À quoi ça sert de se faire vacciner si c’est pour garder les mêmes contraintes ? La question se pose, alors que les gouvernements du Québec et du Canada demandent aux personnes immunisées de suivre, pour l’instant, les mêmes règles sanitaires que tout le monde.
Avant de relâcher les mesures, les autorités veulent d’abord savoir si les vaccins empêchent la transmission du virus. Si les personnes vaccinées peuvent toujours le transmettre, même sans tomber malades, alors elles risquent d’infecter des personnes qui n’ont pas encore été vaccinées, et de faire ainsi augmenter le nombre de cas graves. Alors que moins de 1 Québécois sur 10 a déjà reçu au moins une dose de vaccin, la prudence s’impose.
Démontrer hors de tout doute qu’un vaccin bloque la transmission d’un virus est extrêmement difficile. Dans les études de laboratoire, menées in vitro, on peut vérifier si les anticorps sécrétés après l’immunisation permettent de neutraliser un virus et de l’empêcher de se répliquer dans les cellules. Mais l’être humain n’est pas une boîte de Petri, et il est beaucoup plus difficile de démontrer que le virus ne peut se répliquer dans aucune de ses cellules après l’immunisation. « On sait que les anticorps neutralisants présents dans le sang sont efficaces, mais il est quand même possible que le virus parvienne à se répliquer dans les cellules du nez, celles qu’il rencontre en premier lorsqu’il infecte quelqu’un, car les anticorps y circulent moins », explique Denis Leclerc, chercheur en infectiologie à l’Université Laval, qui travaille au développement de vaccins universels contre la grippe et les coronavirus.
Ce ne serait pas la première fois qu’on se heurterait à ce problème. Par exemple, le vaccin injectable contre la poliomyélite mis au point par Jonas Salk et utilisé à partir de 1955 était efficace à près de 90 %, mais il n’empêchait pas la contagion par le virus en cause, qui entre par la bouche. Ce n’est qu’avec la fabrication par Albert Sabin d’un vaccin oral, utilisé à compter de 1961, qu’on a réussi à éradiquer la polio dans les pays développés et presque partout ailleurs dans le monde.
Cependant, bien des chercheurs comme Denis Leclerc pensent que les vaccins contre la COVID-19 sont tellement efficaces qu’ils ont quand même de fortes chances de réduire nettement les risques de transmission du virus, en attendant qu’on dispose un jour d’un vaccin intranasal, dont les essais ont commencé.
Les réponses arrivent
Les essais cliniques sont toujours conçus pour répondre à des questions bien précises. Ceux qui ont mené à l’approbation des vaccins contre la COVID cherchaient à établir leur efficacité pour diminuer le risque de développer la maladie, tout en recensant la nature et le nombre de leurs possibles effets indésirables. Ils ont donc consisté à comparer le nombre de gens tombés malades parmi un groupe de personnes vaccinées et un groupe équivalent ayant reçu un placebo.
Pour voir dans quelle mesure le vaccin peut empêcher l’infection, et donc vérifier si les personnes vaccinées sont moins susceptibles de transmettre le virus, il faut procéder autrement.
Pour cela, lors de leurs essais, les sociétés pharmaceutiques avaient aussi entrepris de prélever plus ou moins régulièrement des échantillons nasopharyngés chez certains de leurs cobayes, puis de les analyser par PCR. Elles voulaient ainsi voir si, parmi les personnes n’ayant pas eu de symptômes de la maladie durant l’essai, celles qui avaient été vaccinées avaient moins souvent un résultat positif au test que celles qui avaient eu le placebo, signe que le vaccin réduirait aussi le nombre d’infections asymptomatiques. Elles n’ont cependant pas eu le temps de prélever et d’analyser assez d’échantillons pour répondre à cette question.
En décembre, Moderna avait fourni aux autorités responsables d’approuver son vaccin des données préliminaires indiquant qu’il y avait eu presque trois fois moins d’infections asymptomatiques parmi les personnes ayant reçu la première dose de son vaccin lors de l’essai que parmi celles ayant reçu un placebo. Mais elle avait seulement testé deux fois une partie de ses cobayes, à un mois d’écart, et aurait donc pu manquer des cas. Dans leurs résultats d’essais cliniques soumis aux autorités, AstraZeneca et Janssen avaient aussi noté une possible diminution des cas asymptomatiques, mais le nombre de tests réalisés n’était pas suffisant pour conclure quoi que ce soit.
En février, des chercheurs britanniques ont donné à penser dans une prépublication, qui n’a donc pas encore été révisée par d’autres chercheurs, qu’une seule dose du vaccin de Pfizer pouvait diviser par quatre la probabilité d’une infection asymptomatique. Pour cela, ils ont comparé la proportion de positifs, dans des tests de routine passés durant deux semaines en janvier par des travailleurs de la santé dans des hôpitaux, entre un groupe de travailleurs déjà vaccinés et un groupe non vacciné. Ils ont constaté que dans les premiers jours suivant l’injection de la première dose, il y avait à peu près autant de personnes infectées mais asymptomatiques dans les deux groupes, alors qu’il y en avait quatre fois moins chez les personnes vaccinées 12 jours après l’injection.
En février aussi, une nouvelle analyse des données recueillies jusqu’à un mois après son autorisation au sujet du vaccin d’AstraZeneca a été publiée dans The Lancet. Elle indique qu’après une seule dose du vaccin, le nombre d’infections asymptomatiques diminue de 67 %, alors que deux doses espacées de quatre semaines donnent moitié moins d’infections. Ce n’est pas parfait, mais c’est significatif.
