Un psy pour tous, ça presse !

À moins d’avoir de l’argent ou une bonne assurance, il est difficile de bénéficier des services d’un psychologue au Québec. Le gouvernement arrive enfin avec un programme promettant un accès à la psychothérapie pour tous. Et des bénéfices pour l’ensemble de la société. 

Illustration : Getty Images

Une boule d’angoisse qui grossit dans la gorge. De la sueur, suivie de frissons. Le souffle coupé net.

Valerie Rodrigue-Charbonneau avait 19 ans quand elle a vécu sa première crise de panique, il y a cinq ans. Une peur inexpliquée l’a tétanisée alors qu’elle se trouvait dans son appartement. «J’ai eu l’impression de perdre le contrôle, j’étais incapable de respirer», raconte-t-elle aujourd’hui. Pourquoi cela lui arrivait-il à elle, une guitariste classique qui avait fait des concerts et des concours pendant des années sans même ressentir de trac ? Pourquoi elle, une jeune femme sociable, étudiante en Art et technologie des médias au cégep de Jonquière ?

Elle vivait alors des conflits avec ses colocataires, éprouvait des problèmes de santé et se sentait bien loin de ses parents et de sa sœur, installés à La Prairie, 450 km plus loin. Mais de là à ressentir cette angoisse ?

Les crises se sont faites de plus en plus fréquentes, jusqu’à devenir quotidiennes. L’anxiété montait en flèche sans raison, peu importe le lieu et l’heure, torturant Valerie pendant de longues minutes. Il lui fallait ensuite près de deux heures pour sortir — épuisée — de cette tempête intérieure. «Comme si je venais de combattre un ours», dit la jeune femme, dont le lumineux sourire vermeil ne laisse rien deviner du sombre épisode qu’elle me raconte dans sa cuisine de La Prairie.

À Jonquière, Valerie a cessé de sortir avec ses amis et n’osait même plus s’aventurer à la pharmacie, de peur d’être en proie à une crise dans un lieu public. Elle a péniblement terminé son année scolaire, incapable d’assister à certains cours et quittant parfois la salle de classe au beau milieu d’un examen.

Elle a consulté la psychologue de son cégep, mais a eu l’impression que celle-ci ne prenait pas son problème au sérieux. Elle a eu recours au programme d’aide aux employés offert par l’employeur de son père, où on lui a répondu que son cas était trop lourd pour être réglé en quatre séances téléphoniques, le maximum autorisé. Elle a consulté sa médecin de famille au centre local de services communautaires (CLSC), qui lui a diagnostiqué un trouble d’anxiété généralisée et un trouble panique, mais ne lui a rien proposé d’autre que des médicaments. Trouver un psy dans le privé ? «Je n’avais pas les moyens», dit la jeune femme.

C’est finalement auprès d’un organisme communautaire montréalais offrant des ateliers de groupe, Revivre, que Valerie Rodrigue-Charbonneau a trouvé le soutien dont elle avait besoin, près de deux ans après sa première crise.

Les troubles mentaux progressent partout sur la planète, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le Québec ne fait pas exception : 12 % de la population reçoit un diagnostic de trouble mental chaque année, d’après l’Institut national de santé publique du Québec, ce qui représente pas loin d’un million de personnes touchées à des degrés divers. Pour certains, il s’agira d’un état temporaire, alors que d’autres vivront avec ce mal-être jusqu’à la fin de leurs jours. Les deux affections les plus courantes, les troubles anxieux et la dépression, représentent les deux tiers des cas.

Devant l’ampleur du problème, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a annoncé en décembre 2017 — par la voix de son titulaire d’alors, Gaétan Barrette — la mise en place d’un programme d’accès gratuit à la psychothérapie. Un premier projet-pilote, dont le Ministère analyse actuellement les résultats, a été mené l’été dernier sur le territoire d’un CLSC de la région de Chaudière-Appalaches, auprès d’enfants et d’adolescents souffrant de dépression.

Si la majorité des gens exerçant dans le domaine de la santé mentale ont applaudi l’initiative, beaucoup s’interrogent sur la nature de ce programme, qui proposera d’abord des interventions «de basse intensité», comme on les appelle dans le jargon ministériel. C’est-à-dire des lectures, du counseling par des travailleurs sociaux pour revoir ses habitudes de vie et du soutien de groupe, entre autres choses. La psychothérapie individuelle sera considérée comme une intervention «de haute intensité», à utiliser si les soins précédents n’ont pas donné les résultats escomptés.

