Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.
Vendredi dernier à l’émission Deux hommes en or, sur les ondes de Télé-Québec, Patrick Lagacé recevait le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, également ancien polémiste professionnel. À un détour de la discussion, l’animateur a demandé au politicien, en soulevant le fait que ses partisans soient si agressifs sur les réseaux sociaux : « Pourquoi ces gens-là se sentent attirés par ton parti ? » En guise de réponse, M. Duhaime a affirmé qu’ils s’y associent simplement parce que son parti ne les juge pas. (On parle quand même ici de gens qui menacent et intimident les autres sur les réseaux sociaux. Je pense qu’il n’est pas déraisonnable de porter un jugement sur leur comportement. Mais bon, c’est une autre histoire.)
Le chef du PCQ ajoutait : « On essaie de rassembler le monde plutôt que de diviser et stigmatiser. » Dans la rhétorique d’Éric Duhaime, depuis bien avant le début de la campagne électorale d’ailleurs, les 15 % (approximativement) de la population qui n’ont pas voulu se joindre à l’effort global pour enrayer la pandémie sont les rassembleurs. La division viendrait des 85 % qui ont adhéré aux mesures sanitaires plutôt que l’inverse.
Il s’agit tout de même d’une stratégie étonnante. Elle fonctionne très bien pour un animateur de radio, puisque 15 % des parts de marché constituent un auditoire suffisant pour engranger des profits. Par contre, en politique, insister sur des éléments qui ne plaisent qu’à 15 % des gens et rebutent fortement les autres n’est pas tout à fait gagnant à moyen terme.
Il reste qu’au-delà de ce drôle de tour de passe-passe, M. Duhaime n’a pas vraiment répondu à la question. Pourquoi ses partisans sont-ils les moins polis sur les réseaux sociaux ?
Cette question des animateurs, chroniqueurs ou politiciens qui engendrent des commentaires violents me tourmente depuis toujours. Si de tels commentaires apparaissaient sous mes publications, si ceux qui s’affichent avec mes couleurs invectivaient tout le monde sur les réseaux sociaux, je remettrais assurément en question la manière dont j’exprime ma pensée ou mes opinions. Je me demande donc comment ces gens font pour rationaliser le fait qu’ils suscitent des propos haineux, racistes ou homophobes. Comme ils ne sont pas eux-mêmes haineux, racistes ou homophobes, ils doivent s’inquiéter de voir que leurs adeptes sentent qu’en leur présence (virtuelle), ils ont le champ libre pour exprimer leur rage.
Il y a sans doute une part d’aveuglement volontaire dans leur processus. Ces personnalités interpellent les gens qui vivent en marge de l’opinion publique pour faire croître leur auditoire tout en fermant les yeux sur les dérapages que cela peut entraîner. La fin justifie les moyens.
C’est une sorte de dog whistling, un appel du pied qui vise à utiliser des codes que seuls certains groupes saisiront pour attirer leur attention. Un peu comme lorsque le personnage d’un film hollywoodien boit une Budweiser et que ça le rend très heureux. C’est un signal dirigé vers les amateurs de mauvaise bière pour qu’ils se ruent au dépanneur.
L’équipe de Pierre Poilievre aurait usé d’un stratagème semblable. Le réseau Global a découvert que les 50 dernières vidéos YouTube du chef contenaient le mot-clic #mgtow, qui veut dire « men going their own way » (hommes suivant leur propre chemin) et qui réfère à un mouvement antiféministe. Les mâles alpha autoproclamés qui faisaient des recherches pour ce mot-clic pouvaient donc tomber sur une vidéo du nouveau chef du Parti conservateur du Canada (d’ailleurs, je vous recommande celle où il mange des toasts avec un Justin Trudeau invisible, c’est très divertissant).
Si on demandait à Pierre Poilievre pourquoi les internautes misogynes sont attirés par son parti, il aurait bien de la misère à plaider l’innocence. C’était écrit blanc sur blanc (c’était un mot-clé invisible, après tout). Les autres politiciens sont plus subtils. Leur discours contient les mots-clés qu’il faut pour libérer une certaine parole, mais on ne peut juger de leurs intentions. Ils pourront toujours fournir le prétexte que ce n’était pas ce qu’ils voulaient dire. Les paroles s’envolent, mais les arrière-pensées sont encore plus volatiles.
