
Je me considère comme une espèce de vétéran du «changement de vie». Depuis 1999, ma femme et moi avons séjourné cinq ans hors du Québec, en quatre séjours, dont deux en France, mais aussi à Toronto et en Arizona. La dernière fois, en 2013-2014, c’était à Paris, en famille. Une belle aventure, mais un vrai défi pour deux auteurs pigistes sans sécurité d’emploi, ni congés payés, ni possibilité de sabbatique!
Comme la plupart des pierres qui roulent, je n’ai pas amassé mousse: ces expériences furent toutes enrichissantes, mais notre séjour parisien nous aura coûté environ 15 000 dollars de plus que si nous étions restés à Montréal. Le coût d’un tel voyage dépend en fait de la destination (ville chère ou pas), du type de séjour (en vacances, au travail) ou du cadre (employé en mutation ou en congé sans solde). Vous vous en tirerez à bon compte si vous êtes muté par votre employeur ou si vous profitez du salaire différé, qui permet de se constituer une cagnotte de congés payés. Certains reviennent même plus riches qu’avant leur départ. Une amie professeure, partie en congé sabbatique à Berlin en 2009-2010, touchait sa solde de professeur et une bourse de l’État allemand!
Pour ceux qui ont la bougeotte sans jouir d’avantages liés à l’emploi, il existe néanmoins des combines. Ma femme et moi avons trouvé le moyen de lier notre dernier séjour parisien à un contrat d’édition. La fois d’avant, c’était grâce à une bourse d’une fondation américaine. Une autre fois, c’est ma femme qui avait dégoté une bourse d’auteure en résidence à l’Université d’Arizona. Dans les pays en développement, certains s’en tirent avec un séjour philanthropique: ils sont logés et nourris en échange de travail communautaire.
Si vous êtes chanceux, votre employeur offre un service interne pour préparer ce type de voyage — c’est le cas des professeurs de l’Université de Montréal, entre autres. Mais comme la plupart des oiseaux migrateurs, ma femme et moi avons dû planifier nous-mêmes le voyage, son financement, deux déménagements, l’école pour les enfants, la paperasse, alouette! C’est tellement de travail qu’en 2010 j’avais regretté de n’être parti que six mois en Arizona!
De tels voyages, ça ne s’organise pas en criant lapin. Bien des années à l’avance, ma femme et moi avions pris une série de décisions qui ont rendu l’affaire plus abordable: un emprunt hypothécaire léger, une maison facile à louer, un mobilier modeste et une voiture d’occasion facile à revendre. Plusieurs fois, nous avons aussi effectué un voyage de reconnaissance pour avoir un aperçu des quartiers et s’informer du fonctionnement des banques, des cellulaires, de la poste.
De tous les préparatifs, trouver à se loger figure parmi les plus simples. Des sites Web, comme SabbaticalHomes, Kijiji ou Craigslist, regorgent de propriétés à louer. Dans les grandes capitales, il existe une nuée d’agences de location spécialisées. Les prix sont très variables. À Paris, en 2013-2014, je payais un loyer mensuel de 1 800 euros (2 700 dollars) pour un quatre-pièces de 63 m2 (680 pi2). En Arizona, j’avais payé le tiers de cette somme pour un bungalow trois fois plus grand. Dans ces deux cas, nous avons loué un meublé, ce qui réduit les frais d’installation. Par contre, nous n’avons pas considéré l’échange de maison: les occasions sont rares pour les séjours de longue durée.
Dès que vous avez une adresse, il devient très facile d’inscrire les enfants à l’école. À Paris comme à Phoenix, il suffit d’un coup de fil. Mais avant d’acheter les billets d’avion, renseignez-vous sur le calendrier scolaire. En Arizona, à cause de la chaleur, l’école débute au début août et se termine fin mai. En France, l’année scolaire s’achève tard: vers le 5 juillet!
Question bagages, le mieux est de faire simple, et de tout prendre avec soi dans l’avion. Ceux qui ont recours à un transporteur spécialisé paient cher et attendent souvent leurs bagages plusieurs semaines. Pour notre part, nous avons pris, à quatre, deux valises de 23 kilos par personne, plus un bagage de cabine de 10 kilos; nous avons payé un supplément de 400 dollars, mais nous avions le nécessaire dès le jour 1! Pendant chaque séjour, j’ai profité de la visite pour renvoyer des valises au Québec.
