Lorsque 91 scientifiques, cliniciens et professionnels de la santé publique endossent une déclaration-choc dans une revue comme Nature Review Endocrinology, les médias ont tendance à la rapporter. C’est ce qui s’est produit en septembre 2021 quand un tel groupe d’experts a tiré une sonnette d’alarme au sujet de l’acétaminophène pris durant la grossesse.
Cette molécule — appelée paracétamol en Europe — est le principe actif du Tylenol, mais on la trouve aussi dans plusieurs autres médicaments. Selon les signataires de la déclaration, elle augmenterait le risque que l’enfant à naître souffre d’un trouble du spectre de l’autisme, d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou d’un trouble du comportement. Sur le plan reproductif, l’acétaminophène serait associé à une augmentation du risque de cryptorchidie (testicule mal descendu) chez les garçons et à une puberté précoce chez les filles.
Anick Bérard, professeure titulaire à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, chercheuse au CHU Sainte-Justine et responsable de la chaire Médicaments et grossesse, relativise l’avertissement. Et elle n’est pas la seule.
En octobre, l’European Network of Teratology Service Information (ENTIS) prenait position à son tour et dénonçait le côté alarmiste de la déclaration consensus. Aux États-Unis, l’Organization of Teratology Information Specialists (OTIS) s’apprête à faire de même, selon Anick Bérard, qui est membre de ces deux associations, contrairement aux signataires de la déclaration consensus. Ces deux associations œuvrent en prévention des maladies congénitales et des troubles de développement après exposition à des médicaments ou à des polluants environnementaux.
Dans son avis, l’ENTIS parle des risques associés à l’acétaminophène durant la grossesse comme d’une controverse de longue date. « Ça fait au moins 10 ans qu’on parle de l’acétaminophène pris durant la grossesse et des risques liés au développement cognitif chez l’enfant », souligne Anick Bérard. Il est vrai que cette molécule est un perturbateur endocrinien et que des essais précliniques randomisés ont démontré qu’elle entraînait chez les animaux l’apparition de problèmes cognitifs équivalents aux troubles du spectre de l’autisme chez l’humain. Il n’est toutefois pas possible de faire de tels essais chez la femme enceinte pour étudier les conséquences de la prise d’acétaminophène sur la santé son enfant.
Trop de biais pour tirer des conclusions
Chez l’humain, beaucoup d’études pointent aussi vers un lien entre l’acétaminophène pris durant la grossesse et divers problèmes de développement chez l’enfant. Mais les conclusions reposent sur des études observationnelles qui consistent à relever des conditions de santé, des prises de médicaments, voire des habitudes ou conditions de vie pour établir des liens. Dans le cas présent, il s’agit donc de demander aux femmes enceintes ou aux mamans si elles ont pris de l’acétaminophène durant leur grossesse et de voir s’il y a un rapport avec le développement de l’enfant.
Comme l’acétaminophène est en vente libre et que les femmes enceintes n’ont pas besoin d’ordonnance du médecin pour en acheter, il est difficile d’évaluer avec certitude la dose qu’elles ont prise durant leur grossesse. « Après la naissance, si on interroge la maman et que son bébé est en bonne santé, elle aura tendance à moins se rappeler ce qui s’est passé durant sa grossesse. Si le bébé a un problème de santé, elle aura tendance à se souvenir des moindres détails de toute sa grossesse et elle pourrait “surrapporter” son exposition au Tylenol. C’est ce qu’on appelle le biais de rappel », décrit Anick Bérard.
Il serait bien sûr possible de documenter la prise d’acétaminophène chez les femmes ayant reçu une ordonnance de leur médecin, mais le risque serait alors de comparer ces femmes à celles qui n’ont pas eu de telle ordonnance en tenant pour acquis que ces dernières n’ont pas pris de Tylenol.
De plus, il faut encore pouvoir préciser à quel moment de la grossesse et à quelle fréquence l’acétaminophène a été pris pour voir si cela concorde avec les effets présumés de la molécule à chacun des stades de développement du fœtus. « Durant le premier trimestre, c’est l’organogenèse. Après trois mois, le cœur, la colonne vertébrale et tous les membres sont formés. Durant les deuxième et troisième trimestres, le cerveau se développe. S’il y a des problèmes cognitifs comme l’autisme, ils devraient être dus à une exposition durant le deuxième ou troisième trimestre », décrit Anick Bérard.
La chercheuse ne rejette pas ces études. « Il y a beaucoup de belles recherches sur la grossesse et l’acétaminophène, mais il y a beaucoup de biais potentiels. C’est pour ça que la recherche chez l’humain en ce qui concerne l’acétaminophène et les troubles cognitifs est moins solide que chez l’animal et qu’il faut savoir rester humbles dans nos recommandations », croit-elle.
Les études sont plus solides avec l’ibuprofène, un autre analgésique, vendu notamment sous la marque Advil. Si l’exposition à ce médicament est plus facile à étudier, c’est parce que seules de faibles doses sont offertes en vente libre. Les chercheurs peuvent comparer la situation des femmes ayant eu une ordonnance pour une forte dose d’ibuprofène à celle des femmes qui n’en ont pas reçu. Un biais de rappel persiste, mais il est moins important que pour l’acétaminophène.
Depuis 20 ans, les études s’accumulent et montrent systématiquement que l’ibuprofène pris pendant la grossesse augmente le risque de malformations cardiaques et de naissances prématurées. Les risques pour l’enfant à naître sont donc mieux établis avec l’ibuprofène qu’avec l’acétaminophène. C’est ce qui fait dire à Anick Bérard que « l’acétaminophène demeure le médicament le plus sécuritaire pour traiter la douleur durant la grossesse ».
Conseils aux femmes enceintes
L’acétaminophène n’en demeure pas moins un médicament et il ne faut pas le banaliser. « Comme n’importe quel médicament, il peut y avoir des risques », rappelle Anick Bérard. Ses conseils rejoignent certaines recommandations de la déclaration publiée en septembre.
Une femme enceinte devrait toujours consulter son médecin ou le pharmacien avant de prendre un médicament, afin de vérifier si les risques sont plus grands que les bénéfices. Même si l’acétaminophène est le médicament le plus sécuritaire contre la douleur, Anick Bérard conseille de consommer la dose minimale qui suffit à soulager la douleur ou la fièvre, et pour la plus courte durée possible. Un conseil qui vaut pour n’importe quel médicament, même en dehors de la grossesse.
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