L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Quand on pense au vieillissement, surtout aux dernières années de vie, l’idée de la perte d’autonomie vient vite en tête. Bien qu’il y ait autant de façons de vieillir qu’il y a de personnes âgées, la prévalence de la perte d’autonomie augmente avec l’âge. Selon les données du dernier recensement du Canada, 28 % des aînés de 85 ans et plus vivent en milieux collectifs où sont offerts des soins et des services. Lorsqu’on questionne les personnes âgées, on constate que ce n’est pas tant l’âge en soi qui les inquiète, mais bien plus de se retrouver en perte d’autonomie et de devenir ainsi un fardeau pour leurs proches ou la société.
Petite confession avant d’aller plus loin : les gériatres abhorrent le terme « perte d’autonomie » ! Il y a au moins trois raisons pour cela. D’abord, c’est une expression trop générale qui sert souvent de fourre-tout. Ensuite, la perte d’autonomie n’est, en soi, que conséquence d’un problème ou d’une situation ; il faut en trouver la cause ou l’origine. Et, enfin, le terme dépeint l’autonomie comme quelque chose à perdre et la colore de noir, plutôt que de la présenter comme un état qui évolue. Examinons chacune de ces raisons pour y voir plus clair.
Qu’est-ce que la « perte d’autonomie » ?
L’autonomie peut se définir comme la capacité à être autonome, c’est-à-dire à ne pas dépendre d’autrui. Quand on pense à tous les petits gestes qu’une personne doit accomplir en une journée — ne serait-ce que le premier, sortir du lit ! —, on se rend vite compte qu’on peut dépendre d’autrui pour bien des choses simples, comme manger, ou plus complexes, comme s’occuper de ses finances.
Le vocable général de la perte d’autonomie masque souvent le degré de perte et les activités spécifiquement atteintes. Or, ne plus être capable de s’habiller n’est pas équivalent à nécessiter une assistance pour remplir sa déclaration de revenus.
Lorsque les professionnels de la santé cherchent à détailler la perte (ou la capacité) d’autonomie, ils utilisent des outils précis et standardisés qui évaluent ce qu’on appelle les activités de la vie quotidienne (AVQ) et les activités de la vie domestique (AVD). Les AVQ regroupent tout ce qui est essentiel à l’autonomie « de base » : prendre soin de son hygiène, s’habiller, s’alimenter, aller aux toilettes, faire ses transferts (du lit à la chaise, par exemple) et se déplacer dans sa demeure. Les AVD, elles, sont les activités plus complexes, nécessaires pour tenir domicile plus que quelques jours : s’occuper du ménage et de la lessive, faire ses courses, cuisiner, prendre ses médicaments, gérer ses finances, se déplacer (notamment en conduisant un véhicule) et communiquer.
L’autonomie est davantage un continuum qu’une catégorie unique. Plutôt que de dire qu’un proche ou un patient est en perte d’autonomie, il est préférable d’établir exactement quelles facettes de l’autonomie sont problématiques afin de mieux trouver l’origine de la situation et de mieux y faire face.
L’important, c’est de comprendre les causes
Reconnaître quels aspects de l’autonomie sont altérés n’est que la première étape d’une évaluation diagnostique plus large pour rechercher les causes du problème, qui sont fréquemment multiples et interreliées. On peut regrouper les facteurs possibles en quatre grandes catégories : une nouvelle maladie médicale aiguë ou son exacerbation, un trouble cognitif (démence), une atteinte de la mobilité ou encore une atteinte des domaines affectifs et du soutien social. La vitesse d’apparition et de progression de la perte d’autonomie est souvent révélatrice. Par exemple, un nouvel accident vasculaire cérébral (AVC) ou une fracture à la suite d’une chute provoquera rapidement une détérioration de l’« autonomie », alors que les conséquences d’une dépression ou d’une maladie d’Alzheimer s’installeront sur plusieurs mois ou plusieurs années.
L’évaluation pour « perte d’autonomie » met habituellement en branle une équipe interdisciplinaire afin que chaque catégorie soit étudiée. Le médecin examinera les affectations médicales ; le physiothérapeute se concentrera sur le système locomoteur ; l’ergothérapeute détaillera l’accomplissement de chaque AVQ et AVD ; la travailleuse sociale rendra compte de l’humeur et, surtout, du réseau de soutien autour de la personne. La plupart du temps, chacun de ces domaines contribuera à expliquer le déclin de l’autonomie. Avec le vieillissement, il est rare qu’il n’y ait qu’une cause unique.
