
Benoît Villeneuve, 58 ans, en avait 16 lorsqu’il a vu la mer pour la première fois, lors d’un voyage en Gaspésie «sur le pouce». Coup de foudre instantané. Le Montréalais a la piqûre de l’océan… mais cède aux sirènes de la science. L’adolescent d’alors, qui veut devenir astronaute, choisit l’astrophysique — qu’il enseignera plus tard au cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil, après avoir effectué un crochet par la recherche fondamentale.
Mais la mer l’attend au détour.
À 25 ans, Benoît Villeneuve achète une planche à voile. «Il y a eu un déclic sur l’eau, raconte-t-il, le débit rapide et les yeux brillants. À ce moment-là, c’est clair: je veux naviguer et je veux un voilier. Mais je n’en ai pas les moyens.»
Il faudra près de 15 ans à Benoît Villeneuve pour réaliser son rêve. Quinze ans à économiser chaque sou et à faire des choix de vie modestes. Une petite maison sommairement meublée à Sainte-Dorothée, un quartier de Laval, où il vit avec sa femme et leurs deux enfants. Une voiture qu’il gardera 15 ans. Peu de sorties. Bref, le minimum.
Un succès inattendu pave la voie au rêve. En 1995, il publie avec son collègue Marc Séguin Astronomie et astrophysique: Cinq grandes idées pour explorer et comprendre l’Univers (Éditions du Renouveau pédagogique). Ça fait boum: l’ouvrage, qui s’adresse tant aux initiés qu’au grand public, s’envole comme des petits pains chauds des deux côtés de l’Atlantique. Des droits d’auteur commencent à faire tinter la tirelire — les deux auteurs en toucheront pendant 20 ans, soit jusqu’en 2015.
«Au lieu de mettre ça dans un REER, j’ai acheté un bateau!» raconte Benoît Villeneuve, dont la silhouette filiforme et les lunettes rondes évoquent davantage l’intello que le loup de mer. «Pour moi, c’était une machine à rêver et à voyager.» La machine en question, qui s’appelle Caprice, est un voilier d’occasion de 8,8 m (29 pi), qu’il paie 42 000 dollars. L’apprenti marin a 40 ans.
Débute alors un «apprentissage de fou». «Gérer un bateau est d’une complexité inouïe. L’intellectuel doit devenir plombier, électricien, électronicien, mécanicien, technicien radariste, météorologue, navigateur…» L’hiver, Benoît Villeneuve enfile les cours sur la navigation de plaisance et la gestion d’un bateau, en plus de dévorer les livres sur le sujet.
Histoire de chausser son pied marin, il passe son premier été au lac Champlain, à cheval sur la Montérégie et la Nouvelle-Angleterre. Pour le nouveau plaisancier, cette étendue d’eau douce est toutefois «l’équivalent d’une prison». Dès l’année suivante, il descend le fleuve Hudson jusqu’à New York. Puis, accompagné de sa fille — alors âgée de 16 ans — et de sa nouvelle conjointe, il vogue sur l’Atlantique entre Cape Cod et Halifax pendant quatre jours et autant de nuits.
«Arrivés à Halifax, on s’est regardés en se disant: quand est-ce qu’on repart? Il était évident que je devais vendre Caprice et acheter un voilier plus grand afin de traverser l’océan.»
À bord de Latitude, son nouveau joujou, Benoît Villeneuve entame une série de traversées entre le Québec et l’Europe, entre 2003 et 2005, puis entre l’été 2012 et août 2015. Portugal, Açores, Côte d’Azur, Corse, Espagne… Tous les étés sont consacrés à la navigation, plus une année entière tous les quatre ans. Son choix de vie implique des compromis sur le plan professionnel: il travaille quatre années à 80 % de son salaire pour s’offrir cette sabbatique.
Parallèlement à l’enseignement et aux publications scientifiques, Benoît Villeneuve trouve d’autres moyens de mettre du beurre dans ses épinards. Il fonde Les Services maritimes Latitude, qui offrent des services-conseils en routage météo, gestion de l’énergie, systèmes de communication. L’équipement producteur d’énergie de l’embarcation de Mylène Paquette? C’est lui. La configuration des ordinateurs avec le téléphone satellite, l’équipement de routage météo? Re-lui.
Benoît Villeneuve a aussi créé un cours sur la traversée de l’Atlantique pour l’école de navigation de la Société de sauvetage du Québec. Et il a fondé une maison d’édition pour publier un livre sur le même sujet, Traverser l’océan à la voile.
Prochaine escale: la retraite, dans quatre ans. Avec un «projet cinglé en tête»: remplacer l’actuel voilier par un plus petit, inspiré des bateaux de course, qu’il souhaite acheter en France. «Je veux revivre l’expérience de la traversée en y ajoutant une dimension de performance et de vitesse. Il paraît qu’on cherche le confort en vieillissant, mais ce n’est pas mon cas!»
En attendant, il a de quoi nourrir le rêve: collées sur un mur de son bureau de prof — couleur bleu océan —, les photos des précédentes traversées l’accompagneront jusqu’à ce qu’il reprenne la mer.
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