Aide médicale à mourir: le Québec de nouveau au front

Le débat qui s’amorce pourrait de nouveau ouvrir la voie au reste du pays. Deux enjeux requièrent une attention: le consentement préalable pour les personnes atteintes de troubles majeurs de démence, ainsi que la notion de «fin de vie» pour avoir droit à l’aide médicale à mourir.

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Il était inévitable que le débat sur l’aide médicale à mourir reprenne là où les députés à Québec s’étaient arrêtés il y a bientôt trois ans. En mai dernier, les élus fédéraux et les sénateurs qui étudiaient des modifications au Code criminel afin de permettre l’aide médicale à mourir avaient donné un aperçu du dilemme moral et juridique qui allait ressurgir tôt ou tard.

L’histoire de Michel Cadotte, un montréalais de 55 ans qui a tué sa femme atteinte d’Alzheimer, possiblement par compassion, a relancé le débat sur les limites de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui encadre l’aide médicale à mourir au Québec. Les députés de l’Assemblée nationale pourraient se diriger tranquillement vers une commission parlementaire pour revoir certains paramètres de cette loi.

Le témoignage poignant du député caquiste François Bonnardel sur sa mère souffrant d’Alzheimer démontre que les élus sont touchés directement par le débat qui s’enclenche. Ce cas et celui de la femme de Michel Cadotte ne font que rendre plus concret une situation que vivent déjà des dizaines de milliers de Québécois.

Dans la province, il y aurait près de 125 000 personnes atteintes d’Alzheimer ou d’une maladie cognitive apparentée, selon La Société Alzheimer de Québec. Au Canada, près de 740 000 personnes seraient touchées. Et 72 % sont des femmes. Évidemment, ils ne sont pas tous dans une phase avancée de la maladie, et la recherche se poursuit pour freiner les effets.

Ces dizaines de milliers d’âmes se posent des questions sur leur avenir, qu’ils entrevoient avec angoisse. Lorsque le cerveau sera trop détraqué pour reconnaître leurs enfants, trop magané pour manger seul et profiter du temps qui passe, quelle sera leur qualité de vie? Et quel sera le fardeau pour les êtres qu’ils aiment? Ils se demandent s’ils peuvent tracer eux-mêmes la ligne pour le moment où ils devront malheureusement la franchir.

Si le débat politique ne prend pas les devants, un jour ou l’autre, quelqu’un va se décider à amener sa souffrance ou celle d’un proche devant les tribunaux pour tenter d’abattre les restrictions de la loi actuelle.

Les parlementaires devraient donc s’y attarder maintenant, alors que la réflexion peut encore se dérouler sereinement, plutôt que d’attendre d’être pressé par un jugement.

Le débat qui s’amorcera au Québec pourrait de nouveau ouvrir la voie au reste du pays. Le Québec sera encore une fois au front. Et c’est bien ainsi. Sur ce sujet délicat, les élus de l’Assemblée nationale ont démontré leur capacité à s’ériger en modèle pour les politiciens du reste du pays, souvent frileux ou mal à l’aise avec ce débat émotif, et qui préfèrent être à la remorque de la justice.

Deux enjeux devraient être étudiés: le consentement préalable pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles majeurs de démence, ainsi que la notion de «fin de vie» pour avoir droit à l’aide médicale à mourir.

Deux éléments qui n’ont rien de simple. Cela touche aux valeurs profondes des individus. Ces questions avaient profondément divisé les députés et les sénateurs le printemps dernier, à Ottawa, où ils étaient sous pression en raison du jugement Carter de la Cour suprême. Faute de consensus — et en raison d’une volonté du gouvernement Trudeau d’avancer prudemment — les parlementaires ont laissé les deux enjeux en suspens. Québec en avait fait autant en adoptant sa loi, en 2014.