Charles Roy, président de l’Association des psychologues du Québec, se demande si le programme rendra les services des psychologues réellement accessibles à davantage de gens. «Mon plus grand agacement, c’est qu’on dit que c’est un programme de psychothérapie, alors que ce n’est pas ça principalement», affirme-t-il.

Ce psychologue, qui travaille en CLSC depuis 30 ans, le confirme : à l’heure actuelle, les services psychologiques offerts dans le réseau public ne parviennent qu’à couvrir les besoins les plus urgents ; bien des gens doivent patienter plus de six mois sur la liste, dont certains plus d’un an, selon un sondage effectué auprès des membres de l’Association des psychologues du Québec. Quand leur tour arrive, certains ont déménagé dans une autre région, d’autres ont changé de numéro de téléphone, d’autres encore renoncent au service puisque la crise est passée… jusqu’à la prochaine. Certaines personnes glissent donc entre les mailles du filet. Elles auraient pu bénéficier d’un soutien dans un moment de vulnérabilité, mais n’ont pas envie de retourner «jouer dans leurs bibittes» une fois la brèche de leurs émotions refermée.

C’est un peu ce qui est arrivé à Dominique, un gars de Québec dans la mi-trentaine, qui préfère taire son identité (comme les autres personnes identifiées par un simple prénom dans ce reportage) de peur d’être stigmatisé. «Même si les gens disent qu’ils ne jugent pas les problèmes de santé mentale, ils jugent quand même», note-t-il. Il y a plusieurs années, au moment d’une rupture amoureuse difficile, son médecin lui avait conseillé d’aller voir un psychologue. Au CLSC, on lui avait répondu que la liste d’attente était tellement longue que ça ne valait même pas la peine d’y inscrire son nom. Les années ont passé, avec des hauts puis des bas amplifiés par un célibat lourd à porter et de sérieux problèmes d’argent. Dominique n’a pas cherché d’aide une deuxième fois. Il a tenté de s’ouvrir les veines, dans le garage où il travaillait, à Québec.

Il a été retrouvé inconscient, entre la vie et la mort, sauvé par sa sœur, à qui il avait envoyé un énigmatique texto. Inquiète, cette dernière a remué ciel et terre à partir de Montréal pour que quelqu’un aille voir ce qui se passait.

Dominique est resté deux semaines à l’hôpital Saint-François d’Assise, à Québec, où un psychiatre et une travailleuse sociale dévouée sont passés à son chevet quelques fois. «Même en psychiatrie, je n’ai pas vu de psychologue», dit Dominique.

Le Québec ne manque pourtant pas de professionnels de la santé mentale : près de la moitié des psys du Canada y exercent ! Il faut cependant savoir que 55 % d’entre eux pratiquent uniquement en cabinet privé, à des tarifs variant en général de 90 à 125 dollars pour une séance de 50 minutes. À ce prix, mieux vaut avoir un portefeuille bien garni ou pouvoir compter sur un employeur qui offre un régime d’avantages sociaux remboursant ce genre de soins au-delà d’une poignée de rencontres.

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Le Commissaire à la santé et au bien-être, chargé d’évaluer la performance du système de santé québécois, recommande depuis 2012 que la psychothérapie soit plus largement couverte par le régime public d’assurance maladie, au même titre qu’une visite chez le médecin pour des douleurs articulaires ou des problèmes respiratoires.

Le fardeau économique et social engendré par les troubles mentaux est tel — en perte de productivité, coût de médicaments, services médicaux, hospitalisations, invalidité, etc. — qu’il s’avère rentable de fournir des services de psychothérapie pour remettre les gens sur pied, insiste le Commissaire, qui évaluait ces coûts à 50 milliards de dollars par année au Canada. Lorsqu’ils ne sont pas traités, les troubles mentaux ont tendance à devenir chroniques et ils s’accompagnent souvent d’une kyrielle de problèmes de santé physique, tels que des migraines, des maux de dos, des problèmes digestifs ou cardiovasculaires, qui grugent eux aussi les ressources du système de santé.

La chercheuse de l’Université de Sherbrooke Helen-Maria Vasiliadis et ses collaborateurs ont même calculé ce retour sur investissement : dans le cas de la dépression, chaque dollar investi en services de psychothérapie permettrait d’en économiser deux.

Faute de mieux, des médecins sont vites sur le stylo pour prescrire antidépresseurs et anxiolytiques à leurs patients mal en point. Mais il est maintenant prouvé que, pour traiter l’anxiété et la dépression, la psychothérapie est, dans la majorité des cas, aussi efficace que les médicaments, conclut l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) après une série d’évaluations effectuées au cours des trois dernières années, à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux. Mieux, les personnes ayant pu bénéficier de psychothérapie présentent moins de risque de rechute que celles ayant seulement pu compter sur la médication. Pour certaines d’entre elles, une combinaison des deux sera l’idéal.

