Il y a une semaine, j’ai reçu la première dose du vaccin d’AstraZeneca, et même si cela n’a strictement rien de rationnel, la crainte de faire une thrombose me trotte dans la tête. Normal, je suis d’un tempérament assez anxieux et je passe mes journées à en entendre parler ! Dès que les premiers cas ont été signalés au Danemark, le 11 mars, j’ai commencé à suivre ce dossier de près. Je savais, comme journaliste scientifique, qu’il ne faut pas s’emballer quand un effet secondaire inattendu d’un vaccin apparaît : on doit d’abord laisser aux chercheurs le temps de vérifier s’il y a vraiment un lien de cause à effet, puis estimer la probabilité qu’un tel événement survienne et son degré de gravité.
L’enjeu de la vaccination contre la COVID est tellement important que toutes ces étapes de vérification sont allées très vite, et le verdict est tombé assez rapidement. La possibilité qu’une personne ayant reçu le vaccin d’AstraZeneca soit atteinte d’une forme particulière de thrombose est d’environ 1 sur 100 000. Et il y a un risque, qu’on ne peut pas calculer encore, que cette thrombose tue, même si elle a été parfaitement prise en charge. On sait traiter cette complication à laquelle la grande majorité des personnes touchées survivent. Par contre, on ne sait pas la prévenir et on ignore si certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres d’en souffrir.
J’étais au courant de tout cela en allant me faire vacciner, mais ça ne m’a pas fait hésiter. Ce vaccin est très efficace. La COVID rôde autour de moi et il m’aurait fallu attendre encore plusieurs semaines avant d’en recevoir un autre, qui n’aurait pas forcément été meilleur pour moi. Je me suis sentie extrêmement privilégiée de pouvoir me le faire injecter, alors que l’immense majorité de la population terrestre n’a pas ce choix. En l’acceptant, j’ai aussi eu le sentiment de contribuer à l’immunité collective, sans laquelle bien des gens ne pourront jamais être complètement protégés contre la COVID.
J’ai supporté sans broncher les 24 heures de nausées que j’ai eues comme effet indésirable, qui ne m’ont pas inquiétée une seconde. Mais la peur de la thrombose, elle, ne s’est pas évanouie comme par miracle. Je n’ai pourtant jamais craint cette complication, alors que pendant plusieurs années, j’ai cumulé trois importants facteurs de risque de thrombose : prendre des anovulants, fumer et voyager en avion en classe touriste. Mais entendre parler à répétition de ce risque que pose le vaccin a bien malgré moi fait émerger cette peur.
Cette semaine, l’annonce du décès de Francine Boyer, une femme décrite comme en pleine forme, et pas beaucoup plus âgée que moi, m’a secouée, comme bien des Québécois. Mon anxiété est montée d’un cran, comme si mon inconscient réalisait d’un coup qu’il y a des gens derrière les statistiques. Je ne le sais pourtant que trop bien. En février, j’avais poussé un énorme soupir de soulagement quand mon père avait reçu sa première dose d’un vaccin contre la COVID. Sauf que le lendemain, avant que ce dernier fasse effet, il a contracté le virus. Il en est décédé 10 jours plus tard, sans autre facteur de risque que ses 78 ans. Rien de tout cela n’ébranle ma confiance dans les vaccins contre la COVID.
Quand on met un visage sur les statistiques, qu’on pense à la vie perdue, ça fait mal et ça fait peur, même si on sait qu’il est beaucoup plus risqué de ne pas se faire vacciner. Au Québec, 265 personnes de moins de 60 ans sont mortes de la COVID et près de 6 000 ont été hospitalisées, dont quelque 1 300 aux soins intensifs. Plusieurs étaient pourtant en pleine forme avant d’attraper le virus. Francine Boyer est la seule Canadienne ayant succombé à un vaccin depuis 2012, même si, avant la COVID, on a donné environ 23 millions de doses de vaccin par an au Canada.
Une probabilité de 1 sur 100 000 d’avoir cette complication, cela veut dire que 99,999 % des personnes qui ont reçu ou recevront le vaccin d’AstraZeneca n’auront pas de thrombose. C’est une loterie, comme l’a dit le député de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé, mais une loterie à laquelle on ne perd vraiment pas souvent.
Je pourrais vous donner mille exemples de loteries plus cruelles, comme le risque de mourir d’un accident d’auto, qui fauche 1 personne sur 6 000. Mais je sais que ces statistiques, comme celles sur le vaccin d’AstraZeneca, ne vous rassureraient pas vraiment. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », écrivait Blaise Pascal il y a plus de 300 ans. L’instinct se moque de la rationalité, et la peur est une sensation plus profondément inscrite dans notre cerveau que notre capacité à analyser froidement des statistiques. Et cette angoisse peut être très mauvaise conseillère.
