C’est l’apocalypse, rien ne va plus

Beaucoup souffriraient de fatigue informationnelle. Olivier Niquet, quant à lui, souffre d’opinianxiété : une surdose de chroniques d’opinion sur les mêmes sujets. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

Je ne suis pas du genre à souffrir de fatigue informationnelle, ce sentiment d’épuisement ou d’anxiété que vivent plusieurs personnes devant le flot incessant de nouvelles déprimantes qui inonde nos médias. En passant, la fatigue informationnelle est aussi appelée infobésité, actuanxiété, infoanxiété ou surinformation, selon mes recherches poussées (Google). J’en ai presque développé une anxiété des synonymes.

Guerre en Ukraine, menace climatique ou nouvel album de Shania Twain, il y a de quoi plomber notre bonne humeur par les temps qui courent. Selon une étude sur les médias américains publiée dans la revue scientifique Nature Human Behavior, le négativisme propulse la consommation médiatique. Depuis 2010, les médias ont augmenté de façon massive les titres qui évoquent la peur, la rage, le dégoût et la tristesse. L’étude affirme que chaque mot négatif dans un titre augmente le taux de clics de 2,3 %, alors que les mots positifs diminuent le nombre de clics. Pas étonnant que les médias privilégient les titres déprimants. C’est pourquoi j’ai moi-même (très habilement) choisi un titre catastrophiste pour ce billet.

Je tolère bien les mauvaises nouvelles en général. Heureusement, parce que c’est mon travail que d’éplucher ce qui se dit dans les médias à longueur de journée. Il m’arrive toutefois de plus en plus souvent de lever les yeux au ciel en voyant un débat se déployer. C’est qu’après toutes ces années à suivre nos leaders d’opinion se faire aller le clapet sur tout et sur rien, on finit par voir les mêmes sujets revenir. « Ah non ! Pas encore les accommodements raisonnables ! » « Ah non ! Pas encore les bagarres au hockey ! » « Ah non ! Pas encore un mot qui ne se dit plus ! »

Ce sont des sujets clivants dont la récurrence m’exaspère. Récemment, la nouvelle voulant que des locaux de prière aient été aménagés dans certaines écoles, notamment dans deux écoles secondaires de Laval, a fait réagir autant dans les médias que chez les politiciens. Ce cher Bernard Drainville espérait sans doute ne plus avoir à parler de laïcité maintenant qu’il est ministre de l’Éducation. Mais non, rebelote. La diversion de la crisette du verglas a presque fait du bien, dans les circonstances.

Semble-t-il qu’on n’avait pas fait le tour de ce genre de dossier, et je suis las parce que je doute qu’on en fasse jamais le tour. C’est un sujet complexe, et autant les adeptes de la charte de la laïcité que ceux du multiculturalisme ont de bons arguments. Mais la question est minée par les zélés des deux camps. Ceux qui exagèrent la menace et ceux qui sont tiraillés entre leur ouverture et la fermeture de ceux qu’ils défendent.

Quand je me lève un matin et que c’est ce type de question qui domine l’actualité, je ne peux m’empêcher de soupirer. Dans certains médias, les chroniqueurs se succèdent toutes les 15 minutes pour donner des opinions plus ou moins identiques sur la chose. Les mêmes opinions qu’ils recyclent chaque année. Le même modèle en fait que pour toutes les controverses du genre. Il y en a un qui va dire « ça va être quoi la prochaine affaire ? », une qui répétera que « les jeunes de nos jours » ne comprennent rien et un autre qui y verra une « révolution idéologique qui attaque les fondements de l’Occident », ou quelque chose comme ça. Je ne souffre pas de fatigue informationnelle, mais d’opinianxiété. (Si quelqu’un a inventé le mot actuanxiété, je peux bien inventer le mot opinianxiété.)

Il reste que la fatigue informationnelle est un mal dont il faut s’inquiéter. On dit qu’en France, un citoyen sur deux serait atteint de fatigue informationnelle. J’étais trop fatigué informationnellement pour trouver des statistiques canadiennes, mais c’est sans doute pareil ici (quoiqu’il est vrai que les débats français ont l’air particulièrement épuisants). Ça fait beaucoup de gens qui vivent une sorte de mononucléose de l’information qu’ils tentent de guérir par sevrage. L’ignorance peut sauver votre joie de vivre, comme dirait l’inventeur du concept d’imbécile heureux.

Dans un autre genre, j’ai croisé un ado dernièrement qui a fait tout un saut en voyant la dévastation de Montréal (ce sont les mots de Pierre Fitzgibbon) quand il est sorti de chez lui le lendemain de la tempête de verglas. Il n’avait pas manqué d’électricité et n’avait pas saisi l’ampleur de la chose puisqu’il est déconnecté du cycle de nouvelles québécois. Il y a donc ces gens qui abandonnent le suivi de l’information pour préserver leur santé mentale et il y a ceux qui n’embarquent jamais dans le train de la nouvelle parce qu’ils sont sur des plateformes plus attrayantes. Des plateformes qui ne sont pas nécessairement plus positives, toutefois. Les réseaux sociaux peuvent assurément avoir le même genre d’effets anxiogènes.