Et pourtant, selon une étude réalisée auprès de 1 300 Québécois qui ont consulté un médecin pour des symptômes anxieux ou dépressifs, près d’une personne sur cinq aurait voulu obtenir de la psychothérapie, mais n’en a pas eu. Que ce soit faute de moyens financiers ou parce qu’elle ne savait pas où s’adresser, révèle Anne Dezetter, chercheuse à l’Université McGill.

Pour avoir accès aux services fournis par l’État, il faut aller vraiment mal, a constaté Sophie. À la suite de près de trois ans de difficultés personnelles, la femme de 26 ans, mère d’une fillette dont elle a la garde la fin de semaine, a enfin obtenu un diagnostic de trouble de la personnalité limite, qui lui donnera accès à une thérapie gratuite d’un an à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Son parcours a été parsemé de violence conjugale, de consommation excessive d’alcool, d’une visite aux urgences psychiatriques, de désintox et de rechutes, d’appels à Suicide Action Montréal et de rendez-vous avec des psychiatres, qui modifiaient l’ordonnance donnée par le spécialiste précédent. Jusqu’à ce qu’elle rencontre les intervenants du Centre de réadaptation en dépendance de Montréal — Institut universitaire. Ils l’ont aidée à dénicher un logement dans une maison pour femmes en difficulté et à trouver son chemin dans les dédales du système de santé pour finalement obtenir l’aide qu’il lui fallait.

Difficile de dire si le parcours de Sophie aurait été moins chaotique si elle avait pu trouver du soutien dès le départ… Déjà en 2015, alors qu’elle sentait sa vie déraper, elle s’est présentée à l’accueil psychosocial de son CLSC. On lui a offert huit rencontres avec une travailleuse sociale. « Mais ça n’a pas cliqué entre elle et moi. Je me sentais jugée. Je n’osais pas lui dire que je consommais, alors elle ne pouvait pas réellement m’aider. J’ai arrêté d’aller aux rencontres », raconte la jeune femme.

Elle a demandé à être jumelée à une autre intervenante, mais c’est la même travailleuse sociale qui l’a contactée. « Peut-être qu’elle était la seule dans l’équipe à pouvoir me prendre ? » s’interroge aujourd’hui Sophie.

Le grand patron de la santé mentale au Québec, le directeur général des services de santé mentale et de psychiatrie légale du MSSS, le psychiatre André Delorme, le reconnaît : l’offre de soins dans les CLSC a besoin d’être revue et corrigée. Aucun critère ne définit qui a droit ou pas à la psychothérapie dans le réseau public. «On y accède un peu au hasard», laisse-t-il tomber. Cela dépend des professionnels en poste au CLSC de notre quartier et des outils d’intervention qu’ils privilégient, explique-t-il.

En plus des psychologues, divers professionnels, dont des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs et des infirmières, sont autorisés à pratiquer la psychothérapie, s’ils possèdent une formation adéquate et sont reconnus par l’Ordre des psychologues. Le Ministère sait que 240 000 interventions psychologiques ont été faites auprès de 35 000 personnes (ayant déjà un diagnostic de trouble mental modéré ou sérieux) dans ses services de première ligne en 2016-2017, mais pas moyen de savoir si c’était bel et bien de la psychothérapie ou autre chose.

«La psychothérapie est un traitement reconnu comme efficace. On ne peut pas la laisser au hasard du recrutement local. On veut que ce soit accessible», affirme le Dr Delorme.

C’est justement pour cette raison que le programme d’accès à la psychothérapie est en voie de création.

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Avant d’arrêter son choix sur un modèle, le ministère de la Santé et des Services sociaux a demandé à l’INESSS d’étudier ce qui se faisait ailleurs, notamment en Angleterre et en Australie, où les systèmes de santé sont très similaires à celui du Québec et où les services psychologiques sont couverts par le régime public depuis plus d’une dizaine d’années.

C’est le modèle anglais qui a été retenu : des soins intégrés directement au réseau public. L’Australie avait une autre approche, soit de rembourser à ses citoyens une partie des frais de la psychothérapie offerte en cabinet privé, mais elle a adopté le modèle anglais elle aussi cette année.