Après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont engendré une peur terrible des détournements d’avion et du terrorisme, des chercheurs américains ont estimé que même si des terroristes détruisaient un avion par semaine aux États-Unis, la probabilité qu’une personne volant une fois par mois pendant un an meure au cours d’un détournement serait de 1 sur 135 000. Dans les mois suivant la tragédie, les Américains marqués par les attentats ont massivement boudé l’avion pour se déplacer plutôt en voiture, et ce changement de comportement a provoqué un surplus de 1 500 morts sur les routes. Autrement dit, la peur de l’avion a tué à elle seule presque la moitié du nombre de personnes ayant péri dans les tours du World Trade Center.
Refuser un vaccin qu’on nous propose, qui a d’énormes bénéfices par rapport aux dangers courus, c’est prendre le risque que la peur nous tue. L’accepter malgré ses craintes, c’est améliorer ses chances de survivre à cette pandémie, contribuer à l’effort collectif, et aussi avoir l’occasion d’éprouver l’immense satisfaction d’avoir réussi à se montrer plus fort que sa peur. J’ai 99,999 % de chances d’avoir une excellente occasion de fêter d’ici quelques jours, quand la période de risque de thrombose sera passée !
Vous avez déjà eu le vaccin d’AstraZeneca il y a moins de 20 jours ? Les psychologues connaissent bien les moyens de lutter contre les peurs et l’anxiété, et on peut mettre en pratique leurs conseils.
- S’informer correctement sur la menace, c’est-à-dire connaître les symptômes à surveiller : maux de tête graves ou/et persistants, convulsions, vision trouble, essoufflement, douleur à la poitrine, enflure et rougeur d’un membre, douleur abdominale persistante, membre froid ou pâle, présence de contusions (bleus) sur la peau, le tout survenant entre 4 et 20 jours après l’injection. Une fois que vous avez vu ça, plus besoin de vous renseigner à répétition sur le sujet.
- Éviter de trop s’autosurveiller. L’anxiété et le stress peuvent à eux seuls engendrer mal de tête, mal de ventre ou serrement de poitrine. Respirez, relaxez, essayez de vous changer les idées. En cas de doute, faites le 811 plutôt que d’aller directement aux urgences.
- Tout ce qui réduit le stress est indiqué. Marcher, courir, sortir dans la nature, regarder une série stupide à la télé (vous avez une excellente excuse, profitez-en !), savourer un bon repas, téléphoner à ses amis… Pour diminuer l’anxiété, vous pouvez suivre les conseils qui sont donnés pour limiter le stress dû à la pandémie, que vous pourrez lire ici.
Vous songez à annuler votre rendez-vous pour la deuxième dose de ce vaccin ? Très mauvaise idée. La deuxième injection est vraiment nécessaire pour être bien protégé. Vous avez déjà peur du risque de thrombose pour cette nouvelle dose ? Pas de panique ! D’ici à ce que vous la receviez, dans quelques mois, beaucoup de choses pourraient avoir changé. Il est possible qu’on décide de vous donner une dose d’un autre vaccin, parce que cette nouvelle combinaison sera plus efficace, ou qu’on ait trouvé un moyen de contrer ces thromboses, ou pas. Bref, ce n’est pas le temps de s’inquiéter de cela !
Vous ne voulez plus entendre parler de ce vaccin ? C’est votre droit. Mais sachez quand même que, rationnellement, cela ne se justifie pas, et qu’il y a bien plus de bonnes raisons de l’accepter que de le refuser.
Bonjour madame Borde,
J’ai l’âge pour avoir eu la chance de me faire vacciner avec AZ il y a maintenant près de 3 semaines. Je me considère pu me faire mettre ce vaccin dans le bras. Bon, je suis pas mal convaincu des bienfaits de la vaccination, je me fais vacciner depuis près de 25 ans contre la grippe. Vous mettez vraiment le doigt sur le problème de ceux qui ne veulent pas le vaccin, la peur. Très irrationnelle comme émotion, tellement que deux personnes peuvent réagir complètement différemment face au même phénomène.
Continuez d’écrire, je vais continuer de vous lire. Toujours intéressant.
Merci et bonne journée
J’ai beaucoup aimé votre analyse, bonne continuation.
Mes sympathies pour votre père, j’ai 78 ans, et je peux comprendre.
Bonne continuation.
Merci.