Certains décident de se déconnecter complètement parce qu’ils n’ont pas de contrôle lorsqu’ils sont sur les réseaux sociaux et parce qu’ils réagissent trop mal aux nouvelles qui sentent l’apocalypse. Il sera difficile d’arrêter la machine bien huilée du négativisme informationnel, mais individuellement, consommer l’information en microdoses bien choisies pourrait aider à éviter l’épuisement. Et qui sait, en s’abstenant de cliquer sur des titres d’un alarmisme aguichant, on pourra peut-être influencer les titreurs…

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Moi, je fais une écœurantite aiguë des émissions d’animation…toujours les mêmes vedettes qui se présentent d’une émission à l’autre.

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Pourquoi pensez-vous qu’il en est ainsi ? Parce que très très peu de ces vedettes ont assez de talent pour gagner leur vie autrement. Chacune de leurs apparitions télé ou radio les gratifient d’une somme substantielle tant et aussi longtemps qu’ils diront dans le sens qu’on leur dit de parler. C’est ça le consensus vedettarial. Il y a belle lurette que j’ai décroché de ces émissions de babillage vide à la Wauthier, McQuade, Bégin, et même Lepage. Et j’en ai l’esprit tranquille depuis.

Sur cette petite boule bleue qu’est la terre, j’ai eu la chance de naître dans la section première classe. Il m’arrive de penser que si on veut décourager les gens d’autres pays d’immigrer ici, on aurait seulement à les obliger à lire et écouter nos médias de façon intensive, ils comprendraient qu’on vit dans le pire pays au monde, que c’est l’enfer et qu’ici, on souffre de tous les maux: nos routes sont impraticables, notre système de santé dangereux pour la santé, nos écoles qui forment des illettrés, qu’ils rencontreront ici des bombes météos, des vortex polaires et des froids éoliens à vous faire casser les dents dans la bouche, etc. Ils comprendront alors qu’ici nos drames sont à 9/10 et 10/10 sur l’échelle des drames qu’un humain peut rencontrer.

Moi qui travaille en santé mentale, j’ai l’impression que notre société a développé une personnalité borderline. Voici quelques caractéristiques de ce trouble qui se définit par: des relations instables, des conflits, une image souvent négative d’elle-même, tendance à se sentir incomprise, son humeur est changeante, vit des émotions intenses lors d’évènements qui peuvent apparaître banals, très grande sensibilité à la critique, clivage entre bon et mauvais, dramatisation.

Lorsque je me baigne dans les nouvelles de notre monde, je suis constamment sollicité pour faire appel à mon sentiment de compassion. Et, il m’arrive d’avoir l’impression que le puit dans lequel je la puise a de moins en moins de contenu pour l’alimenter, et ça m’inquiète. Car, comme l’usure de compassion professionnelle, l’usure de compassion (sociale) peut faire apparaître des réactions telles que: un sentiment de détachement et une difficulté à se sentir en connexion avec le monde qui nous entoure, du cynisme, de la froideur, une augmentation de l’anxiété, de la tristesse, de la colère, de l’impuissance qui mène au repli sur soi. J’ai du mal à donner un sens à tout ça et je vois mal comment on peut contribuer à des solutions positives lorsque nous nous noyons dans nos drames qui sont bien loin de ce qui peut se vivre ailleurs sur cette planète. Ça m’inquiète car il m’apparait que c’est dans cette compassion que j’aurai de plus en plus à puiser dans l’avenir qui nous attend.

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Yves Ritchot résume très bien le mal de notre siècle l’absence d’empathie ce qui peut malheureusement nous mener à notre perte dans l’avenir qui nous attend. Ce que je constate c’est combien les Québécois manquent d’intérêt sur ce qui passe en dehors du Québec et plus encore ailleurs en Occident. Ils ne veulent pas voir combien la démocratie est malade. Ils préfèrent se bercer dans l’illusion que le confort est un acquis surtout pas un privilège et si la tendance se maintient le réveil risque d’être brutal.
« Faites attention quand la démocratie est malade le fascisme frappe à sa porte et ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles ». (Albert Camus) Les nouveaux dirigeants de pays élus dans nos démocraties proviennent de la droite sinon de l’extrême droite.. Aux …
Viktor Orban (Hongrie)
Recep Erdogan (Turquie)
Georgia Meloni (Italie),
Netanayou (Israel)
, Narendra Modi (Inde)
, Petteri Orpo (Finlande)
, Mitsotakis (Grèce),
Ulf Kristersson (Suède),
Rishi Sunak (Royaume-Uni)
il y a de fortes chances qu »on pourrait y voir s’ajouter Marine LePen (France), Donald Trump (USA), Pierre Poilievre (Canada).
Oui la gauche a ses radicaux mais elle est completement éclatée, donc pas menaçante et d’aucune commune mesure avec la menace de l’extrême droite en train de tout balayer sur son passage.. Malheureusement, non ça va pas bien aller! Même si on choisit de se mettre la tête dans l’sable,force est de reconnaitre que cette déferlante de l’extrême droite alimentée par la crise migratoire deviendra de plus en plus difficile à arrêter! Wake up!