Le ministère de la Santé du Québec ne se contente pas de s’inspirer de l’Angleterre ; il a signé une entente pour importer le modèle. Des équipes s’affairent actuellement à traduire en français l’ensemble des guides de pratique utilisés par les équipes anglaises de santé mentale.

Pour chaque pathologie, que ce soit l’anxiété, les psychoses ou le trouble bipolaire, l’Institut d’excellence en santé britannique (l’équivalent de l’INESSS) a en effet établi la liste des soins optimaux à fournir en fonction de la gravité du trouble. Et il a hiérarchisé l’ordre dans lequel on doit les fournir, du repérage jusqu’à la psychothérapie proprement dite, avec ou sans médicaments. Une dizaine de ces «trajectoires de soins», traitant autant de pathologies, seront importées. Celle pour le traitement de l’anxiété chez l’adulte fera l’objet d’un projet-pilote au début de 2019, dont les détails ne sont pas encore connus.

Il faudra sans doute de quatre à cinq ans avant que la prise en charge de toutes les pathologies soit possible sur l’ensemble du territoire québécois, dit le Dr André Delorme.

L’Association des psychologues se promet d’observer la mise en œuvre du programme avec attention. «Il pourrait être avantageux sur le plan politique de miser sur un gros volume de personnes traitées, craint Charles Roy, le président. Si on traite 25 personnes en 30 rencontres de groupe, ça semble plus efficace que d’en traiter une seule en 30 rencontres.» Mais pas certain que ce le soit vraiment, dit-il.

Ce psychologue s’inquiète de ce qu’on dénature le concept même de psychothérapie. Le programme britannique se targue en effet d’être rentable, car il retourne rapidement les gens au travail. «On est dans une ère d’efficacité comptable, soupire Charles Roy. Ce n’est pas problématique en soi de vouloir retourner les gens au travail. Mais ça le devient si c’est une cible exclusive. Si un monsieur vient pour un épuisement professionnel et qu’on lui donne six rencontres, on va réduire les symptômes et il pourra retourner travailler. Mais ce n’est pas juste ça, la psychothérapie. Un symptôme, ce n’est pas la cause.» Pour trouver cette dernière, il faut parfois faire un détour par les conflits vécus par la personne, son histoire de vie, ses valeurs et leur adéquation avec celles qui dominent dans la société, etc. Cela demande du temps.

Sous la pression d’objectifs de gestion (et pour réduire les listes d’attente), des psychologues de CLSC tentent parfois d’écourter une thérapie. «Trois semaines plus tard, la personne rappelle et elle est en crise, dit Charles Roy. On n’est pas à un arrêt au puits dans une course automobile où chaque milliseconde compte.»

Après avoir analysé une douzaine de méta-analyses regroupant plus d’un millier d’études sur la question publiées dans le monde, l’INESSS conclut que le nombre de séances requises pour observer un retour à un fonctionnement normal se situe à entre 10 et 20 pour la majorité des personnes.

Fait à noter, une étude publiée en 2016 et réalisée auprès de 22 000 Allemands a démontré que la psychothérapie demeure rentable même après une trentaine de séances, grâce à la réduction des hospitalisations et des congés pour invalidité.

Bonne nouvelle, contrairement à l’Angleterre, qui limite le nombre de séances de psychothérapie à 12 rencontres individuelles et 12 de groupe, le Québec n’a pas instauré de plafond. On laissera aux professionnels le soin de juger de l’état de la personne qu’ils ont devant eux, mais ils devront pour ce faire se servir des outils d’évaluation qu’on leur fournit. De la même façon qu’un physiothérapeute mesure si ses traitements améliorent l’amplitude du mouvement de l’épaule de son patient, le psychologue devra s’assurer que la thérapie porte ses fruits. Sinon, il lui faudra changer de méthode.

Combien ça va coûter ?

Trente-cinq millions : c’est la somme accordée en décembre dernier par Gaétan Barrette, alors ministre de la Santé et des Services sociaux, au démarrage du Programme québécois de psychothérapie pour les troubles mentaux (PQPTM).

C’est un début. «Si on compare le programme au nouveau pont Champlain, les 35 millions servent à payer les sociétés de géomatique et d’ingénierie qui ont fait les plans», précise le Dr André Delorme, directeur général des services de santé mentale et de psychiatrie légale du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Difficile de savoir combien d’argent il faudra ensuite pour donner les services. Dans un rapport publié en janvier 2018, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux explique ne pas avoir été en mesure d’évaluer les coûts en raison de «limites importantes liées à la disponibilité des données».

Le Collectif pour l’accès à la psychothérapie estime qu’il en coûterait de 200 à 400 millions de dollars par année pour couvrir l’ensemble des besoins en psychothérapie de la population.

