue différents et je suis d’accord que les médecins peuvent manquer d’attention face aux problèmes de ce genre, surtout quand ils sont nouveaux et difficile à cerner. Bonne chance avec tout cela.