« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Cette phrase célèbre de Simone de Beauvoir est épuisante. Rester vigilante. Toute sa vie. C’est essoufflant.
Début vingtaine, suivant des cours de féminisme à l’université, j’avais l’orgueil et l’arrogance de la jeunesse. De ces jeunes qui croient souvent que, pour eux, ça sera différent. Que ce que les vieux ont appris ne s’appliquera pas à eux. Qu’eux, ils seront spéciaux. Je le pensais aussi. Il y a un bon bout du féminisme que je tenais pour acquis. Je roulais les yeux devant certains combats et je fanfaronnais avec toute la naïveté de celle qui est née libre. Celui qui naît au soleil ne se méfie pas de la pluie… Et pourtant, jours de tempête il y a.
Amy Coney Barrett, nouvelle juge conservatrice de la Cour suprême des États-Unis, en est malheureusement la preuve. Et cette citation de Simone de Beauvoir devient plus vraie que je l’aurais espéré. Je voudrais que certaines choses durent toujours. Je voudrais qu’exister comme femme ne soit pas un combat. Je voudrais qu’être maîtresse de notre corps soit une évidence. Qu’aucune permission n’ait à être demandée, que la question ne se pose même pas.
Pourtant, quel symbole fort ! Quelle merveilleuse façon de faire un pied de nez au progressisme que de s’assurer qu’une femme siège pour remplacer Ruth Bader Ginsburg, mais une femme qui représente des valeurs diamétralement opposées ! Une femme qui puise son sens moral dans ce qu’il y a de plus patriarcal, un vieux livre écrit par des messieurs il y a 2 000 ans, la Bible. Comment tu veux faire avancer la société quand t’utilises le mode d’emploi d’il y a deux millénaires ? Pourquoi t’essaies pas de bâtir une fusée à partir d’un dessin de l’arche de Noé ?
Tout cela me fait peur. Je ne voulais pas croire la phrase de Simone de Beauvoir. Je voulais tenir notre monde pour acquis. Je voulais avoir le luxe de savoir que ce monde est le mien, que je ne suis pas une proie, un trophée, un objet ou seulement une source de fertilité. Bien sûr, il y a des femmes qui sont fières d’incarner une vision très traditionaliste de la féminité. Je respecte ce point de vue, mais le déplore, parce que c’est une définition qui exclut trop de monde. Trop de femmes sont rejetées de cette vision du monde. Je respecte le fait que l’on choisisse un vieux livre pour guider son sens moral, mais au nom de ceux qui sont exclus de cette définition de la vie, on devrait tenir ces gens-là loin de toute assemblée ou institution qui influence le plus grand nombre.
Et c’est bien là que le système de justice américain, avec ses neuf juges nommés à vie qui ont le pouvoir d’influencer la vie de 300 millions de citoyens, c’est bien là qu’il échoue. Quand je vois que certains députés conservateurs canadiens veulent aller jouer dans le projet de loi visant à interdire les thérapies de conversion, je me dis qu’ici aussi il faudra toujours rester vigilant, surtout pendant une crise comme celle que nous traversons.
« un vieux livre écrit par des messieurs il y a 2 000 ans …»
https://fr.wikipedia.org/wiki/Datation_de_la_Bible#Manuscrits_les_plus_anciens
2000 ans minimum
Amy Coney Barrett, cheval de Troie du droit des femmes
Ça fait drôlement peur, en effet.
Merci de l’écrire!
L’ironie dans tout ça c’est que Mme Barrett ne serait pas où elle est maintenant si ses croyances étaient au pouvoir aux ÉU. En effet, elle aurait dû être une femme au foyer et s’occuper de ses enfants et ce n’est que grâce aux progressistes qu’elle a le poste qu’elle occupe. De plus, toute sa conception du droit est influencée par ses croyances car elle est diplômée d’une université catholique et c’est son poste d’enseignante de droit ce cette même université qui l’a propulsée au poste de juge, nommée par le président Trump il y a 2 ou 3 ans à un tribunal inférieur.
Elle est le produit d’une société colonialiste qui a commencé par les pèlerins qui ont abusé de l’hospitalité des peuples autochtones et qui ont profondément influencé les fondements de la politique des ÉU. En fait, les ÉU peuvent jeter l’anathème aux républiques islamiques mais ils ne voient pas la poutre dans leur œil puisqu’ils sont en train de redevenir une théocratie tout comme l’Iran, leur ennemi juré. La nomination de Mme Barrett est un grand pas vers la théocratie et il est heureux que cela se passe dans un autre pays! On ne voudrait surtout pas revenir à ce genre de Grande Noirceur que notre société a bien connue.
« Comment tu veux faire avancer la société quand t’utilises le mode d’emploi d’il y a deux millénaires ? Pourquoi t’essaies pas de bâtir une fusée à partir d’un dessin de l’arche de Noé ? »
Bravo pour ce commentaire qui m’a bien faire rire…
Quant aux Américains, In God they trust pas mal… Mais c’est aussi le cas du Canada, surtout anglais, avec la reconnaissance de la suprématie de dieu dans le préambule de la charte canadienne des droits et libertés. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9ambule_de_la_Charte_canadienne_des_droits_et_libert%C3%A9s
Alors, ce qui se passe aux États-Unis pourrait bien arriver au Canada. Surtout avec le combat du ROC contre la loi 21 pour favoriser le prosélytisme religieux.
Vous vous trompez Mme Strélisky si vous pensez que les idées de Mme Barrett contre l’avortement viennent de la Bible. On trouve de tout dans la Bible, même des passages pour justifier l’avortement.
Il y a une distinction importante à faire. Le socle moral sur lequel s’appuient les personnes, nombreuses, qui sont contre l’avortement est leur conviction que la vie commence à la conception. Ces personnes sont pro-vies, dans leur tête.
J’ai moi-même accepté l’idée que l’avortement soit permis. Mais je ne le fais pas de gaieté de coeur. Je l’accepte parce que je reconnais que le choix du moment où commence la vie reste un peu un choix moral, avec toute la subjectivité qui vient avec. Alors pourquoi pas le définir comme étant le moment à partir duquel le fétus peut survivre à l’extérieur du corps de la femme. C’est un argument qui se tient, qui permet une plus grande liberté à la femme, et que la majorité d’entre nous peut vivre avec. Les pro-vie semblent incapables de faire ce saut. On peut, au moins, leur donner la décence de comprendre leur point de vue, un point de vue qui, en fin de compte, a beaucoup de mérite. On se comprend mieux lorsqu’on va au fonds des prises de position, même si c’est juste pour dire, à la fin, qu’on va accepter qu’on est en désaccord.