La semaine dernière, Pfizer, BioNTech et le ministère de la Santé d’Israël ont quant à eux annoncé dans un communiqué que, à partir de données collectées entre le 17 janvier et le 6 mars en Israël, où 8,6 millions de doses avaient déjà été injectées à cette date, le vaccin avait diminué de 97 % le nombre de cas asymptomatiques. En février, des médias avaient déjà révélé des résultats préliminaires de cette étude indiquant alors une diminution d’environ 90 % des infections, mais plusieurs spécialistes avaient appelé à la prudence au vu des rares détails dont ils disposaient sur la méthodologie employée. En effet, ces résultats semblaient basés sur les tests par PCR réalisés dans tout le pays, auprès de gens vaccinés ou non, mais sans tenir compte du fait que ceux qui ont déjà été vaccinés sont possiblement beaucoup moins nombreux à se faire tester que les autres. Ce biais pourrait faire en sorte de surestimer largement l’efficacité du vaccin pour prévenir les infections. Donc, tant que des résultats détaillés n’auront pas encore été publiés, et commentés par d’autres spécialistes, mieux vaut attendre avant de s’emballer.
Une autre équipe israélienne s’est quant à elle intéressée aux résultats positifs aux tests de diagnostic par PCR qu’ont obtenus quelques personnes déjà vaccinées. Dans une prépublication, elle révèle que les personnes qui ont attrapé le virus plus de deux semaines après la première injection du vaccin de Pfizer en avaient quatre fois moins dans leurs échantillons que celles qui ont été infectées plus tard. À quel point cette diminution de la charge virale dans le nasopharynx signifie-t-elle que les personnes vaccinées risquent moins de transmettre le virus ? Ce n’est pas encore tout à fait clair.
Bref, même si toutes ces études prépublications semblent pointer dans la même direction, et sont fort rassurantes, il paraît prudent d’attendre d’avoir des informations plus solides avant d’en conclure que les personnes vaccinées ne présentent plus de risques pour celles qui ne le sont pas.
Les Américains, pas tellement plus libres
Les nouvelles règles des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains ont été interprétées, à tort, comme un laissez-passer pour le retour à la vie normale des personnes vaccinées. En réalité, les Américains pleinement vaccinés peuvent seulement se réunir sans masque entre eux, en petits groupes, dans leurs domiciles ou avec une seule personne non vaccinée, à la condition qu’aucune des personnes présentes n’ait dans son entourage des cas de COVID ou des gens à risque de contracter une forme sévère. Le port du masque et la distanciation restent de mise en toute autre circonstance.
Les CDC précisent que des données préliminaires montrent que le vaccin pourrait empêcher de transmettre la COVID, et qu’il pourrait protéger efficacement contre certains variants, mais moins bien contre d’autres.
Aux États-Unis, le virus circule un peu plus de deux fois plus qu’au Québec : dans les derniers jours, il y a eu chez nos voisins du Sud environ 190 nouveaux cas par million d’habitants par jour, contre 82 au Québec. Par contre, environ quatre fois plus d’Américains que de Québécois sont vaccinés en proportion de la population.
Les comparaisons internationales sont toujours boiteuses, parce qu’elles ne tiennent pas compte des caractéristiques de chaque population ni de la capacité du système de santé à prendre soin des malades. Puisque aucune étude scientifique ne permet de dire à partir de quel seuil précisément on devrait assouplir telle ou telle mesure, les autorités de chaque pays jugent en fonction des informations qu’elles ont, de leur seuil de tolérance au risque et aussi de ce qu’elles perçoivent des attitudes de la population.
Avec près de 30 % de leur population vaccinée, mais une hésitation toujours importante chez les Afro-Américains, plus méfiants à cause des abus dont ils ont été victimes dans l’histoire de la médecine, les États-Unis ont ressenti le besoin de relâcher un peu la pression pour inciter la population à continuer de se faire vacciner, tout en estimant que les résultats des études menées à ce jour sur la possible diminution du risque de transmission étaient assez rassurants pour aller de l’avant.
Tant à Québec qu’à Ottawa, les autorités de santé publique ne sont pas prêtes à passer à cette étape. L’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, a annoncé vouloir attendre qu’une plus grande partie de la population soit vaccinée et qu’on en sache plus à la fois sur la circulation des variants, l’efficacité des vaccins contre ceux-ci et la diminution du risque de transmission. La semaine dernière, François Legault, lui, a dit vouloir attendre que les 65 ans et plus soient largement vaccinés avant d’autoriser de nouveau les visites à la maison, une échéance prévue en mai. D’ici là, on aura probablement quelques études de plus pour jauger le risque de transmission dans une population qui sera en plus grande partie vaccinée.
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Malheureusement, et je le constate de plus en plus lors de mes heures bénévole à la vaccination, vaccin = partys de famille, camping entre amis, voyage etc.
Les infirmières n’ont de cesse d’expliquer aux gens que le vaccin nous protège des complications parfois mortelles du virus, personne n’en tient compte.
Voilà pourquoi il faudrait cesser d’associer la vaccination à la liberté retrouvée car nous sommes loin (encore des mois) de la coupe aux lèvres. Tant que le virus et ses variants subsisteront quelque part, nous devrons être vigilants selon les scientifiques.
Continuons sereinement nos efforts sanitaires.