Certains ont aussi trouvé que, pendant la campagne, François Legault flirtait avec le dog whistling avec ses commentaires sur l’immigration. Je pense qu’il s’est aperçu que de diminuer les immigrants le sert bien auprès d’un certain électorat, mais j’ai l’impression que ces propos relèvent plus souvent de la maladresse que de la stratégie. Je suis généreux comme ça, je donne le bénéfice du doute. N’empêche que ces mots ont été dits et que, malgré les excuses, la plupart des électeurs évaluent sûrement qu’il s’agit là du fond de sa pensée.
La capacité de l’être humain de se raconter des histoires à lui-même pour justifier des comportements peut être utile afin d’éviter de se sentir coupable pour tout et pour rien. Mais elle permet aussi à des gens qui ont le sentiment de culpabilité plutôt flexible de se laver les mains de la rage qu’ils engendrent.
Le principal défaut des propos de monsieur Niquet vient du fait qu’il ne définit pas qui nous sommes. Certains mots comme : « la rage » sont employés de manière plutôt opportuniste et non à des fins plus appropriées.
Ainsi les humains se présentent rarement au grand jour tels qu’ils sont. Il existe presque en chacun d’entre nous une place obscure, nous ne regardons pas cet endroit, quelquefois nous n’en sommes pas conscients. Rares sont celles et ceux qui iraient se montrer sur la voie publique exactement tels qu’elles ou ils sont ; entre autre parce que les mécanismes sociaux ne le permettent pas.
Si une personne est raciste ou homophobe, il est très rare qu’elle s’en vante en tous temps partout, cela reste dans le meilleur des cas dans le cercle familial et il peut y avoir quelquefois un certaine approbation. Ceci était un exemple parmi d’autres.
Pour des personnes plus seules, plus isolées, plus solitaires, les réseaux sociaux ou même les commentaires dans L’actualité, cela représente une porte de sortie, un espace dans lequel on peut trouver une certaine approbation de la part de ses semblables. Il y a un côté ludique et réconfortant.
Les politiciens jouent le jeu de catalyseurs. S’il n’y avait pas eu en Allemagne notamment, tout particulièrement après le « crash » de 1929, la remontée d’un sentiment antisémite partagé, non seulement Adolph Hitler ne serait jamais devenu chancelier, mais encore il n’y aurait pas eu la guerre.
Le psychanalyste Viennois, Sigmund Freud (1856 – 1939) avait très bien compris ces mécanismes, qui sont essentiellement liés au refoulement socialement nécessaire des pulsions, avec en même temps les dangers que cela comporte. C’est ce que nous appelons pompeusement : la civilisation.
Les propos considérés comme haineux ou caustiques de quelques-uns constituent une soupape acceptable selon moi qui évite encore quelques montées d’une violence bien organisée.
Si Éric Duhaime ou Pierre Poilievre incarnent à leur façon ce frère à qui on peut tout dire et qui ne vous juge pas. Tout cela n’est tout compte fait, pas si grave que ça. Cela apporte un peu de lumière sur ce que nous sommes. Ce qui fait partie de la tolérance n’est pas une forme unidirectionnelle seulement. Si vous êtes naturellement aimant, vous devez tolérer celles ou ceux qui ne vous aiment pas. L’amour, le vrai est toujours omnidirectionnel. Il touche tout le monde où que nous soyons.
Je suis d’accord avec l’idée de cette soupape qui empêche l’explosion. Et si je ne serais pas du tout capable de recevoir sans juger, ou au moins questionner, certains propos et certaines opinions qui me bouleversent profondément, je suis bien contente que certains tiennent ce rôle.
Merci Olivier pour ce texte. Il faut vraiment que tu prennes le temps de lire «Où est le sens?» du doc en neuroscience français, Sébastien Bohler. La culpabilité flexible que tu avances ici te sera expliquée dans ces pages. C’est dans le cerveau que tous ces jeux d’interprétation se passe, et ce, depuis la nuit des temps! Culpabilité incluse! Bel automne!
Le 15% de Duhaime, les camionneurs du convoi de la liberté à Ottawa, les gens qui ont manifesté leur mécontentement face aux mesures sanitaires à travers les pays, les « incel » qui suivent Poilièvre… tout ce beau monde-là, ou au moins le noyau dur de cette mouvance, expriment leur rejet à un système qui les pousse vers les marges.