Les psychothérapies recommandées par l’Institut d’excellence anglais sont reconnues pour leur efficacité et, surtout, leur brièveté. Dans le cas de la dépression, il s’agit de la thérapie cognitivo-comportementale, de la thérapie analytique brève et de la thérapie interpersonnelle, des approches centrées sur la résolution d’un problème précis, par l’analyse des pensées et comportements du patient, de ses relations interpersonnelles ou de ses conflits intérieurs, et non une analyse approfondie de son fonctionnement psychique.

Les statistiques compilées par l’Australie et l’Angleterre révèlent que les personnes utilisent en moyenne cinq ou six séances, même si elles pourraient en obtenir davantage.

Difficile d’établir si c’est parce qu’elles s’estiment rétablies ou parce qu’elles n’apprécient pas ces approches plus «formatées» que des approches d’inspiration humaniste ou psychanalytique. «Il est possible qu’au bout de quelques rencontres certaines personnes se disent : ce n’est pas ça que j’étais venu chercher», commente Charles Roy.

André Delorme ne s’en cache pas, le programme vise à s’assurer que les dollars du Ministère sont bien dépensés. « Est-ce que les gens qui accèdent à la psychothérapie sont ceux qui en ont besoin ? Ça m’apparaît être la question fondamentale. Actuellement, puisque c’est un peu au hasard du bureau dans lequel je vais me retrouver, je pourrais avoir 10 ou 15 rencontres, alors que 2 ou 3 auraient peut-être fait l’affaire », dit-il.

Dans le nouveau programme, les services de counseling, les modules à lire à la maison et la thérapie de groupe répondront aux besoins d’un bon nombre de personnes, qui n’iront pas engorger les services de psychothérapie, avance-t-il.

Est-ce que tant de gens persistent à aller en thérapie alors qu’ils n’en ont pas besoin ? Il y en a, affirme André Delorme à la lumière de son expérience clinique de psychiatre : «Il y a des éléments de dépendance émotive. Quoi de plus rassurant que d’avoir un psychothérapeute qui nous écoute avec empathie toutes les deux semaines…» Une fois prises en charge, certaines personnes ne veulent plus quitter cet environnement douillet.

«Ces gens-là ont peut-être besoin d’un service, mais certainement pas d’un service de psychothérapie pour une maladie mentale, alors que votre beau-frère ou votre fils, lui, a peut-être besoin de psychothérapie pour un trouble anxieux», souligne le Dr Delorme.

Le nom du nouveau programme (Programme québécois de psychothérapie pour les troubles mentaux : des autosoins à la psychothérapie) le dit, les services s’adresseront aux gens qui ont reçu un diagnostic de trouble mental. Autrement dit, le nouveau programme ne sera pas la porte où aller cogner pour résoudre des questionnements existentiels sur sa carrière ou son couple. «Ces situations peuvent amener une détresse réelle, reconnaît le médecin. Mais elles n’engendrent pas pour autant une pathologie. Ce que le Ministère met en place, ce sont des traitements pour des gens qui ont des pathologies. On peut aller chercher un massage parce que c’est relaxant et que ça fait du bien, mais il ne devrait pas être donné par un physiothérapeute à l’hôpital.»

Certaines personnes resteront donc sur la touche, même une fois les nouveaux services mis en place.

L’État n’a sans doute pas les moyens d’offrir de longues psychothérapies à tous ceux qui en auraient besoin. Mais s’occuper de la santé mentale de ses citoyens au moment critique où la détresse les submerge pourrait changer le cours de bien des vies.

Et s’avérer rentable.

Besoin d’aide ? Centres de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553).


Les groupes communautaires à la rescousse

Présentement, ce sont eux qui pallient les lacunes du réseau de la santé

En ce mardi d’automne, Yves Jourdain, un des intervenants de l’organisme montréalais Revivre, salue avec bonne humeur chacun des participants qui s’installe sur l’une des chaises placées en cercle pour cette troisième semaine d’atelier d’autogestion de l’anxiété.

Pendant les deux heures et demie qui suivront, ces 15 hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, discuteront des effets de leurs habitudes de vie sur leur bien-être. Après la théorie, ils expérimenteront des techniques de respiration profonde et ils dégusteront des raisins, en s’exerçant à demeurer dans l’instant présent plutôt que de se laisser emporter par le flot de leurs pensées anxiogènes.