Peu importe votre degré de prévoyance, attendez-vous à dépenser sur place quelques centaines de dollars pour ce que vous avez oublié, négligé ou rejeté. Mais même si vous partez léger, comme nous, n’essayez pas de faire trop d’économies de bouts de chandelle. Emportez un peu plus que le strict nécessaire, quitte à avoir davantage d’excédent de bagages. Les appartements meublés sont rarement bien équipés. Vous serez content d’avoir empaqueté quelques couteaux bien effilés, quelques outils, des adaptateurs électriques, quelques câbles et connecteurs, et même un petit assortiment d’épices.
L’assurance voyage d’un an coûte environ 4 500 dollars pour une famille de quatre. Pour notre séjour en France, nous avons économisé cette somme grâce aux ententes de réciprocité France-Québec en matière d’assurance maladie. Le Québec a négocié de telles ententes avec huit autres pays — Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Luxembourg, Norvège, Portugal, Suède. Ailleurs, il est possible de prolonger la période de couverture d’assurance maladie hors Québec de 183 jours à un an, à certaines conditions. Avant le départ, soyez prévenant: passez chez le dentiste et l’optométriste, faites renouveler vos ordonnances et demandez à votre pharmacien assez de médicaments pour plusieurs mois, sinon pour tout le séjour.
De toutes les démarches préparatoires, les formalités d’immigration sont ce qu’il y a de plus exigeant et de plus stressant, en raison de l’arbitraire et de l’imprécision des critères. Avec la mise à jour des passeports et de tous les documents officiels requis, le processus peut coûter jusqu’à 1 500 dollars pour une famille de quatre.
Une fois sur place, les démêlés administratifs sont parfois byzantins. Il faut souscrire aux services d’électricité et de téléphone, ouvrir un compte en banque, trouver une assurance maladie complémentaire. À Phoenix, en Arizona, l’école exigeait un troisième vaccin contre la rougeole (la norme est de deux au Québec). À Paris, l’école réclamait une attestation de résidence, sous la forme d’un compte d’électricité. Même si vous maîtrisez la langue du pays, vous aurez besoin d’un bon moral et d’une bonne tolérance aux chocs culturels.
Sans compter les problèmes administratifs émanant du Québec. Si vous partez moins d’un an, ne donnez pas votre adresse à l’étranger à la banque ou aux autorités. Vous pourriez être considéré comme «non résident»: votre carte bancaire pourrait ne pas être remplacée; vous pourriez être tenu de payer de l’impôt à la fois au Canada et à l’étranger; ou être radié d’associations dont vous êtes membre. Conservez plutôt une adresse de correspondance canadienne et faites réacheminer votre courrier (232 dollars pour 12 mois). Si vous partez moins d’un an, votre permis de conduire du Québec demeure valide, mais procurez-vous le permis international (25 dollars à CAA-Québec), souvent requis pour la location d’une voiture.
Concernant la banque, soyez prévenant. Il est toujours plus facile de renégocier sa marge de crédit avant le départ. Cela vous sera utile en cas de pépin. Pareil d’ailleurs pour l’emprunt hypothécaire, si l’échéance doit tomber en votre absence. Et ne négligez pas de signer une procuration bancaire autorisant une personne de confiance à gérer vos affaires en votre nom.
Et il y a les enfants. Lorsque nos filles jumelles avaient six ans, elles n’ont fait aucune difficulté lors du départ pour l’Arizona, si ce n’est quelques inquiétudes: «Est-ce qu’on aura une maison, des amis?» Quatre ans plus tard, l’annonce du départ en France fut accueillie par une crise de larmes, et nous avons eu à gérer toutes les formes de résistance passive et active. Nous avons doré la pilule en autorisant l’iPod, une allocation hebdomadaire et un animal domestique, en plus d’arranger la visite d’amis et de cousines. Mais l’expérience est moins difficile si les deux parents sont sur la même longueur d’onde, ce qui était notre cas.
Surtout, ne vous laissez pas décourager par ces tracas, somme toute bien minces en comparaison des avantages de l’expérience. Dans notre chronique familiale, ces longs séjours lointains sont un point d’orgue, un temps fort de resserrement. En plus de cultiver de belles amitiés et de vivre des expériences fortes, nous en sommes revenus avec des souvenirs impérissables. Il n’empêche: quand nous avons annoncé à nos filles qu’elles reviendraient au Québec trois semaines avant nous, en août 2014, elles ont sauté de joie. «Chez nous», c’est quand même «chez nous»!