La découverte récente dans l’atmosphère de Vénus, la plus proche voisine de la Terre (avec Mars), d’une molécule potentiellement liée à la présence de vie relance les conjectures sur la possibilité de trouver une forme de vie extraterrestre dans notre système solaire. Alors que la NASA et l’Europe sont engagées dans l’une des quêtes les plus ambitieuses de l’exploration spatiale — à savoir le retour d’ici la fin de la décennie d’échantillons martiens soupçonnés de contenir des traces fossiles de micro-organismes —, Vénus nous rappelle que Mars n’est pas la seule planète où l’homme peut nourrir l’espoir de découvrir une trace de vie présente ou passée.
Des scientifiques gallois et américains ont annoncé le 14 septembre avoir détecté sur Vénus un composé gazeux, la phosphine (PH3), qui est produite industriellement sur Terre et est couramment employée dans la composition de pesticides. La présence d’une telle molécule toxique pour la majorité des êtres terrestres aurait, sur Vénus ou sur Mars, une autre connotation : aucun mécanisme connu à ce jour ne permettrait d’expliquer la présence de phosphine — chimiquement instable dans un environnement gazeux où l’oxygène est présent — sans invoquer la production continue de ce gaz par une activité biologique.
Une planète à l’environnement extrême
Pourtant, Vénus est connue des scientifiques comme ayant l’un des environnements les plus hostiles à l’émergence ou au maintien d’une forme de vie. Vivre sur Vénus, c’est devoir affronter des températures extrêmes (plus de 450 °C près de la surface), mais aussi la présence d’acide sulfurique en grande quantité. D’ailleurs, ce même acide compose les épaisses couches de nuages qui recouvrent l’intégralité du globe vénusien et qui font de Vénus l’objet céleste le plus brillant après le Soleil et la Lune — la culture populaire l’a affublée du nom d’« étoile du berger ». Outre le fait que ces nuages réfléchissent la lumière du Soleil, expliquant pourquoi Vénus nous apparaît si brillante, leur épaisseur rend impossible l’observation de sa surface dans la lumière visible. Vénus est donc un corps qui sait se faire désirer des astronomes tant il semble receler des énigmes (associées à son atmosphère près du sol) que seules des techniques d’observation très pointues sont capables de résoudre.
Il reste cependant un endroit sur Vénus où certains scientifiques ont théorisé que la vie pourrait subsister : ce sont justement les nuages. Aux altitudes où ceux-ci se forment, les conditions de température et de pression ne sont pas très différentes de ce que l’on connaît sur Terre. Le célèbre planétologue Carl Sagan, animateur de la très populaire série télévisée Cosmos au début des années 1980, a émis, dans un article écrit en 1967 pour la prestigieuse revue Nature, l’hypothèse que les nuages vénusiens pourraient fournir une « niche habitable » à la vie. Cette théorie, qui aurait pu sembler farfelue, a cependant été reprise depuis par plusieurs scientifiques, qui ont tour à tour conçu des scénarios pour expliquer comment la vie a pu émerger sur Vénus, puis se maintenir grâce aux nuages à mesure que la planète devenait la fournaise infernale que l’on connaît aujourd’hui. La découverte de phosphine rapportée récemment s’inscrit donc dans cette théorie et semblerait donner une preuve tangible de la présence de micro-organismes flottant au sein des nuages vénusiens et pouvant trouver l’énergie et les nutriments nécessaires à leur survie.
Qu’a-t-on détecté exactement ?
L’histoire de cette découverte est intéressante à plus d’un titre. La technique employée pour détecter la phosphine se base sur un concept bien connu des radioastronomes : le sondage des micro-ondes émises par Vénus. Ces émissions thermiques, qui émanent de la surface et des couches profondes de la planète, traversent son atmosphère et celle de la Terre pour arriver jusqu’à nous. Ici, deux radiotélescopes (le télescope James Clerk Maxwell, à Hawaï, et le vaste réseau d’antennes millimétriques de l’Atacama, dans le désert chilien du même nom) pointés vers Vénus à deux années d’intervalle ont capté le rayonnement micro-ondes vénusien dont la signature de la phosphine semble émerger. En effet, en traversant l’atmosphère de Vénus, le rayonnement est partiellement absorbé à des fréquences particulières où se signalent différents composés gazeux, comme le monoxyde de carbone et le dioxyde de souffre, tous deux très présents dans l’atmosphère de la planète. Ce type de technique permet de sonder régulièrement la haute atmosphère de Vénus et de caractériser sa température ou sa concentration en composés gazeux contenant du soufre.