Ce que le réseau de la santé n’est pas en mesure d’offrir, ce sont actuellement des groupes communautaires comme Revivre qui s’en chargent. Près de 450 de ces groupes œuvrent dans le domaine de la santé mentale sur le territoire québécois. Et ils réclament une aide financière accrue de Québec pour répondre à la demande. Car ils proposent bien souvent des outils qui cadrent parfaitement avec ce que le Ministère veut offrir aux gens avant de leur fournir de la psychothérapie.

C’est le cas des ateliers de 10 ou 12 semaines créés par Revivre pour outiller les personnes aux prises avec l’anxiété, la dépression ou le trouble bipolaire. Ces ateliers d’«autogestion» permettent aux gens de mieux connaître leur trouble et d’adopter les stratégies qui leur conviennent pour recommencer à vivre normalement.

Au fil des semaines, les participants réfléchiront à leurs comportements, à la gestion de leurs émotions, à la notion d’évitement, etc. Tout le matériel a été conçu et validé par le directeur clinique de Revivre, Bruno Collard, et des experts du Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Les groupes comptent aussi bien des assistés sociaux qui sont isolés depuis des années que des étudiants ou des travailleurs (dont une médecin, récemment) qui craquent sous les exigences du travail, souligne le directeur général de l’organisme, Jean-Rémy Provost.

C’est à un tel atelier de gestion de l’anxiété que Valerie Rodrigue-Charbonneau s’est inscrite pour apprendre à composer avec son trouble panique, qui l’a paralysée pendant deux ans. «Au départ, j’avais des doutes sur le fait que ça se passe en groupe, dit-elle. Je me disais que je n’allais pas être capable. Mais finalement, c’est un plus. On peut discuter, s’échanger des trucs et raconter nos expériences au fil des semaines.»

Les 410 dollars qu’elle a déboursés pour la série de 10 ateliers en valaient la peine, estime la jeune femme. Depuis, elle a repris confiance en ses moyens, assez pour lancer sa propre entreprise d’organisation d’événements et se joindre à l’équipe de direction d’une école de musique.

Revivre voudrait bien pouvoir offrir ses ateliers gratuitement, mais son financement public et les dons qu’il reçoit ne suffisent pas à couvrir les salaires des intervenants et le matériel imprimé. L’organisme réserve tout de même quelques places à des personnes à faible revenu (150 dollars) et des prestataires de l’aide sociale (50 dollars).

Une soixantaine d’organismes offrent maintenant les ateliers conçus par Revivre dans diverses régions du Québec, de Matane à Gatineau en passant par Roberval et Lévis. Souvent, les ateliers sont donnés en collaboration avec le centre intégré de santé et de services sociaux de la région, à des tarifs beaucoup plus bas que ce que Revivre peut offrir dans ses locaux. À quelques endroits, c’est même gratuit, notamment à Ville-Marie, au Témiscamingue, et à Sorel-Tracy, en Montérégie.

Une fois le programme d’accès gratuit à la psychothérapie mis sur pied, chaque région aura la responsabilité de choisir de quelle façon elle entend rendre ses services d’«autosoins», dit André Delorme, directeur général des services de santé mentale et de psychiatrie légale au ministère de la Santé. Certains CLSC pourraient décider d’acheter le matériel de Revivre, d’autres d’utiliser du matériel libre de droits validé par leurs experts, d’autres encore de diriger les gens vers des organismes communautaires de leur région.

David Levine, ex-gestionnaire du milieu de la santé (il a longtemps été directeur d’hôpital, puis président de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal), confirme l’importance du rôle des organismes communautaires au Québec. «Ils sont un rouage essentiel du système», dit-il.

Après avoir vu de l’intérieur les lacunes du système, David Levine est devenu porte-parole du Collectif pour l’accès à la psychothérapie, qui réunit une constellation de groupes et d’organismes ayant milité pour rendre la psychothérapie accessible. «Si on était capable de rendre ces services à la population qui en a besoin, on économiserait énormément d’argent en médicaments, mais on épargnerait aussi beaucoup de stress aux familles.» Et pour certaines personnes, il est moins intimidant de faire appel à un organisme de son quartier que d’entrer dans le réseau de la santé, note l’ex-gestionnaire.

Dans la région de Montréal, une dizaine d’organismes communautaires offrent de la psychothérapie à des tarifs abordables. L’an dernier, ils ont fourni à eux seuls plus de 22 000 séances à 3 000 personnes à faible revenu de la métropole, de Laval et des Laurentides.

La façon dont les services de ces organismes s’arrimeront à ceux du nouveau programme de psychothérapie n’est pas encore très claire. Les CLSC ont déjà le droit, en vertu de la loi, de signer des ententes avec des organismes pour compléter leur offre de services et ils pourront continuer de le faire s’ils le désirent, précise le Dr André Delorme.