Pour les mêmes raisons mentionnées dans l’article, j’ai décidé recevoir le vaccin AZ le 20 avril dernier, ici en Alberta. Je croyais être en paix avec ma décision, mais au moment de prendre mon rendez-vous, j’ai paniqué. J’ai donc décidé d’aller à la clinique sans rendez-vous afin de m’assurer de ne pas changer d’idée. Après avoir reçu mon vaccin, il y avait un mélange d’émotions, un soulagement mais en même temps, la peur et l’hypervigilance se sont accaparées de mon côté émotionnel. J’ai donc parfois peur de m’endormir et de ne pas me réveiller au matin, ou de me retrouver à l’hôpital et qu’on ne réussisse pas à traiter une thrombose. Présentement je me sens un peu prisonnière, soit par la Covid, soit par la thrombose, risque que j’ai décidé de prendre. J’espère que le temps saura me confirmer avoir pris la bonne décision. Merci d’avoir abordé le sujet de la peur et de l’anxiété entourant le vaccin AZ « avant » de le recevoir mais aussi « après » l’avoir reçu. Dans mon entourage, les gens ayant reçu un vaccin ont eu la chance d’avoir celui de Pfizer ou de Moderna, alors ils ne comprennent pas entièrement la peur qui s’est installée en moi. J’aimerais terminer en disant que si c’était à refaire, je prendrais la même décision, car je persiste à croire que c’était la bonne.
En fait de peur c’est ce qui accompagne pratiquement toute la population depuis cette pandémie essentiellement appuyé par à peut près tous les média qui nous mettent en perfusion leurs analyses délétères.
Alors avoir peur d’une mort qui peut nous frapper à 0,001%par un vaccin qui est censé nous protéger du virus ou celle à 2% si on le contracte quelle est la différence? Dans le cas du vaccin on s’emplois à nous rassurer alors que dans le cas de la contraction du virus on accentue cette peur à outrance avec un discours qui donne le vaccins comme seul moyen de sortir de cette crise.
La différence est dans le fait que tout dépendant votre état de santé pré-COVID et de vos prédispositions (surplus de poids, diabète, sexe, âge), vous risquez de plus développer de complications et de vous retrouvez aux soins intensifs si vous attrapez la COVID. Surtout que maintenant votre 2% est probablement plus élevé, car le variant britannique qui est majoritaire au Québec, est réputé être plus transmissible et plus virulent avors vos «chances» augmentent de contracter la maladie.
Ce midi un médecin parlait à Radio-Canada pour dire que le risque de thrombose diminue énormément à la deuxième dose pas aussi risquée
SOYONS PROBABILISTES et NON «POSSIBILISTES»!
Merci de partager votre intégrité scientifique et votre peur très humaine. Il faut vivre avec les probabilités pas avec les possibilités. Mais cela est parfois difficile car la peur est irrationnelle.
Prenons un exemple moins tragique, les «ramasseux» compulsifs (syndrome de Diogène ou trouble d’accumulation compulsive) qui accumulent les objets inutiles. Une partie de ces «ramasseux» se disent : « J’en aurai besoin un jour ». Il sont motivés par la possibilité d’avoir besoin d’un objet et non par la probabilité. Cela serait vrai s’ils vivaient éternellement, mais ce n’est pas le cas. Il en est de même pour plusieurs phobies et les gros acheteurs de loterie.
Aussi, les effets secondaires à l’échelle de quelques cas par centaines de milliers ou millions sont impossibles à détecter même en phase 3 d’essai clinique menées sur quelques dizaines de milliers d’individus. Il y a toujours une possibilité même infime d’effets indésirables (principalement des réactions auto-immunes), et la science ne garantit pas le risque zéro. Mais la probabilité nous dit qu’à toute fin pratique, le risque est nul… Il faut toujours mettre dans la balance l’ordre de grandeur des bénéfices versus inconvénients.
Soyons probabilistes et non pas « possibilistes »!
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE
Chantal, je suis contente que votre commentaire ait été publié. Le mien, bien que bref poli, a été censuré, parce qu’il reprochait à l’article de se faire le porte-parole du gouvernement.
L’argumentaire développé est convaincant pour moi qui reçoit la deuxième dose demain du vaccin.
Merci infiniment pour votre que j’ bien apprécié.
Ahmed, du Maroc et qui a des attaches avec le Québec et le Canada ou j’ ai obtenu mon PhD et où j’ai enseigné depuis 2012
Merci Mme Borde pour cet article qui est en fait tombé à point.
Vacciné AZ depuis le 24 avril, j’étais en pleine recherche « Google » pour un léger mal de tête qui perdure et qui titillait ma petite anxiété que vous avez si bien décrite.
Suite à la lecture de votre article, relativiser est devenu soudainement plus facile. Merci.
Je vous offre mes condoléances pour votre père.
Moi aussi j’ai eu ce vaccin il y a 13 jours. Depuis ce temps j’ai eu plein de problèmes. Faible fatiguée, diarrhée, doleirs aux articulations enflures et une bosse rouge douloureuse qui brûle et pique qui ne part part même avec antibiotiques. Présentement mon md de famille ne sais pas ce qui se passe, elle ne sait pas quoi me donner et ou quoi faire. Elle me dit probablement une réaction allergique inflammatoire au vaccin. Je n’ai pas l’intention de prendre la 2e dose de ce vaccin. Je prendrai un autre sorte sans problème.