Les harceleurs et agresseurs présumés qui sont tombés de leur piédestal dans la foulée du mouvement #moiaussi sont, pour la plupart, des personnalités artistiques ou médiatiques très en vue. Ça porte à réfléchir. Par leurs productions culturelles, ces gens-là ont contribué à définir ce qu’on trouve drôle, cool ou acceptable dans notre société. Ils ont aidé à forger notre rapport au monde, créé les héros auxquels on s’identifie.
Si plus de femmes occupaient des postes clés dans ces industries, peut-être que les Weinstein et Rozon de la planète ne séviraient pas si longtemps en toute impunité. Mais c’est aussi notre imaginaire collectif qui s’en trouverait radicalement transformé.
Quand les femmes prennent place derrière la caméra, elles communiquent une vision du monde nettement plus égalitaire et moins stéréotypée que celle que leurs confrères mettent à l’écran.
C’est ce qui ressort des plus récentes analyses de la télévision et du cinéma américains. Lorsqu’au moins une femme figure parmi les créateurs d’une télésérie ou parmi les scénaristes d’un film hollywoodien, la proportion de rôles attribués à des femmes augmente.
Au Québec aussi, les femmes cinéastes créent des distributions plus équilibrées. La sociologue Anna Lupien l’a montré en 2013 dans une étude menée pour l’organisme Réalisatrices équitables. Son équipe a regardé 40 films québécois présentés en salle en 2010 et 2011, dont 28 réalisés par des hommes et 12 par des femmes. Les réalisatrices accordent aux femmes 62 % des premiers rôles et la moitié des rôles parlants. De leur côté, les réalisateurs confient à des hommes 72 % des premiers rôles et 63 % des rôles parlants.
Quand les femmes prennent place derrière la caméra, elles communiquent une vision du monde nettement plus égalitaire et moins stéréotypée que celle que leurs confrères mettent à l’écran.
Mais les créatrices québécoises ne mettent pas seulement en scène un plus grand nombre de femmes. C’est aussi la nature des rôles offerts aux actrices qui change.
Les cinéastes masculins ont tendance à se rabattre davantage sur des clichés. Leurs personnages de femmes sont plus souvent minces, jeunes et belles, et plus souvent nues : les réalisateurs montrent la nudité féminine, en dehors des scènes de sexualité, trois fois plus souvent que les réalisatrices, selon l’analyse d’Anna Lupien. Les hommes cinéastes sont également plus enclins à « sexyfier » les actrices. Vêtements moulants, cadrages serrés sur certaines parties du corps, personnages montrant des signes évidents de disponibilité sexuelle : les réalisateurs appliquent ces procédés à leurs vedettes féminines cinq fois plus souvent que les femmes cinéastes.
Dans les films québécois réalisés par des hommes, les femmes sont aussi davantage cantonnées dans des emplois féminins traditionnels. Presque un personnage féminin sur cinq est secrétaire, serveuse ou caissière. Une femme sur sept est enseignante ou bibliothécaire. Et presque une sur dix gagne sa vie comme prostituée, danseuse nue ou masseuse érotique. En fait, dans ces œuvres, un personnage féminin a à peu près autant de chances d’être travailleuse du sexe que de bosser dans le monde des affaires ou de l’immobilier.
Que ce soit au grand ou au petit écran, les hommes obtiennent toujours l’écrasante majorité des tribunes. (En long métrage de fiction, la SODEC accorde plus de 85 % de son enveloppe budgétaire à des films réalisés par des hommes, selon Réalisatrices équitables.) Ainsi, ce sont eux qui, au premier chef, ont le loisir de raconter le monde tel qu’ils le perçoivent ou le fantasment. Et dans ce monde-là, les femmes sont plus souvent muettes, subalternes et sexualisées.
De nouvelles règles de financement viendront sous peu corriger ce déséquilibre. L’Office national du film s’engage à ce que, d’ici 2019, la moitié de ses productions soient réalisées par des femmes et que la moitié de ses budgets leur soient alloués. Téléfilm Canada veut atteindre, d’ici 2020, la parité hommes-femmes dans les postes de réalisateur, de scénariste et de producteur de longs métrages. La SODEC a lancé cette année un plan d’action afin que se concrétise, d’ici 2020, la parité des genres dans le milieu cinématographique québécois.
On sait d’ailleurs que le public est friand d’histoires féminines. Ces dernières années, les héroïnes ont attiré les foules au cinéma encore plus que les héros. En 2015, selon l’Institut d’étude du genre dans les médias Geena Davis, les films ayant des femmes en tête d’affiche ont recueilli, en moyenne, 16 % de plus au box-office que les films ayant des protagonistes masculins. Les films les plus courus d’entre tous ? Ceux qui ont récolté cette année-là 24 % plus de revenus que les films « de filles » ou « de gars » ? Ce sont ceux qui ont mis en vedette, côte à côte, des personnages des deux sexes.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de janvier 2018 de L’actualité.