Unis à l’intérieur du Regroupement québécois des organismes communautaires en psychothérapie, ces derniers réclament une place en bonne et due forme au sein de l’offre de services et, surtout, plus de moyens pour accomplir leur mission.

«C’est bien que les personnes paient une petite somme, cela les rend plus sérieuses dans leur démarche», affirme Karen Hetherington, porte-parole du Regroupement. Mais le financement public reçu actuellement par certaines de ces organisations ne comble absolument pas les besoins.

Dans la petite salle d’attente du Centre Saint-Pierre, organisme d’éducation populaire établi dans le Centre-Sud, un quartier populaire montréalais situé à l’ombre du pont Jacques-Cartier, deux femmes d’âge mûr patientent en silence en attendant le début de leur consultation.

Plus d’une vingtaine de psychothérapeutes se relaient toute la semaine dans cinq petits bureaux de l’imposant édifice de pierres pour offrir des services de psychothérapie à des gens dont le budget est trop serré pour leur permettre d’aller consulter en cabinet privé. Ici, les tarifs varient en fonction du revenu des clients. Certains, qui bénéficient de l’aide sociale, ne paient que 15 ou 20 dollars la séance, d’autres, 50 ou 60 dollars.

Ces psychothérapeutes sont presque des missionnaires, puisqu’ils ne reçoivent rien de plus que ce que le client leur donne et qu’ils doivent même verser un petit loyer au Centre Saint-Pierre. «Le Centre ne reçoit aucune subvention pour le service de psychothérapie», explique sa directrice générale, Lise Roy.

On peut penser qu’il assure pourtant un service essentiel. L’an dernier, tout près de 500 personnes y ont eu recours, et au moins 150 personnes attendent maintenant leur tour sur une liste d’attente.

Certains arrivent au Centre sur la recommandation du CLSC du quartier, dont les listes d’attente sont encore plus longues. D’autres ont épuisé les 10 ou 15 séances que le réseau public pouvait leur offrir, mais sentent bien que le travail thérapeutique n’est pas terminé.

«Un travail en profondeur n’est pas possible en seulement 12 séances», témoigne Hélène. C’est à force de travailler sur elle-même que cette femme dans la cinquantaine a cessé de s’engager dans des relations toxiques. Félix, qui a consulté au tournant de la trentaine pour un deuil amoureux, estime qu’il a peut-être ainsi évité une dépression.

Caroline a pour sa part trouvé en Nicole Joron, psychothérapeute et art-thérapeute au Centre Saint-Pierre, une alliée pour changer le cours de son destin. «Je viens d’une famille très dysfonctionnelle. Mon père était alcoolique et ma mère dépressive», raconte-t-elle. Ils ont fermé les yeux quand son grand frère, déjà violent physiquement et psychologiquement avec elle, l’a agressée sexuellement.

Les services sociaux ont accompagné Caroline pendant quelques années, mais pas assez pour lui éviter une vie difficile. Elle est devenue mère très jeune, a vécu plusieurs relations amoureuses abusives et a longtemps vivoté de contrats d’artiste et d’aide sociale.

Jusqu’à ce qu’elle entreprenne une psychothérapie qui lui a redonné confiance en elle. Un long cheminement qui a duré cinq ans (le double de ce qu’elle pensait !), au cours duquel sa vie a complètement changé. Elle s’est inscrite à l’université et est devenue travailleuse sociale, elle a rencontré un homme avec qui elle a noué une relation saine (ils sont aujourd’hui mariés) et a eu une troisième fille.

«C’est comme ça qu’on brise le cycle de la violence familiale», témoigne Caroline, qui regarde évoluer avec fierté ses deux plus vieilles, maintenant jeunes adultes.

L’avenir s’annonce plus sombre pour son grand frère, qui reproduit l’environnement malsain de leur enfance. Ses colères et ses sautes d’humeur empoisonnent sa vie familiale. Sa femme en souffre et ses enfants ont des problèmes de comportement.

«Ça fait deux ans qu’il dit qu’il voudrait aller en psychothérapie, se désole Caroline. Mais il n’en a pas les moyens.»

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Excellent résumé d’un domaine ou plus rien ne fonctionne dans notre société de consommation ou nous n’avons plus les moyens de consommer si la redistribution du capital n’est pas changé. Des exemples comme celui-ci on peut en sortir des listes à l’infini car ceux qui possèdent le cash on décidé de fuir leurs obligations citoyennes avec la complicité des dirigeants présents et passés qui ont coupé partout dans les services.

