Apprendre à être parent

L’apprentissage de la parentalité se déroule dans une bulle : seules les personnes concernées s’y retrouvent ! Quiconque n’a pas affaire à de jeunes enfants n’a aucune idée des questionnements en cours.

Photo : Christian Blais pour L’actualité

La publicité télévisée de la Fondation Lucie et André Chagnon sur la compétition entre parents m’a fait bien rigoler ces derniers mois.

On y voit des pères et des mères renchérir sur leurs performances, l’un vantant ses couches lavables, l’autre ses purées maison, ou encore l’absence d’écran pour son rejeton. Jusqu’au bouquet final où une maman lance : « Pis on l’endort de même », en claquant des doigts. La fillette à ses côtés plonge aussitôt dans le sommeil. Je ris chaque fois, en applaudissant la petite comédienne, si parfaite d’obéissance.

Le message, très clair, est néanmoins parsemé d’expressions qui étaient mystérieuses pour moi : DME, doctorat en parentalité positive… De quoi s’agit-il ?

J’ai posé la question à de jeunes collègues parents. Bien sûr qu’ils avaient la réponse ! La DME, c’est la « diversification menée par l’enfant » : pas de cuillère pour le bambin qui commence à manger, mais des morceaux de nourriture dont il s’empare seul, à son rythme. Méthode fort efficace, ai-je ainsi appris. La parentalité positive, elle, a été résumée par le concept de bienveillance, opposé à l’autoritarisme.

Sur le coup, je n’ai pas poussé plus loin mon enquête. J’en ai plutôt profité pour me renseigner : dans quelle position dort aujourd’hui bébé ? Sur le dos, voyons ! m’ont répondu les parents, légèrement horrifiés… Mais lorsque j’étais jeune maman, coucher l’enfant sur le côté était la marche à suivre. Ma mère, elle, était de l’époque où les nouveau-nés reposaient sur le ventre — ce qui m’a permis d’apprendre que la science proscrivait désormais cette technique, à l’origine d’une forte proportion de morts subites du nourrisson.

J’ai conclu de ces échanges que mon guide du nouveau parent était maintenant à jour.

Quiconque n’a pas affaire à de jeunes enfants n’a aucune idée des questionnements en cours.

Le hasard a toutefois fait que je suis par la suite tombée sur — ou que j’ai enfin remarqué ! — des reportages consacrés à la parentalité positive, parus en France comme ici. Or, ils avaient pour point commun de souligner les dérives du concept.

Il semblerait en effet que ses adeptes sont tellement à l’écoute de leur enfant, tellement soucieux de ne lui imposer aucune contrainte — même pas lui faire de gros yeux —, qu’ils se retrouvent débordés devant leur énergique rejeton. Et ils se sentent coupables, par-dessus le marché !

Marché qui n’est pas une figure de style puisqu’il y a abondance d’ouvrages et de mentors pour guider les parents. Un secteur très lucratif, soulignait même en entrevue la rédactrice en chef de Québec Science, qui y a consacré un dossier ce printemps.

Je découvre donc une mode au moment où elle s’essouffle. La parentalité positive sert en effet de référence depuis déjà une dizaine d’années, et elle a suivi le cycle habituel des conseils donnés aux parents. D’abord, un vocabulaire neuf et attirant ; ensuite, des règles toujours plus précises pour prouver le sérieux du concept ; puis, une inquiétude grandissante des mères (oui, l’auditoire est genré) qui ne se sentent pas à la hauteur. Arrive enfin l’heure des critiques, qui permet à d’autres experts de soumettre leur propre approche !

Ainsi, au Québec, on en est à passer de la parentalité positive à la parentalité sécurisante ; en France, on évoque plutôt le time-out (sic !), soit la mise à l’écart d’un enfant en crise — ce qui cause un furieux débat entre spécialistes de l’enfance.

Tout cela me fascine. D’une part parce que j’avais oublié à quel point l’apprentissage de la parentalité se déroule dans une bulle : seules les personnes concernées s’y retrouvent ! Pendant ce temps, quiconque n’a pas affaire à de jeunes enfants n’a aucune idée des questionnements en cours.

D’autre part, la redécouverte de la roue me fait toujours sourire. Le souci de l’enfant, n’était-ce pas l’enseignement du Dr Benjamin Spock, devenu mondialement célèbre dès son premier ouvrage, publié en… 1946 ! Il y prônait la souplesse et l’affection, et insistait sur l’importance de considérer les bébés comme des êtres à part entière.

Cette approche a depuis été constamment réitérée, sous différents noms en fonction des époques. Elle nous vaut d’ailleurs une expression passe-partout, les « enfants rois », qui n’a rien de neuf puisqu’elle remonte au milieu des années 1970.

Alors, quand certains vantent la parentalité positive en lui opposant l’éducation à coups de claques et de menaces qui sévissait dans les années 1980, je constate qu’au fond, on a la mémoire qui nous arrange pour se faire croire que l’on se distingue de ses propres parents.

Mais quelles complications que toutes ces théories ! Savoir vivre en société, c’est imposer des limites. Élever des enfants participe de la même logique. Et dans un cas comme dans l’autre, tout passe mieux quand on y ajoute de la gentillesse.

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Si bien dit! Vous faites honneur à votre ancêtre, dont les conseils sur l’art de l’écriture sont toujours d’actualité. Merci pour ce beau texte à la simplicité désarmante. I.K.

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J’ ai eu 5 enfants dans les années 80 et aucun d’ eux n’ a été élevé a coups de claques ! Si l’ on pouvait éviter les cliches dans ce genre d’ articles, ça aiderait sûrement beaucoup de jeunes parents !

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Ça, ce sont toutes des théories pour élever les enfants de grosses familles de un ou un enfant et demi, et faire vivre la déprime totale aux ¨parents¨ qui n’ont aucune idée dans quoi ils se sont embarqués. Comme nous d’ailleurs, mais…
Si on leur avait dit qu’avec une famille de 4 ou 5 enfants (et même plus si les moyens le permettent), les enfants s’élèvent entre eux, car le (ou les) plus vieux transmettent leur apprentissage aux plus jeunes. Ainsi va l’éducation. Économie d’énergie et meilleur moral d’où, pas besoin de claques ou de coup de pied au derrière = famille heureuse.

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