Vingt virus d’origine animale sont particulièrement susceptibles d’infecter l’humain et de causer une épidémie ou, pire, une pandémie, selon une équipe internationale de chercheurs dirigée par Timothée Poisot, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Pour les trouver, l’équipe s’est servie de l’intelligence artificielle et a passé au peigne fin des montagnes de données.
Parmi les familles dont font partie ces virus, on compte notamment celles des bunyavirus (fièvre de la vallée du Rift), des rhabdovirus (rage), des filovirus (fièvre Ebola) et des flavivirus (dengue, fièvre jaune).
« Si nous savons quels virus surveiller, nous pourrons peut-être les détecter plus rapidement chez l’humain et avoir des vaccins et des médicaments prêts à être utilisés, dit Colin J. Carlson, biologiste à l’Université Georgetown, à Washington, l’un des chercheurs du groupe. La pandémie nous a montré que nous n’étions pas préparés à l’arrivée du SRAS-CoV-2 [à l’origine de la COVID-19]. » En tentant de prédire quels virus sont les plus préoccupants, Timothée Poisot, Colin J. Carlson et leurs collègues espèrent guider les efforts de surveillance actuels.
« Il existe toute une série de maladies virales qui peuvent passer de l’animal à l’humain, explique Timothée Poisot. Cela se produit lorsqu’un virus qui infecte un animal sauvage entre en contact avec un humain et réussit à se reproduire. » Parfois, l’humain infecté par le virus d’origine animale ne le transmet à personne et le processus s’arrête là. Cependant, quand le virus parvient à se propager entre humains, le risque individuel devient un risque pour l’ensemble de la population. C’est notamment ce qui est arrivé avec le SRAS-CoV-2. « C’est pourquoi il faut tenter de mieux comprendre quels virus ont le potentiel de faire le passage de l’animal à l’humain », ajoute le professeur.
Un problème complexe
Les chercheurs se sont d’abord intéressés aux virus qui s’attaquent aux mammifères, puisque plusieurs d’entre eux auraient la capacité d’infecter éventuellement l’humain. Prédire lesquels n’est toutefois pas chose facile. Les méthodes « classiques » d’exploration des virus exigent en effet beaucoup de ressources : il faut des mammifères symptomatiques, et comme tous les animaux ne sont pas infectés par tous les virus à tout moment, on doit en tester un nombre incalculable. « Ce travail demande donc beaucoup de temps », précise Timothée Poisot. En plus de nécessiter des tests moléculaires complexes. Il serait encore plus long et compliqué de tester les animaux asymptomatiques.
Les chercheurs ont donc utilisé une autre approche : ils ont eu recours à une base de données contenant toutes les interactions déjà documentées entre des mammifères et des virus, récemment publiée par des collègues. Celle-ci a été obtenue en combinant les informations de trois plus petites bases de données qui répertoriaient les interactions mammifères-virus décelées chez des animaux sauvages à partir de méthodes de détection variées. Ils ont ensuite mis au point des algorithmes capables de prédire quelles interactions hôte-virus étaient possibles, même si elles n’avaient encore jamais eu lieu.
Avec les quelque 1 000 virus et 1 000 mammifères contenus dans la base de données, il y a un million de combinaisons possibles, explique le chercheur. Impossible de passer à travers ce nombre imposant de vérifications sans intelligence artificielle. Son équipe a donc entraîné des algorithmes pour qu’ils produisent une liste des interactions les plus probables à partir des données accessibles.
« Nous utilisons la même logique qu’un compte Netflix, illustre Timothée Poisot. C’est-à-dire qu’après le visionnement d’une première série, la plateforme nous en recommande d’autres en se basant sur les préférences des personnes qui l’ont aussi regardée. Plus on visionne de séries, plus les propositions se raffinent. Notre algorithme fait la même chose. S’il sait qu’un mammifère en particulier est infecté par un virus précis, il peut évaluer la similarité avec d’autres mammifères dont on connaît mieux le virome et suggérer des virus qui pourraient éventuellement l’infecter à leur tour. »
Des risques mal documentés
« Avant notre étude, nous connaissions environ 5 500 interactions entre des mammifères et des virus, souligne Timothée Poisot. Notre algorithme en a détecté 76 000 potentielles. » C’est donc dire que la connaissance du virome, soit les interactions possibles entre virus et mammifères, vient de faire un bond.
Parmi ces nouvelles interactions, les chercheurs se sont intéressés à celles qui concernaient l’humain et qui présentaient un niveau de probabilité très élevé selon l’algorithme. C’est ainsi que 20 virus en particulier ont été considérés comme plus susceptibles d’infecter l’humain. Le fait qu’ils appartiennent à plusieurs familles différentes « indique qu’on ignore encore qu’une grande variété de virus peuvent passer de l’animal à l’humain », note le chercheur.
La présence de certains virus dans la liste l’a ainsi surpris. « C’est le cas du virus de l’ectromélie de la souris, qui fait partie de la famille des poxvirus comme la variole, précise-t-il. Ce n’était pas un virus qui semblait extrêmement susceptible d’infecter l’humain. Cependant, en cherchant dans la littérature scientifique, nous avons constaté qu’il y avait eu de la transmission dans des écoles en Chine dans les années 1980. »
D’ailleurs, pour plusieurs des nouveaux virus identifiés, Timothée Poisot et son équipe ont réussi à trouver des rapports de cas chez l’humain. Toutefois, ces interactions ne s’étaient jamais rendues jusque dans les banques de données utilisées pour la surveillance. « Il faut s’assurer que notre connaissance des virus animaux qui peuvent se transmettre à l’humain est documentée et centralisée », remarque-t-il.
Chercher aux bons endroits
Les résultats obtenus par l’algorithme montrent aussi que plusieurs biais influencent nos connaissances sur les virus et les mammifères qu’ils infectent.
« Par exemple, on s’intéresse beaucoup plus aux animaux utilisés comme modèles en laboratoire ou à ceux qui ont un intérêt commercial, explique Timothée Poisot. On sait donc beaucoup de choses sur leurs virus. Au contraire, on ne connaît presque rien des virus qui touchent des animaux rares ou mal étudiés. Pourtant, ceux-ci ont eux aussi le potentiel de se transmettre à l’humain. »
Enfin, il faut chercher aux bons endroits. « Les scientifiques ont accordé beaucoup d’importance aux régions européennes parce que c’est tout près, parce que les institutions y sont bien financées et parce qu’il y a une longue tradition de virologie », déplore-t-il. L’Asie est également sur les écrans radars en raison de la proximité entre animaux sauvages et humains. L’algorithme a toutefois décelé des régions du monde qui mériteraient d’être surveillées davantage. « L’Amérique latine contient potentiellement des réservoirs de richesse virale qui n’ont pas été explorés », confirme-t-il. La forêt amazonienne s’est révélée l’un de ces points chauds d’interactions hôte-virus, selon l’analyse du groupe.
Prochaine étape
« En augmentant la quantité de données sur les associations entre les virus et les mammifères qu’ils infectent, notre algorithme peut suggérer ceux à surveiller, dire dans quels animaux on risque de les trouver et à quel endroit sur la planète », explique Timothée Poisot. La balle se retrouve maintenant dans le camp des biologistes qui ont les connaissances nécessaires pour évaluer lesquelles de ces prédictions sont les plus probables d’un point de vue biologique et valent la peine d’être fouillées davantage.
Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