Les services sont la seule option qui nous assure que les riches payent leurs juste parts sociétale, on appelle ça la sociale démocratie qui elle ne fait aucune distinction de classe sociale en fournissant ses services. Vous ne voulez plus payé de bon salaire avec les avantages sociaux qui vont avec ainsi qu’une couverture pour ceux qui sont presque en bas de l’échelle car eux ils n’ont rien de couvert quand le besoin se fait sentir, bien c’est ça, un jour il y aura des gilets jaunes partout.
Au final, on ressemble de plus en plus au voisin du sud qu’ont démonise sans arrêt.

Merci pour cet article !! Enfin le gouvernement est sensible aux diagnostics de maladies mentales !!
Vous savez qu’après une petite enquête une thérapie peut couter plus de 40,000$ dans une vie pour recouvrer la santé mentale !! Faut pas lâcher car tellement de gens s’ouffrent de ces maladies ! Et quand c’Est pris au début les coûts sont vraiment plus modestes !!
Bravo et continuez d’en parler !

Ce reportage arrive a point avec le débat sur l’ enregistrement des armes
d’épaule.
Vous pensez pas que le $100 millions de dollars que le gouvernement est en train
d’ investir dans le registre serait plus utile investi en santé mental ?
Surtout que tous les intervenants dans le milieu sont unanime pour mentionner que cela n’ aidera a sauver aucune vie.
Mais que peut être que cette argent pourra aider des personnes a recevoir des soins de santé mentale pour lequel ils y ont droit et les ont payés avec leurs impôts au fil des années.
Pratiquement 40% des députés de la CAQ ont voté contre ce registre quand ils étaient dans l’ opposition.
Maintenant ils sont ou, ces super députés ? On les entend pas !
Quand je lis des reportage comme celui ci qui démontre que notre gouvernement
laisse des gens ne pas être soigné , alors j’ ai honte de vivre dans ce Québec.
Ca me donne le gout de vomir.
La nouvelle ministre de la santé n’ est pas au courant de ce fait ?????
Si oui, cela ne lui tente pas d’ en parlé au conseil des Ministres ! et ce afin que ce nouveau gouvernement agisse.
Mais nous savons tous que ce débat est perdu d’ avance, car ce n’ est pas la sécurité de la population ou le bien être des populations qui motive nos élus.
Mais leurs réélection (vote) et les avantages qui vont avec.
CAQ et PLQ = bonnet blanc , blanc bonnet.

Un réel besoin dans un monde où l’individu cherche ses repères et du support pour faire face aux vicissitudes de la vie.
Bémol: un reportage cette semaine nous apprenait que suite à l’ouragan de Gatineau les délais d’attente pour une consultation étaient de 30 à 150 jours. C’est mal parti.

J’ai fait une demande en mai 2018 pour une rencontre ponctuelle avec un intervenant en SM parle biais du guichet de mon CISSS. On m’a rappelée en décembre pour savoir si ma demande était toujours en vigueur? Ils rappelaient toutes les personnes en attente pour mettre leurs listes à jour. (Intervenante très professionnelle et compatissante en bout de ligne). Eh oui! Des événements éprouvants se sont produits dans les derniers mois. On me rappelle dans une semaine… J’ai rappelé… On me dit qu’on va me donner un rendez-vous avec une intervenante dans une semaine. Pas de nouvelles. Mais j’ai les coordonnées de la personne qui m’a appelée et je peux laisser un message au besoin… À la veille des Fêtes, pas de rendez-vous en vue, je vois bien qu’il n’y a personne de disponible, je laisse le message qu’en cas de besoin j’irai à l’urgence… Les travailleuses et travailleurs du réseau de la santé veulent bien mais ils sont débordées… C’est le réseau le problème, c’est le réseau qui est malade… Je le sais, je suis retraitée du réseau après 30 ans de service.

Bonjour,
A la lecture de votre article si soigné, je ne peux m’empêcher de vous remercier.
Sans vous, journalistes, recherchistes, nous n’aurions pas cet éclairage, cette lecture si fine des difficultés qu’éprouvent les uns et les autres et des enjeux non pas de la société comme entité mais comme «individu ».
Chacun de nous participe à part entière à cet individu qui devient société. Ainsi de le mettre en lumière ainsi sensibilise chacun de nous, je crois.
Et je trouve que dans cet article fouillé, l’emphase est mise sur «l’humain » chaque être , individu doit ainsi se sentir concerné.
Merci