La signature de la phosphine telle que rapportée par la chercheuse Jane Greaves et ses collègues prend la forme d’une petite diminution de signal à une certaine fréquence. Malgré la ténuité de cette signature, les auteurs de l’étude affirment que celle-ci ne peut être causée que par des molécules de phosphine à raison de 20 molécules par milliard de molécules d’air vénusien (majoritairement du dioxyde de carbone), ce qui constitue une sacrée prouesse technique. Le fait que deux télescopes s’accordent sur la présence de cette signature est un point fort de l’argumentaire. Cependant, cela n’a pas forcément convaincu certains experts de cette technique d’observation, surpris que l’on puisse distinguer une si faible absorption au milieu d’un signal beaucoup plus intense.
De la vie, vraiment ?
Chercher des preuves de vie en considérant la composition d’une atmosphère n’est pas une entreprise complètement folle. Les scientifiques Hitchcock et Lovelock écrivaient au sujet de la recherche de la vie sur Mars, en 1967 :
« Toute forme de vie qui interagit avec son atmosphère conduira cette atmosphère à un état de déséquilibre qui, s’il est reconnu, constituera également une preuve directe de la vie, à condition que l’ampleur du déséquilibre soit sensiblement plus importante que ce que les processus non biologiques permettraient. Il est démontré que l’existence de la vie sur Terre peut être déduite de la connaissance des composants majeurs et des traces de l’atmosphère, même en l’absence de toute connaissance de la nature ou de l’étendue des formes de vie dominantes. La connaissance de la composition de l’atmosphère martienne peut également révéler la présence de la vie dans cette atmosphère. »
Ce déséquilibre est celui sur lequel les auteurs se basent pour arguer de la possible présence de vie dans les nuages vénusiens. La phosphine, décrivent-ils dans un article non encore paru dans la revue Astrobiology, ne peut être présente en quantités détectables sans intervention du vivant. Ce postulat est le fondement établi par les coauteurs de la découverte de la phosphine vénusienne : puisque l’on ne connaît aucun moyen, pour des atmosphères de type terrestre (comme celles de Mars ou de Vénus), de préserver la phosphine, cette dernière ne peut que fournir un témoignage direct de la présence du vivant. Ce raisonnement touche autant les planètes terrestres du système solaire que les astres du même type orbitant autour d’autres étoiles, les exoplanètes, pour lesquelles la recherche de biosignatures imprimées dans l’atmosphère constitue un axe de recherche majeur.

Cependant, alors que tous les arguments semblent réunis pour conclure à la présence de vie, conduisant l’administrateur de la NASA, Jim Bridenstine, à faire de Vénus l’une des nouvelles priorités de l’exploration, certains éléments de cette découverte interpellent les experts. Comme il a été indiqué précédemment, la détection elle-même ne semble pas avoir convaincu tous les scientifiques, et un scénario bien connu sur Mars semble se profiler : celui du méthane. Ce gaz a été recherché dans l’atmosphère martienne durant des décennies comme preuve éventuelle d’une activité présente ou passée liée au vivant. L’histoire de cette quête est parsemée d’annonces controversées de sa détection, et cette dernière demeure un mystère que la communauté scientifique tente de résoudre à grand renfort d’instruments d’analyse très puissants.
Il est surprenant de constater que l’affirmation selon laquelle la phosphine constitue l’une des biosignatures les plus fiables émane de ceux qui l’ont identifiée en premier sur une planète où cette hypothèse est recevable. Par ailleurs, il n’est pas courant de pouvoir présenter au grand public une hypothèse — comme la probable fabrication de la phosphine dans les gouttelettes de nuages par des micro-organismes en lévitation — sur la base d’un article n’ayant pas encore reçu l’aval des pairs. En science, des chercheurs extérieurs à l’étude sont systématiquement sollicités par les éditeurs de revues scientifiques pour critiquer et valider le contenu d’un article et permettre in fine sa publication.
Enfin, la communication ambiguë à laquelle s’est livrée cette équipe lors d’une conférence de presse où la prudence a été de mise, communication insistant sur l’idée que cette découverte ne pouvait à elle seule constituer une preuve solide de vie, laisse songeur. C’est en effet une rhétorique bien étrange que d’exclure tout mécanisme ne reposant pas sur le vivant tout en indiquant que cette détection n’est pas en soi une preuve de la présence de ce dernier. Un tel flou profite toujours à l’hypothèse la plus séduisante, et il n’est pas étonnant que les médias se soient emparés de cette annonce en présentant surtout l’éventualité sibylline d’une preuve de vie. C’est une mécanique bien huilée où tous les éléments de la découverte — de l’observation à l’interprétation, puis à la communication au grand public — ne semblent rien devoir au hasard. Hasard qui constitue souvent une part substantielle de la découverte scientifique.
La bonne nouvelle pour Vénus, c’est que les yeux se tournent à nouveau vers elle : des projets pour son exploration se préparent. La question de la présence avérée de phosphine dans les nuages vénusiens devrait pouvoir être élucidée dans les années à venir.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.
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