
Les 10 suggestions tiennent sur le recto d’une feuille format lettre. C’est la recette pour augmenter le nombre de jeunes qui obtiennent leur diplôme du secondaire, et faire ainsi du système éducatif québécois l’un des meilleurs du monde. Celui qui l’a rédigée, Égide Royer, psychologue et professeur d’adaptation scolaire à l’Université Laval, est une figure respectée du monde de l’éducation.
Dès qu’il en a l’occasion, ce spécialiste des élèves en difficulté remet sa liste à des ministres et députés, avec l’espoir qu’un gouvernement aura un jour le courage d’appliquer ses recommandations. Lors d’une conférence devant des parlementaires, il y a une dizaine d’années, il l’avait distribuée en suggérant poliment aux élus de la garder dans la poche de leur veston ou dans leur sac à main et de la consulter lorsqu’ils ont des décisions à prendre concernant l’éducation !
Au moment où l’État fait des choix cruciaux, décrétant des mesures d’austérité et négociant les conditions de travail des enseignants, on dirait cependant que personne ne l’a lue.
L’actualité a demandé à Égide Royer ce qu’il faut faire pour que les jeunes Québécois réussissent à l’école.

La première suggestion de votre liste donne le ton : vous dites qu’il faut cesser d’improviser et plutôt s’inspirer de pratiques exemplaires qui ont fait leurs preuves ailleurs en Amérique du Nord. On se trompe à ce point ?
Il existe une espèce de mythologie en éducation au Québec. On accorde beaucoup d’importance à certaines choses, comme l’aide aux devoirs au primaire ou le respect du style d’apprentissage de l’enfant, alors qu’elles ont peu d’effet sur la réussite.
Il existe pourtant un certain nombre de pratiques exemplaires, des approches qui ont été appliquées dans des écoles ailleurs dans le monde, qui ont été évaluées et se sont révélées efficaces. Des choses aussi simples que de ne pas laisser les élèves prendre du retard en lecture. Quand on voit qu’un enfant a de la difficulté à lire en 1re année, il lui faut de l’aide sur mesure et intensive. Si on ne fait rien, la probabilité qu’il obtienne un diplôme à la fin du secondaire est extrêmement faible. Alors que si on donne de l’aide aux jeunes comme lui, on réussit à en réchapper la moitié.
Pourquoi le message ne passe-t-il pas auprès des élus ?
Tant que la réussite scolaire dépendra de la négociation patronale-syndicale d’un contrat de travail ou de l’opportunisme politique, on n’avancera pas.
Au Québec, on confond souvent la qualité des conditions de travail des enseignants avec la réussite scolaire. On se retrouve avec des demandes syndicales dont le motif n’est pas nécessairement l’amélioration de l’éducation. Et c’est la même chose du côté de l’État ; certaines décisions sont politiques, comme le financement de l’aide aux devoirs [NDLR : une motion de l’Assemblée nationale force les écoles à en offrir, quitte à faire des compressions ailleurs].
Pour déterminer les éléments qui assureront la réussite scolaire au Québec, on devrait toujours se référer à des pratiques exemplaires, comme on le fait en médecine. Si le médicament A n’est pas très efficace et que le médicament B l’est, on prend le B ! Le chercheur John Hattie, professeur d’éducation à l’Université de Melbourne, en Australie, a fait la synthèse de ce qui marche ou ne marche pas en éducation [voir plus bas «La bible de l’éducation»]. Avant de dépenser un dollar, il faudrait toujours regarder le résumé de ses travaux pour choisir les mesures qui auront le plus d’effet. Il faudrait aussi regarder ses travaux avant de faire des coupes dans les budgets.
Vous suggérez d’augmenter les exigences pour être admis au baccalauréat en enseignement. Pourquoi ?
C’est l’une des caractéristiques importantes des systèmes d’éducation efficaces. En Finlande, les meilleurs diplômés du secondaire sont invités par les facultés d’éducation à devenir enseignants ; la profession est très exigeante et très valorisée là-bas.