Le consentement préalable

À l’heure actuelle, une personne qui demande l’aide médicale à mourir doit être apte et consentante, et suivre plusieurs étapes où elle reconfirme son choix. Un chemin impossible à suivre pour quelqu’un qui souffre d’Alzheimer ou de démence avancée. Doit-on permettre un consentement préalable dans lequel la personne qui se sait atteinte d’une maladie cognitive irréversible consigne son souhait d’en finir à un certain moment?

Sur ce volet, les élus ne commencent pas leur réflexion avec une page blanche. La commission parlementaire «Mourir dans la dignité» avait recommandé cette possibilité en 2012, mais la disposition n’a pas été incluse dans la loi. En 2013, un groupe de travail dirigé par le Collège des médecins allait dans le même sens, et suggérait des balises. «Tant et aussi longtemps qu’une personne est apte à consentir aux soins, elle doit pouvoir rédiger des directives anticipées, dont une demande d’aide médicale à mourir», peut-on lire dans le rapport.

Le Collège des médecins précisait que toutes les autres conditions imposées par la loi devaient être réunies avant de procéder. La personne doit être atteinte d’une «maladie grave et incurable», caractérisée par «un déclin avancé et irréversible de ses capacités», éprouvant des «souffrances constantes et intolérables». Cette personne doit aussi être «en fin de vie».

Ce sera aux élus, avec l’aide d’experts médicaux et juridiques, de s’assurer que rien ne dépasse, afin d’éviter les dérives. Il est d’ailleurs certainement possible d’apprendre des expériences de la Belgique et des Pays-Bas, les deux seuls pays qui permettent le consentement préalable pour l’aide médicale à mourir.

La notion de fin de vie

Tant qu’à ouvrir la réflexion, autant aller au-devant des coups et revoir la fameuse notion de «fin de vie», même si les élus qui poussent pour une nouvelle analyse de la loi n’ont pas abordé publiquement ce volet. Cette notion pose déjà problème.

Si la maladie est grave, incurable, irréversible et impose des souffrances constantes impossibles à apaiser, pourquoi faut-il attendre que la personne soit en fin de vie, à quelques semaines de la mort, si elle demande de manière éclairée de tout arrêter plus tôt?

Le jugement Carter de la Cour suprême, qui invalidait l’article 241 du Code criminel qui interdit l’aide au suicide, n’imposait d’ailleurs aucune limite de temps et ne faisait pas mention d’une quelconque «fin de vie». Il ne parlait que de «problèmes de santé graves et irrémédiables» causant «des souffrances persistantes» et «intolérables». Des mots très semblables à la loi québécoise, qui semble avoir servi d’exemple aux magistrats du plus haut tribunal… sauf en ce qui a trait à la notion de fin de vie, absente du jugement.

Le gouvernement Trudeau a tenté, avec son projet de loi fédéral C-14 qui modifiait le Code criminel pour tenter de se conformer au jugement, de trouver un compromis entre les restrictions de la loi québécoise et la grande ouverture des juges sur le moment où le patient pourrait se prévaloir de l’aide à mourir. Ottawa a donc introduit la notion de «mort naturelle raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de la situation médicale».

De fait, le jugement de la Cour suprême et la définition de la loi fédérale sont maintenant plus permissifs que la loi québécoise. Les termes «fin de vie» sont plus limitatifs que «mort naturelle raisonnablement prévisible», qui ajoutent volontairement un flou sur la durée de la maladie avant le décès du patient. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, avait d’ailleurs déploré ce flou à l’époque, sachant qu’il entrerait probablement en contradiction avec la loi québécoise.

Il est donc prévisible que tôt ou tard, la loi fédérale ou le jugement de la Cour suprême soient utilisés par un malade pour contester la loi québécoise. Autant y réfléchir et l’ajuster.

Québec épargnerait du temps et des procédures judiciaires, et tout le monde gagnerait en humanité.