Le cas fictif qui suit illustre bien ce qui peut se passer : une personne âgée ayant un trouble cognitif léger et de l’arthrose contracte une infection, comme une pneumonie. Or, son conjoint, décédé récemment, la soutenait lors de ses oublis occasionnels et l’aidait à se mouvoir. Chacun des éléments pris isolément est déjà suffisant pour entraîner une perte d’autonomie, mais c’est presque toujours en combinaison qu’ils se manifestent et mènent à un déclin plus important. La gériatrie est ainsi toujours un travail d’équipe !
Faire face à la perte d’autonomie
La dernière raison pour laquelle les gériatres n’aiment pas l’expression « perte d’autonomie » est sa connotation défaitiste. S’il ne faut pas voir tout en rose et prétendre que toute perte d’autonomie est évitable ou réversible, il ne faut pas non plus voir tout en noir et s’imaginer que perte d’autonomie équivaut à institutionnalisation en CHSLD.
D’abord, certaines causes de perte d’autonomie sont réversibles. On peut par exemple récupérer à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’une fracture. Ensuite, même si un déclin de l’autonomie est permanent, le modèle d’incapacité de l’Organisation mondiale de la santé propose une vision plus large. Plutôt que de considérer que l’autonomie (et la capacité à réaliser ses activités) est individuelle, le modèle suppose que, en plus de découler de la maladie, les limitations aux activités et à la participation à la société sont aussi liées aux facteurs environnementaux et personnels. En d’autres mots, même si la capacité intrinsèque d’une personne est réduite, les conséquences concrètes de cette réduction varieront selon l’accompagnement et le soutien mis en place.
Un bon exemple est celui des soins à domicile. Un aîné atteint d’une maladie d’Alzheimer qui complique la prise de médicaments ou la préparation des repas peut être assisté et rester chez lui. Un autre éprouvant des troubles de mobilité peut bénéficier de physiothérapie ou des visites d’un auxiliaire familial pour les routines du matin et du coucher. Avec le vieillissement de la population, les besoins en soutien à l’autonomie seront grandissants. À ce chapitre, ni la perte d’autonomie ni les CHSLD ne devraient être le fin mot de l’histoire.
Un mot sur la prévention
Un petit mot sur la prévention pour finir. Nous connaissons tous les gestes qui font partie des saines habitudes de vie : bien s’alimenter, faire de l’activité physique, ne pas fumer et enrichir ses contacts sociaux. Mais rappelons-nous que les adopter ne retardera pas que l’apparition des maladies cardiovasculaires et cognitives. Ces gestes diminueront aussi le début et la progression de la perte d’autonomie. Le moment idéal pour les mettre en pratique est à l’âge moyen, avant le grand âge. L’adage dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir, et le déclin de l’autonomie ne fait pas exception !
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La perte de ma qualité de vie est la seule chose au monde qui me fait peur.
Vous avez oublié la rareté des soins à domicile.Le clsc n’est pas disponible pour une personne de92 ans, hospitalisée à 2 reprises avec la promesse de la part de l’infirmière pivot de recevoir le soutien du dit clsc, personne! Ses soins sont à la carte.
Félicitations pour présenter l’image graphique d’une personne âgée de bonne prestance et non une petite maigre frêle tenant à peine sur ses jambes…
Avec le système de santé dont nous avons « hérité » des nombreux gouvernements qui l’ont négligé, dépecé et démoli avec les trop nombreuses réformes (ou « déformes ») qu’ils ont mises en place, les citoyens ont pas mal tous fini par être envahis par la peur de se retrouver un jour vieux, diminués et littéralement emprisonnés dans cette machine devenue de plus en plus inhumaine par sa complexité kafkaïenne et dont les fautes graves ne se comptent plus.
Comment envisager la vieillesse avec optimisme si notre santé vient à faillir et qu’au contact de ce monstre, on risque fort de subir des préjudices trop souvent inqualifiables et injustifiables? Si on a les gouvernements qu’on mérite, à ce niveau là ça fait longtemps qu’on ne mérite pas grand chose!!! À quand plus d’humanité et moins de poussage de crayon et de politicailleries ???