Au Québec, actuellement, il faut une cote R de 33 [cote de rendement obtenue à la fin des études collégiales] pour entrer en médecine, et en droit, il faut 28, alors qu’on peut être admis dans une faculté d’éducation avec une cote R de 20 ! Mais quand je soulève cette idée, elle ne passe pas très bien, notamment en raison du financement des universités. Il semble difficile de forcer les universités à limiter les admissions, ce qui diminuerait les revenus des établissements [au moment où on réduit déjà leur budget].
J’insiste aussi souvent sur l’importance d’avoir un ordre professionnel des enseignants, comme c’est le cas en Ontario depuis 1997. Chaque fois, j’ai droit à une levée de boucliers des syndicats. Mais ce n’est pas une question de conditions de travail, c’est une question de respect des normes professionnelles. À titre de psychologue, si je commets un acte dérogatoire à ma profession, je vais me faire taper sur les doigts par mon ordre.
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Vous avez créé une commotion l’an dernier en disant publiquement que les enseignants devraient accepter de prendre un élève de plus par classe, puis vous êtes revenu sur vos propos. Faut-il toucher ou non au rapport élèves-maître ?
Diminuer le nombre d’élèves par classe améliore les conditions de travail des enseignants, mais n’a presque pas d’effet sur la réussite scolaire. C’est une fable pédagogique de penser qu’avoir 23 élèves par classe, plutôt que 25, permet de consacrer plus de temps à ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage. Le jeune de 3e année qui ne sait pas lire, c’est un orthopédagogue qu’il lui faut.
C’est pour cette raison que j’ai dit que, dans le contexte des compressions, les professeurs devraient accepter de prendre un élève de plus par classe au primaire pendant deux ans, si cela pouvait préserver les services professionnels.
Mais bon, il y a la question du moral des troupes au sein du corps enseignant. Ce n’est peut-être pas le moment d’augmenter leur charge de travail. Et dans certains milieux, le nombre d’élèves en difficulté dans les classes est vraiment élevé. Dans ce cas, le rapport élèves-maître peut avoir une légère influence sur la réussite.
Dans certaines commissions scolaires, comme celle de Montréal, un élève sur quatre présente des difficultés. Que faudrait-il faire ?
Avec l’écrémage des bons élèves, qui se dirigent vers les écoles privées ou à vocation particulière, les classes ordinaires de certaines écoles de quartier n’ont plus rien d’ordinaire. Le tiers des élèves sont en grosse difficulté.
Ma position, ce n’est pas d’arrêter de financer les écoles privées. C’est plutôt de dire que toutes les écoles, y compris au privé, devraient offrir des services aux élèves qui ont des problèmes d’apprentissage. Actuellement, l’État refuse de financer les écoles privées pour des services en adaptation scolaire. Elles n’ont donc aucun intérêt à accepter les élèves en difficulté. Alors que si un chèque venait avec le jeune, ça créerait une concurrence entre les établissements. J’aimerais qu’on s’arrache les élèves en difficulté ! C’est un vieux fantasme.
Les parents s’inquiètent de l’effet des compressions sur la réussite de leurs enfants. Ont-ils raison ?
Pour un jeune du primaire qui n’éprouve pas de difficultés particulières, ces compressions n’auront pas de conséquences négatives. Mais pour un élève en difficulté qui aurait besoin d’un suivi particulier, et dont les parents n’ont pas les 75 à 100 dollars l’heure nécessaires pour le faire suivre par un professionnel en bureau privé, cette période de contraction budgétaire aura des répercussions négatives durables sur son avenir.
Pour régler un problème de budget de l’État, on risque d’augmenter le nombre de jeunes qui finiront par décrocher avant d’obtenir un diplôme.
LA BIBLE DE L’ÉDUCATION
Qualifié de Saint-Graal de l’éducation au moment de sa publication, en 2009, Visible Learning, de l’universitaire australien John Hattie, classe de façon méthodique les interventions qui aident les enfants à réussir.
L’ouvrage de 382 pages synthétise les résultats de plus de 50 000 études menées partout sur la planète au cours des dernières décennies auprès de 80 millions d’élèves. John Hattie a classé, du plus efficace au pire, 138 facteurs d’influence.