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Malheureusement ou heureusement, les lois sont faites pour être contournées, ça dépend de quel côté on est concerné. Il fallait s’attendre que la loi sur l’aide médicale à mourir soit un jour ou l’autre spongieuse au point de devenir une passoire, tout comme le fut la loi sur l’avortement d’il y a trente ans, alors que cette loi était supposée être un moyen de dernier recours pour les femmes ne désirant pas devenir enceinte, pour quelque raison que ce soit. Aujourd’hui, cette loi est devenue non plus un recours ultime, mais est devenu un simple moyen de contraception comme la pilule et le condom. Il y a bon an mal an environ 25000 avortements au Québec chaque année… ce ne sont certainement pas tous des cas de viol ou de non consentement tout de même. Alors, prenons garde que la loi sur l’aide à mourir ne devienne avec le temps un moyen comme un autre pour les gouvernements de limiter les frais, de faire de la place dans nos institutions, ou toute autre raison prétendument « sensée » qu’on trouvera avec bien des artifices et des contournements tout aussi tordus que nos tribunaux réussissent à nous faire avaler.

Merci pour ce texte!
On a besoin que ce sujet évolue vers des décisions préalables. Au début, on nommait surtout ce projet « Mourir dans la dignité » et il faudrait qu’on retienne ce mot. Il n’y a rien de digne dans une personne atteinte d’Alzheimer en phase avancée et on sait pertinemment que la personne malade n’aurait pas souhaité son sort, enfermée dans son corps et surtout dépendant entièrement des autres pour alimenter ce corps qui se maintient en vie malgré elle. Sans conscience aucune de ce qui se passe, comment peut-on même juger ou refuser à ces être sans défense le respect de leur choix et les maintenir dans cette déchéance? Si quelqu’un a transmis le désir par ses dernières volontés, de manière claire. Pourquoi le contester? Mon père est maintenant atteint de cette horrible maladie, comme l’a été sa mère, je l’aime et je ne veux que son bien. . C’est une souche familiale précoce, il est tout jeune avec ses 60 ans et peut donc vivre encore physiquement très longtemps. Il a entretenu une dignité sans faille tout au long de sa vie. Il ne souhaite que la maintenir jusqu’au dernier jour et j’aimerais lui assurer que ce sera le cas même s’il n’est pas capable de le faire lui-même. Et si la tendance se maintient de génération en génération, pourrais-je faire un choix pour moi-même?

Afin que ce dossier avance plus rapidement au niveau politique , il faudrait malheureusement que nos fantastiques politiciens au pouvoir , vivent ce que M.Bonnardel vit avec sa mère tout comme ce que j’ai vécu avec la mienne, une femme de tête durant toute sa vie , être traitée comme on sait aujourd’hui en CHSLD, réduite à ne plus être en mesure à s’alimenter, de faire sa propre hygiène personnelle et être aux couches et en chaise gériatriques depuis 7 années. Faut juste se demander si cette personne aurait acceptée sa condition quand elle avait toute sa tête , la réponse se fait vite entendre, c’est non. Cependant il y a un côté de croyance religieuse personnelle à considérer , donc si la personne ne se donne pas le droit d’en finir à cause de ses convictions religieuses , il faut le respecter. Mais si une personne se sachant atteinte de l’Alzheimer ou autre , en début de maladie et en étant lucide , signe en toute connaissance de cause, un consentement préalable , je ne vois pas pourquoi on ne respecterait pas sa volonté de mourir au moment de son choix , soit à tel ou tel stade de la maladie.
Oui c’est un dossier très émotif mais il faut justement le traiter humainement avec toute la compassion et l’empathie nécessaire pour en comprendre tous les aspects et je crois que des politiciens décisionnels , qui n’ont pas vécu avec la maladie dégénérative d’un proche , ne sont pas en mesure de faire avancer cette cause à la vitesse nécessaire . Évidemment les lobbys des pharmaceutiques et les médecins eux-mêmes ne sont pas pressés de faire avancer le dossier , il faut que nous , les personnes concernées et les proches des malades , mettions la pression sur nos députés et politiciens.