Au sommet du très fréquenté mont The Whistlers, en Alberta, ce ne sont pas des pluies diluviennes, des avalanches ni des grizzlis en colère qui menacent les murets de pierre censés encourager les visiteurs à demeurer dans les corridors de marche. C’est plutôt une mode qui prend de l’ampleur depuis deux ans chez les randonneurs : utiliser ce balisage minéral pour construire des inukshuks, ces statuettes de pierre rappelant parfois une silhouette humaine.
« Les gens veulent laisser une trace de leur passage, estimant qu’ils embellissent le paysage », explique Kevin Gedling, responsable des partenariats au parc national de Jasper, dont fait partie le mont The Whistlers. « Ils publient la photo de leur œuvre sur les réseaux sociaux, ce qui crée un effet d’entraînement. Ça devient un problème criant. »
Ces « œuvres » ne sabotent pas seulement les efforts de Parcs Canada et des groupes de bénévoles pour réduire l’empiétement sur la flore très fragile et limiter l’érosion. En haute altitude, où les arbres laissent place à une végétation arbustive, de tels murets servent de balises. C’est le cas à Banff, mais aussi un peu partout dans le monde, comme au sommet du mont Jacques-Cartier, dans le parc national de la Gaspésie, où une série de cairns orientent les visiteurs en période de brouillard. La destruction de ces balises pour construire « son » ouvrage de pierre peut avoir des conséquences fâcheuses. Surtout dans un parc aussi fréquenté — quatre millions de visiteurs par année — que celui de Jasper.
De nombreux parcs canadiens voient aussi se multiplier ces constructions anthropomorphiques, dont celui du Gros-Morne, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador, et la réserve de parc national Pacific Rim, en Colombie-Britannique. « Ce sont les visiteurs moins expérimentés des parcs nationaux qui déplacent les pierres. On ne trouve pas ces perturbations dans l’arrière-pays, où seuls les randonneurs expérimentés s’aventurent », remarque Kevin Gedling.

Parcs Canada, qui adhère aux principes Sans trace — un mouvement international qui promeut l’usage responsable des aires naturelles —, considère que ces assemblages brisent l’intégrité écologique des plus beaux territoires canadiens. « Nous encourageons nos visiteurs à minimiser les traces de leur passage, de façon à permettre aux prochains visiteurs de contempler un paysage vierge, exempt de constructions humaines », explique Dominique Tessier, chef des relations avec les médias.
Les autorités du parc ont pris des mesures pour tenter de contrer la mode : publications sur la page Facebook du parc, éducation auprès des visiteurs délinquants sur le terrain, entrevues à la télé… « Notre campagne de sensibilisation a donné des résultats pendant quelques semaines, puis les constructions ont repris de plus belle. Nous avons un gros travail d’éducation à faire », dit Kevin Gedling.
Sur les réseaux sociaux, la guerre à cette nouvelle espèce envahissante ne fait pas l’unanimité. Les anti-inukshuks associent ces sculptures à la destruction de l’environnement, à du vandalisme ou à de l’appropriation culturelle d’un symbole inuit. Les autres soutiennent qu’il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau. Pourquoi brimer la créativité des enfants en les empêchant de jouer avec des blocs de roche ? Des commentaires sur Facebook mettent en relief l’effet « dérisoire » de cette activité en comparaison de l’aménagement de routes ou de téléphériques (comme celui du mont The Whistlers) dans les espaces naturels.
Il n’y a pas qu’au Canada que ces sculptures rustiques en tous genres sèment la controverse. Des parcs nationaux américains mènent aussi une guerre contre ces œuvres minérales qui poussent comme des champignons. Au sud de la frontière, on constate l’utilisation des mots-clés #inukshuk ou #stonestacking et l’engouement pour les amoncellements de pierre.
Au Québec, le phénomène est marginal, selon la Société des établissements de plein air (Sépaq). Même son de cloche dans les parcs régionaux. Des inukshuks émergent à quelques endroits, dans le sentier des Escarpements du parc national du Mont-Mégantic, ou encore sur les rives de la rivière Malbaie, dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, au lieu bien nommé Pointe aux Inukshuk — où des visiteurs construisent des ouvrages de pierre à l’emplacement d’un éboulement. L’hiver fait la vie dure à ces sculptures précaires et, peut-être plus sensibilisés à l’effet néfaste de ces constructions, les randonneurs québécois ne se privent pas de les détruire, ce qui évite leur multiplication.
Il faut dire que la fréquentation dans les parcs du Québec — quelques dizaines de milliers de visiteurs par an pour la plupart — ne se compare en rien à celle des grands parcs des Rocheuses canadiennes ou du sud-ouest des États-Unis, qui accueillent des millions de visiteurs annuellement.
« Nos visiteurs sont très respectueux de la nature. Peu osent même s’aventurer hors des sentiers », remarque Pascal Lévesque, directeur du parc national de la Gaspésie, qui compare ces assemblages minéraux à des graffitis dans la nature.

Au parc régional du Massif du Sud, dans la région de Chaudière-Appalaches, pas question d’interdire ces ouvrages, qui font leur apparition de temps en temps, en format miniature, près des bassins où les enfants font trempette. « On n’a pas envie de légiférer là-dessus, car on ne veut pas interférer avec notre mission, qui est d’encourager les gens à jouer dehors », explique Jean-François Préfontaine, directeur général.
D’autres enjeux préoccupent davantage, et de loin, les gestionnaires de territoires préservés. En tête de liste : la motoneige hors piste. « Un véritable fléau, dit Jean-François Préfontaine. Ses adeptes détruisent les repousses d’arbres à grande échelle. En plus de l’impact écologique, les répercussions économiques sur la récolte forestière à venir sont considérables », déplore-t-il.
Dans ce domaine aussi, les réseaux sociaux ont une influence. « Si des motoneigistes mettent en ligne des vidéos de leurs randonnées hors sentier dans le parc national de la Gaspésie, ça peut créer un effet d’entraînement. On doit tout faire pour les contenir hors de notre territoire avant que le mal se reproduise », dit Pascal Lévesque, du parc régional du Massif du Sud.
A-t-on pensé à la construction d’inukshuks pour les tenir à l’écart ?
[NDLR : Ce texte a été modifié le 2019-04-17 pour apporter de légers correctifs]
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2019 de L’actualité.
Je ne comprends pas comment il se fait que le mot de passe que j’utilisais depuis très longtemps ait été annulé. Mauvaise initiative d’en la part des dirigeants d’annuler l’est mots d’en passe sans préavis aux abonnés. J’espère que ce nouveau mot de passe n’en sera pas désactivé sans avertissement .
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