Certaines pratiques n’ont qu’un effet positif minime, comme réduire la taille des classes (l’effet positif est surtout noté au début du primaire et en milieu défavorisé) ou imposer des devoirs à la maison au primaire (au secondaire, en revanche, l’effet positif est marqué).
Mais ce qui importe le plus, c’est la rétroaction du professeur, la qualité de la relation qu’il entretient avec ses élèves et ses méthodes pédagogiques.
John Hattie, de passage à Montréal en début d’année pour une conférence, a jeté un nouveau pavé dans la mare avec son ouvrage What Doesn’t Work in Education: The Politics of Distraction. Il y affirme que les politiciens passent beaucoup trop de temps à vouloir réformer les structures et les programmes, au lieu de dépenser leur énergie et les deniers publics dans des interventions qui ont un effet réel.
Encore une fois, on oublie de taper sur une cible bien réelle… On le fait déjà, au sujet de l’accès aux soins de santé et aux hôpitaux, en ne voulant considérer que l’aspect médical, diagnostiques et traitements, dans ce qui concerne le « rendement » réel de ces établissements et la qualité des services rendus…. On feint d’oublier qu’un hôpital, ce n’est pas qu’un groupe de médecins spécialisés chacun dans sa discipline : il y a bien d’autres intervenants, et si dans certains cas l’organisation générale de l’établissement est si lamentable, si le personnel auxiliaire est trop souvent si peu efficace, ou indifférent, ou si peu prévenant…. cela n’améliore en rien la qualité des soins dispensés par l’établissement…. Et que dire de la direction de ces établissements? Oui, les administrateurs sont trop souvent aux prises avec des « commandes » venant directement du ministre ou de son ministère… Ils sont trop souvent pris « entre l’arbre et l’écorce », certes. Mais tout de même, leurs décisions sont-elles toujours les meilleures?
Mais revenons vite à nos moutons ! L’ ÉDUCATION. Et reprenons le concept du fameux « principe de Peter », dont on peut rappaler en quelques mots l’esprit : « Tout être humain doué d’une certaine dose d’ambition, voire d’idéalisme, rêve d’atteindre son niveau d’incompétence, et ne manque pas d’y consacrer les efforts les plus soutenus… » Appliquons cette théorie aux directions de certaines écoles ( et jusqu’aux niveaux les plus élevés, même aux CEGEPs et Universités ) pour constater ceci — qu’on retrouve trop souvent aussi dans le domaine de la politique, comme par hasard : ceux qui se prennent pour les « patrons », les « propriétaires » de ces établissements ont souvent reçu le pouvoir de commander, de régir l’enseignement dispensé par les maîtres qui côtoient quotidiennement les élèves, nos enfants… Ces personnes pouvaient sans doute dispenser un enseignement très correct, quelques années auparavant, alors qu’elles étaient elles-mêmes devant leur classe. Mais maintenant qu’elles ont à « gérer les professeurs », au sein de leur établissement, le miracle ne s’est pas toujours produit, et trop souvent « le papillon s’est changé en chenille », pour le malheur de tout le monde, et pas seulement celui des enseignants : les élèves n’ont rien gagné non plus…
Alors, il ne faudrait pas oublier de considérer tous les aspects du problème, et non seulement les « luttes patronales-syndicales ». L’équation est beaucou plus complèxe qu’il n’y paraît a priori aux yeux d’un peu tout le monde, voire ceux du ou de la journaliste… La formation des maîtres? Oui, j’en suis, inconditionnellement… Celle des « maîtres des maîtres », jusqu’au niveau du ministre? Qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre? Une compétence minimale est nécessaire, pour arriver à progresser un peu, dans le domaine de l’éducation, aussi….
Certaines réserves ont été émises au sujet de Visible Learning de M. Hattie, notamment en ce qui a trait aux statistiques utilisées… http://literacyinleafstrewn.blogspot.ca/2012/12/can-we-trust-educational-research_20.html