Ce me semble qu’un certain nombre de films scénarisés et mis en scène par Kathryn Bigelow sont assez riches en testostérone également. Excellente réalisatrice soit dit en passant.
Pour un cinéphile comme moi (qui a vu beaucoup de films de partout dans le monde et de toutes époques), je trouve que le cinéma a aussi donné aux femmes d’excellents rôles, des premiers rôles exceptionnels qui marquent l’inconscient, ce quand bien même le réalisateur ou le scénariste ait été masculin.
Un des magnifiques rôles donné à une actrice (pour ne prendre qu’un seul exemple) c’est celui de Frances McDormand dans Fargo (un film des frères Coen). Un film beau, poétique, tout particulièrement inspirant.
En ce qui me concerne, j’établis une différence entre les films de répertoire et cette branche du film et de la télévision qui œuvre essentiellement dans le divertissement. Ce sont aussi aux acteurs et aux actrices de choisir les rôles et les genres dans lesquels ils ou elles veulent figurer dans le répertoire.
Un acteur ou une actrice devraient savoir dire « non » plus souvent. Et puisque ce sont des icônes, cela aurait un impact beaucoup positif sur les gens.
J’aimerais dire un mot sur un film : « La Vie d’Adèle : Chapitres 1 et 2 » du réalisateur Abdellatif Kechiche. Un film qui s’est vu décerner des dizaines de prix, incluant la Palme d’Or du Festival de Cannes. Dans un tel film, ce sont les filles qui ont un rôle prépondérant. Ce film n’est pourtant rien de plus qu’un « soft porno » ; la question est de savoir si ce qui intéressait le public en masse et la critique en masse c’était vraiment le caractère sociologique et émouvant du film ou ses scènes émoustillantes filmées sur le plateau en toute crudité dans un climat orgiaque ?
Étonnant d’ailleurs que des actrices telles Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos ne se soient justement pas plaintes d’avoir été agressées sexuellement lorsqu’un tel film les force à abandonner devant le réalisateur, les producteurs et des techniciens, toute forme de pudeur et de retenue qui normalement devrait convenir à une personne équilibrée mentalement et sexuellement.
Il faudrait se rappeler aussi de l’actrice Maria Schneider qui encore jeune actrice inexpérimentée, s’est trouvée avoir été agressée sexuellement lors du tournage du « Dernier Tango à Paris » (1972) — un film devenu culte -, alors qu’on lui avait caché certains aspects du scénario, elle s’en est plaint par la suite, a vécu des chocs post-traumatiques toute sa vie à cause de cela et pourtant… personne n’a produit d’excuses et l’industrie cinématographique a poursuivi comme si de rien n’était. Pourtant c’était bien avant les plaintes contre Harvey Weinstein. Lorsque ce qui intéresse au plus haut point les gens, c’est de s’emparer de places devenues disponibles dans la profession.
Ce sont plutôt les consommateurs et les consommatrices qui devraient finalement changer toutes leurs mauvaises habitudes de consommation et non les organismes publics à imposer quelques quotas au niveau de la production. Autant dire qu’on cherche essentiellement à se donner « bonne conscience » plutôt que de modifier par notre comportement tous ces mauvais travers qui sont propres à tout le genre humain.
Vous êtes quand même pas en train de nous dire que la scène du beurre était réelle?
@ jack2
Je ne dis rien….
C’est Maria Schneider quelques années plus tard – qui à l’époque était encore mineure -, qui dénonçait cette scène ajoutée, dont elle n’avait pas été avisée lors de la lecture du scénario, scène que par sa brutalité elle assimilait à un viol.
Presque 40 ans plus tard, en 2011 après le décès prématuré de Maria Schneider, le réalisateur Bernardo Bertolucci – bien que l’acte ait été supposément simulé -, exprimera des regrets et déplorera de ne pas s’être excusé auprès de l’actrice de son vivant.
Techniquement, il aurait pu s’excuser au moins 30 ans plus tôt et peut-être cela aurait contribué à changer pour le mieux le cours de la vie de l’actrice qui a souffert de diverses problématiques toute son existence.
Bien que je n’aie pas connu personnellement Maria Schneider, il se trouve que pendant un certain nombre d’années nous avons habité le même quartier à Paris (près de la Place Denfert-Rochereau), j’ai pu constater notamment dans un café où j’allais et qu’elle fréquentait… qu’elle n’allait jamais vraiment bien.
C’était peut-être une autre époque et d’autres moeurs plus libres. Il n’en reste pas moins qu’on ne devrait pas forcer une jeune fille de moins de 18 ans à jouer des scènes (sans son consentement) qui soient aussi violentes et graphiques sexuellement. Notons également pour mémoire qu’à cette époque la majorité était alors 21 ans.
Rappelons encore pour mémoire qu’au début des années 70, une jeune fille (ou un garçon de moins de 21 ans) n’avait pas le droit de vote, mais pouvait techniquement se faire agresser sexuellement de toutes les façons dès l’âge de 14 ans ce sans le moindre consentement évident.