Dans une société qui nous incite à être super performants, mais en même temps laisse le système d’éducation public s’écrouler (tandis que les écoles privées subventionnées par l’état préparent l’élite); dans une démocratie ou les politiciens nous mentent au visage, jouent avec les mots, nous traitent souvent comme des valises; face à un système médiatique qui semble pris entre les exigences de rentabilité et les pressions pour adopter un discours « politiquement correct » (toute l’affaire du mot « nègre » ou « nigger » devient franchement ridicule); et un long etcetera de facteurs qui rendent notre société incohérente, dysfonctionnelle, injuste… Dans ces circonstances, de plus en plus de monde se sent aliéné.
Qu’est-ce que nos politiciens font alors? Au lieu de présenter un vision (une vision n’est pas des promesses pour les prochaines quatre années) rassembleuse, d’essayer de bâtir sur des vrais consensus, de comprendre les causes de la rage des milliers de citoyens… ils alimentent les divisions pour mieux segmenter le « marché électoral » et mieux cibler leurs campagnes. Puisque, on le sait, la politique est devenue une affaire de marketing. Veux-tu boire du nationalisme mou de Legault ou souverainisme à la PSPP? Aimes-tu les cheveux de Trudeau ou l’image de bon père de famille de GND? Ou pire, une affaire de pointage quasi sportif, comme un match de boxe infini.
C’est désolant.
On dit souvent que la mémoire est une faculté qui oublie et on n’a pas tort puisque chacun d’entre nous avons oublié quelque chose dans notre vie. Le cerveau tend à se protéger en reconstruisant les expériences difficiles vécues, limitant les dommages que certaines d’entre elles ont pu causer. Une victime de violence est la plupart du temps un bien mauvais témoin car son cerveau a commencé sa reconstruction dès après le traumatisme, en tentant d’effacer ce qui lui nuit le plus, souvent en oubliant bien des choses et, devant le tribunal, a tendance à contenir des contradictions, ce qui affecte sa crédibilité.
Toutefois, l’autre aspect de la reconstruction c’est le fait d’inventer des faits passés. Soit qu’on le fasse parce que ça se raconte dans la société (par exemple le fait que les Allemands croyaient être persécutés par les Juifs alors que c’était un mythe) ou parce que la personne est influencée par une personne en autorité (un interrogateur, une travailleuse sociales, un avocat etc.) qui suggère des faits que le cerveau utilise pour se convaincre qu’ils sont avérés.
Les politiciens futés peuvent utiliser ces caractéristiques des sociétés à leurs propres fins avec plus ou moins de succès. Par exemple, si des fausses nouvelles sont clairement réfutées, on peut limiter les dégâts. À l’opposé, si on les réfute du bout des lèvres ou pas du tout ou encore on s’en sert pour se faire valoir, alors les fausses nouvelles deviennent une vérité et la rage de ceux qui s’expriment est réelle avec un sous-entendu de vécu.
Le fascisme et le nazisme du siècle dernier ont misé sur le traumatisme des sociétés allemande et italienne après la Grande Guerre et ont nourri le fiel que cela avait distillé pour finalement prendre le pouvoir et mener aux excès auxquels le monde a été confronté lors de la deuxième guerre mondiale, La leçon qu’on peut tirer c’est de ne pas hésiter à dénoncer les faussetés et à démystifier les croyances extrêmes car, sinon, cela pave le chemin de l’enfer.
Je n’ai pas compris les pourcentages de 15% et le 85%. Qui sont ces 15% et comment n’ont-ils pas voulu enrayer la pandémie? Si on est double vacciné mais qu’on a eu la COVID et qu’on en a ras le bol des mesures sanitaires arbitraires et inefficaces est-ce qu’on est dans le 15% ou le 85%?
Il faut un sens de la justice poussé pour vouloir faire l’inventaire des bassesses auxquelles se livrent les hommes politiques pour récolter des appuis, mais une moralité très flexible pour se montrer indulgent seulement envers ceux nous préférons.
Les 15% sont ceux qui, en refusant de suivre les consignes sanitaires (port du masque, distance de 2 mètres, Lavage des mains…) et de se faire vacciner; n’ont pas contribué à enrayer la pandémie.